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Comment la faillite de l'école a entraîné une faillite de la langue
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Bonnes feuilles

Pendant l'été, Atlantico publie les bonnes feuilles d'ouvrages remarquables. Aujourd'hui, "L'Ecole à la ramasse" de Michel Fize, publié aujourd'hui 21 août aux éditions de L'Archipel.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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C’est, selon nous, la faillite première, et même la faillite suprême. Car avec la perdition de la langue, c’est la culture française elle-même qui est aujourd’hui mise en danger.

La faillite de la langue est globale : orthographe, grammaire, vocabulaire, lecture, écriture, compréhension du sens (de ce qui est lu ou écrit).

La faillite touche presque toutes les catégories de jeunes, y compris les enfants de l’« élite ». Le temps n’est plus où les lycéens, tous des « héritiers » de la bourgeoisie et de l’aristo- cratie, entendant parler chez eux un français « classique », le parlaient à leur tour, dans une école qui parlait elle-même le français de Pascal et Descartes. Eux aussi ont perdu le « capital linguistique » cher à Bourdieu. Désabusé, Olivier Guichard, ministre du général de Gaulle, notait déjà, en 1970, que la culture classique était aussi étrangère à 90 % des enfants des classes aisées qu’aux enfants du peuple.

L’élargissement social du recrutement des enseignants, qui ne sont plus tous des enfants des couches moyennes (voire supérieures), le développement de la « langue-jeune » et des

langages « texto » expliquent aussi ce déclin du français. La « langue » de la Toile, issue de la langue « texto », est même en train d’acquérir le statut de langue dominante dans notre société. Or cette langue, quoi qu’en disent des linguistes aussi distingués qu’Alain Rey, qui la salue à longueur d’interviewes, est d’une extraordinaire pauvreté. Le vocabulaire est limité, les mots sont tronqués, le style est direct, cru, souvent agressif.

La faillite est aussi multigénérationnelle, car désormais les désordres langagiers se transmettent de père en fils, et de mère en fille. Les étudiants parlant mal, écrivant mal, deviennent,naturellement, des profs qui vont (au moins de temps en temps) parler mal, écrire mal (les enseignants honnêtes le reconnaissent volontiers, qui essaient de se corriger). Il y a plus de soixante ans, l’inspecteur général de l’Enseignement secondaire Le Gall tirait la sonnette d’alarme. De plus en plus, notait-il, les professeurs d’université relèvent dans les copies de licence des fautes d’orthographe et de syntaxe indignes d’élèves du certificat d’études. On a même signalé (pour remonter encore plus haut dans le temps) en 1893, dans un cours élémentaire, de nombreuses fautes dans les dictées : « Entre douze et quinze dans un texte de six lignes ! »

Ainsi, ce ne sont plus seulement les jeunes, et avant eux les enfants, qui massacrent la langue française, ce sont aussi les adultes, jusqu’aux plus hauts niveaux de responsabilité professionnelle... et de l’État (les travailleurs honnêtes le reconnaissent eux aussi, qui s’empressent à présent de prendre des cours d’orthographe et de se soumettre à la dictée).

Ainsi y a-t-il en France de plus en plus d’« illettrés », dans le sens donné à ce terme par d’éminents auteurs, comme Jean-Philippe Rivière, c’est-à-dire de « personnes qui ont été scolarisées mais qui ne maîtrisent pas suffisamment l’écrit pour faire face aux exigences minimales requises dans la vie professionnelle, sociale, culturelle et personnelle ». On estime aujourd’hui à 7 % le nombre d’illettrés chez les 18-65 ans – soit quelque deux millions et demi d’individus. Ajoutons qu’un Français sur cinq possède à présent un faible niveau de lecture et d’écriture, soit quatre fois plus qu’au Japon et deux fois plus qu’en Finlande. C’est considérable, mais pour certains linguistes (ah ! décidément, ces linguistes !), comme Frédéric Jejcic, tout ceci n’est pas bien grave. L’orthographe, disent ces experts, se modifie avec le temps (certes, mais entre évolution et déformation, il y a une différence, non ?). Quant aux nouvelles formes d’écriture, comme les textos, elles sont jugées franchement utiles. L’assemblage des chiffres et des lettres (comme écrire « 2main » au lieu de « demain »), dit ainsi M. Jejcic, représenterait « un jeu intéressant avec la logique ».

Extrait de L'Ecole à la ramasse, de Michel Fize, paru aux éditions de l'Archipel aujourd'hui, 21 août 2019.

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