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Rencontres diplomatiques : Boris Johnson pourrait-il profiter du désaccord entre Paris et Berlin sur le Brexit ?
©John MACDOUGALL / AFP

Diplomatie triangulaire

Dans tous les cas, le Premier ministre britannique sortira probablement renforcé de l'obstination d'Emmanuel Macron.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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L’UE s’est cassée les dents sur la stabilité économique et politique britannique

Pendant trois ans, les Européens continentaux ont essayé - contre les leçons de l’histoire - de rejouer le scénario que les Alliés avaient imposé à l’Allemagne en 1919, lors de la préparation du traité de Versailles: exclure le pays des négociations puis lui proposer, au dernier moment, des entrevues humiliantes avec un accord à prendre ou à laisser. Theresa May s’est prêtée au jeu mais le Parlement britannique n’est pas entrée dans la manipulation. Non pas qu’il n’y ait, au Parlement britannique, nombre de députés, issus des différents partis, prêts à trahir le vote du 23 juin 2016 et empêcher le Brexit; mais la culture parlementaire britannique est bien vivante et elle a permis à une quarantaine de députés de camper fermement sur une ligne de résistance au diktat de Bruxelles. Les Européens continentaux ont inventé un article inacceptable - le backstop irlandais - exactement comme les Alliés avaient forgé l’humiliant article 214 du traité de Versailles sur la culpabilité allemande. La jeune République de Weimar n’avait pas pu rejeter le traité de Versailles, alors même que ce traité, issu largement de l’aveuglement combiné de Wilson, Lloyd George et Clemenceau, empêchait l’enracinement de la démocratie dans l’Allemagne vaincue. Rien de tel dans notre vieille monarchie parlementaire préférée: depuis trois ans, les Brexiteers ne se sont pas démobilisés, les financiers n’ont pas quitté la City en masse, l’économie ne s’est pas effondrée. La Grande-Bretagne dispose certes de l’état de droit le plus ancien d’Europe - avec la Suisse - mais, vu de Bruxelles, il n’allait pas de soi que le Parlement britannique résisterait à la pression des Vingt-Sept. L’UE avait bien asphyxié la Grèce, tordu le bras de l’Irlande et du Danemark; elle s’était payée la tête des électeurs français - en réussissant à annuler, systématiquement, le résultat de référendums. A Bruxelles, Paris, Berlin on croyait fermement - on croit encore en partie - qu’il serait possible de faire craquer la classe politique britannique et de faire revoter les Britanniques. 

A force de penser à Churchill, il est devenu....Boris Johnson

Entre Boris Johnson. L’homme connaît la mentalité bruxelloise comme sa poche. Il est surtout le produit de ce que les élites britanniques savent produire à intervalles réguliers: l’alliance du courage et de l’intelligence. Pitt le Jeune, Disraeli, Churchill, Margaret Thatcher...., il est trop tôt pour accrocher le portrait de l’ancien maire de Londres dans la galerie des premiers ministres illustres qui ont fait la grandeur d’Albion mais on connaît la boutade du Général de Gaulle envers ceux qui lui reprochaient de se prendre pour Jeanne d’Arc: « Peut-être qu’à force de me prendre pour Jeanne d’Arc, je deviendrai de Gaulle. » Boris Johnson pourrait forger une formule similaire: peut-être qu’avoir été le biographe inspiré de Winston Churchill l’amène-il à devenir Boris Johnson, le premier ministre qui va réaliser le Brexit, contre tous les petits calculs des technocrates de ce côté-ci de la Manche. 

Hier soir 21 août, lors de la conférence de presse commune avec Angela Merkel, nous avons eu droit non seulement à un feu d’artifice rhétorique comme Boris Johnson en a le secret; mais aussi à une leçon de politique: il est évident que ce qui serait dit avait été préparé soigneusement par et entre les deux parties. Angela Merkel est confrontée à un début de récession et la Bundesbank a mis les pieds dans le plat, liant le recul des ventes industrielles à l’absence d’accord sur le Brexit. On a donc entendu Merkel la pragmatique plutôt qu’Angela l’idéologue moralisatrice. La Chancelière a fait une ouverture, proposant une période de trente jours pour trouver un accord sur une autre solution que le backstop. Boris Johnson a répondu avec la courtoisie politique du représentant d’une vieille nation parlementaire: c’est à nous, Madame la Chancelière a raison, de proposer des solutions - en fait cela fait longtemps que les Britanniques y travaillent mais les Bruxellois ne voulaient jusqu’à maintenant rien entendre des solutions alternatives. Et puis, au bon moment, il a décoché la flèche, disant en allemand, « Wir schaffen das! », nous allons y arriver, selon la célèbre formule d’Angela Merkel. Avant d’entraîner son interlocutrice dans le constat d’intérêts partagés et d’un adversaire commun, la Russie de Vladimir Poutine. 

Le dilemme d’Angela Merkel

Il est bien évidemment trop tôt pour affirmer qu’il y a une véritable inflexion dans ce qui apparaissait, jusqu’à hier comme une marche inéluctable vers un No Deal. Et il est toujours difficile de garder le sens des proportions quand on est en face de l’événement. En particulier, il faut se souvenir qu’Angela Merkel, élevée en RDA, est maîtresse dans l’art de la dissimulation et de la manipulation politique. Encore une fois, pourtant, elle avait en face d’elle le nouveau premier ministre d’un des plus anciens Etats souverains d’Europe. Et les commentateurs, qui brûlent ce qu’ils ont adoré, ont beau jeu, ces jours-ci, de souligner que la Chancelière est affaiblie, non seulement politiquement mais parce que son pays est menacé d’une récession. C’est pourquoi on a toutes les raisons de penser que le réalisme prudent du chef du gouvernement allemand ce 21 août au soir provient de la prise de conscience que le Brexit étant désormais inéluctable, il vaudrait mieux qu’il se fasse dans le sens des intérêts de l’Allemagne. En l’occurrence cette évidence n’en est pas une: l’Allemagne a été étonnamment passive, au printemps dernier, lorsqu’il se serait agi de trouver une solution commune avec Theresa May. Le mandat donné par la Chambre des Communes à l’ancien premier ministre britannique le 29 janvier dernier était exactement celui que Boris Johnson cherche à mettre en oeuvre: remplaçons le backstop par une autre solution et un accord sera possible. Entretemps Angela Merkel s’est-elle rendu compte qu’elle avait grand intérêt à ce qu’il y ait un accord préalable à la sortie? 

Emmanuel Macron ne veut rien changer....

A Paris, hier soir, le président français, dont on espère que ses services lui avaient permis d’anticiper sur le contenu des déclarations de Boris Johnson et Angela Merkel - il ne faut plus compter aujourd’hui sur des échanges fluides entre Paris et Berlin - restait apparemment imperturbable. Alors que Boris Johnson a été, depuis son arrivée au 10 Downing Street d’une limpidité absolue sur ses intentions (pour rompre avec les manoeuvres tortueuses de Theresa May), le président français a déclaré aux journalistes qui l’interrogeaient « J’attends des clarifications » de la part du nouveau premier ministre britannique. Et l’entourage du président français maintenait, un peu plus tard dans la soirée, qu’il n’y avait pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre Paris et Berlin - contre toute vraisemblance.  

En fait, Boris Johnson est revenue aux constantes de la politique britannique. Il s’agit de rétablir l’équilibre européen au service des intérêts britanniques. Les divisions évidentes entre Berlin et Paris, la première souhaitant un accord et la seconde semblant vouloir jouer jusqu’au bout la politique du pire pour briser la Grande-Bretagne, sont une aubaine pour un premier ministre britannique faisant preuve de détermination. La toile de fond de la conférence de presse d’hier entre Boris Johnson et Angela Merkel, c’était la bonne entente traditionnelle entre les deux pays sur les enjeux économiques. Dès les années 1960, la RFA a souhaité l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun pour ne pas être enfermée dans un tête-à-tête avec la France, jugée trop dirigiste, insuffisamment proche de l’ordo-libéralisme allemand. Les choses n’ont pas changé, sauf sur un point, fondamental: Helmut Kohl a lié beaucoup plus que ce que les intérêts de l’Allemagne à long terme exigeaient, son pays à la France. Et, comme toujours dans l’équilibre européen, cela a produit, au bout d’un quart de siècle, une prise de distance de Londres. Or l’Allemagne a encore plus besoin de la Grande-Bretagne que de la France  quand il s’agit d’économie. 

Le progressiste qui habite à l’Elysée est bien déterminé, apparemment, à ne pas dévier de sa ligne. D’abord, comme souvent les gens qui méprisent les leçons de l’histoire, Emmanuel Macron est porteur des pires clichés anglophobes. Tout se passe comme si son champ de conscience était envahi par la détestation de la perfide Albion, qui nous a toujours joué de mauvais tours, de Jeanne d’Arc à Fachoda. Ensuite, ayant fait s’écrouler le PS et Les Républicains, le président français se dit qu’il doit bien être possible de faire craquer conservateurs et travaillistes à la Chambre des Communes. Enfin, Emmanuel Macron est persuadé qu’il a une carte à jouer en profitant de l’affaiblissement d’Angela Merkel. 

...mais les vieilles lois de l’équilibre des puissances s’imposeront à Paris

Dans tous les cas, Boris Johnson est gagnant. Soit il réussit à enfoncer durablement un coin entre Paris et Berlin, pour le meilleur des intérêts britanniques. Soit il pourra pointer du doigt la faiblesse d’Angela Merkel, incapable d’imposer sa vision des choses et il encouragera indirectement les clichés francophobes, bien enracinés dans une partie de l’opinion britannique. Emmanuel Macron risque fort de se retrouver isolé au G7, cette fin de semaine, bien qu’étant le représentant du pays hôte. Lundi, il suggérait que l’on se rapprochât de la Russie. Samedi, il aura face à lui une coalition d’intérêts entre Washington, Londres et Berlin sur le sujet, le seul pays pouvant le soutenir dans un rapprochement avec Moscou étant l’Italie, actuellement sans gouvernement. C’est donc bien le Brexit qui sera l’arrière-plan permanent des discussions. Or Angela Merkel a besoin que son industrie puisse continuer à exporter vers les marchés américain et britannique. La Chancelière allemande ne se rapprochera de Paris, sur les dossiers, que dans la mesure où les positions défendues par Emmanuel Macron n’empêcheront pas de retrouver un lien fort avec Washington et Londres. 

Le président français devrait changer de monture. Il devrait, avec Boris Johnson et Angela Merkel, trouver une sortie par le haut de négociations sur le Brexit qui se sont éternisées au mépris de tout pragmatisme économique. Mais le saura-t-il? Emmanuel Macron ne change jamais d’axe politique de lui-même; il est trop orgueilleux pour cela. Il faut qu’il y soit incité par plus puissant que lui. Or on ne voit pas, dans les circonstances présentes, qui pourrait jouer ce rôle. 

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