La fin des Bisounours : les experts en marketing découvrent que plus d’un Français sur deux avoue une attirance pour « les méchants »<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
La fin des Bisounours : les experts en marketing découvrent que plus d’un Français sur deux avoue une attirance pour « les méchants »
©TOSHIFUMI KITAMURA / AFP

Méchante information

Une étude Opinion Way révélé que 72% des Français ont "un méchant" qui sommeille en eux et qu’ils préfèrent fréquenter des méchants. A une condition : que les méchants soient cool !

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Les experts marketing ont redécouvert « la méchanceté » dans l’ADN des Français. Et vont donc utiliser cette attirance partagée pour booster les ventes des produits dont ils ont la charge. 

On se souvient de la saga publicitaire pour le lancement de l’Orangina rouge. C’était dans les années 1990 et les spots de pub mettaient en scène, le célèbre homme bouteille (Secouez-moi, Pourquoi est-il si méchant ?) armé d’une tronçonneuse. Succès commercial énorme. C’est aussi l’époque où le film Massacre à la tronçonneuse remplit des salles de nombreux spectateurs amateurs d’hémoglobine.

A l’époque, on découvre que la majorité des Français ont un gout et une attirance pour les méchants. 

Plus de 20 ans plus tard, Orangina a voulu savoir si la méchanceté était toujours une valeur « cardinale » dans le comportement des Français.

Opinion Way a donc réalisé une étude auprès d‘un échantillon représentatif de Français. Trois constatations brutes de fonderie et qui déménagent... 

1er constatation, un Français sur deux considère que les rôles et les postures de méchant sont plus intéressants que ceux de gentils et assument ce sentiment. Cette opinion ou cette attirance est d’autant plus forte chez les moins de 35 ans et les CSP+. Bref, les millenials, c’est à dire ceux qui sont « généralement les porteurs de tendance, très mondialisés, très digitalisés, et qui apprécient la complexité des rapports sociaux, le coté ambigu aussi des profondeurs psychologiques sans parler du « dark side » des personnages de méchant », c’est du moins l’explication que donne le sociologue Ronan Chatelier, maitre de conférences en marketing approfondi à l’IEP de Paris.

2e constatation, cette appétence pour les personnages de méchants n‘est pas tout à fait innocente. Selon l’étude Opinion Way, 60% des Français pensent que, derrière cette attirance pour les méchants parce qu’ils sont drôles, sexy, ou attachants, il existe une tendance à la méchanceté dans la société d’aujourd’hui. On retombe alors sur une société moderne où les rapports sont plus concurrentiels, plus conflictuels que consensuels. Conclusion à manier avec beaucoup de prudence, parce que la transparence extrême que nous permet l’industrie digitale peut accroitre les conflits, mais elle peut aussi contribuer à les résoudre par le partage de l’information 

3e constatation, la méchanceté est devenue une posture branchée et donc à la mode chez les millenials. Le gentil ou le gentillet est considéré comme fade, ennuyeux, mou, sans aspérité ni dynamisme. Pour un peu, le méchant est un homme de progrès alors que le gentil serait plutôt conservateur.

Si la méchanceté à la mode est une méchanceté cool, elle exprime aussi un gout de la transgression chez les Français. 

70 % des Français estiment que leur gout pour les méchants est une façon de transgresser les codes sociaux et culturels et de passer la ligne jaune des convenances sociales. 

Il y a l’idée que le goût pour la méchanceté traduit le besoin de "se lâcher » de temps en temps, de fuir le raisonnable. 

4e constatation, pour 72% des Français, ce côté méchant n'attend que l’occasion de se révéler. Pour 55 % des Français, ça se traduit par le fait de râler souvent, de se moquer, de faire peur, de voir le verre à moitié vide, de semer la pagaille. Pour 53% ça se traduit par le fait d’avoir la critique facile et souvent irresponsable, d’ailleurs. 

Cette étude a été réalisée en mai 2019, à un moment où la vague des gilets jaunes était en voie d’extinction, sauf qu'on retrouve dans les diverses manifestions des gilets jaunes, tous les ingrédients de "la méchanceté ordinaire." Le Français râleur, critique, jamais content (comme le chantait Souchon) et souvent contradictoire. 

Les spécialistes de marketing ont bien compris le pari qu’ils pouvaient tirer de cette tendance lourde. 

Dans l’automobile, la mode du SUV et du 4X4 est une véritable lame de fond dans les milieux sociaux assez favorisés, jeunes CSP+ et partout dans le monde occidental. Cette même clientèle tiendra des discours enflammés pour défendre l’écologie, les économies d’énergie, la chasse aux émissions de CO2 etc. 

Dans l’industrie alimentaire, la mode est aux produits nouveaux, bio, et presque agressifs mais dans le même temps, ils font le plein chez Lidl pour des raisons de pouvoir d’achat. 

Dans le tourisme et le voyage, les amateurs de Koh Lanta ou de Pékin Express sont légion. Le romantisme doux est passé de mode. 

Quant aux vêtements et chaussures, regardez ce que portent les jeunes branchés. Du blouson aux sneakers, on choisit ce qui se voit. L’agression, la personnalisation sont dans les couleurs et dans les tailles.

Tout se passe comme si la crise mondiale de 2008/09 avait asphyxié la génération qui était aux commandes jusqu'alors pour se laisser dégager par la suivante qui s’installe avec des nouveaux codes couleur, des rapports de force plus violents. 

Tout se passe comme si la mondialisation façonnée par la libre concurrence et les industries digitales avait fait flotter un climat de méchanceté. Les romantiques et les Bisounours n’ont plus la cote. Comme le souligne Bernard Pivot dans un de ses tweets quotidiens : écoutez les Bobos en vacances, ils ne parlent que de « mon boucher, mon volailler, mon petit boulanger, mon maraicher, mon pastis, mon huile d’olive ». Le sociologue y verra la manifestation d’un égocentrisme alimentaire exacerbé, en guerre contre la modernité de grande industrie. Le plus cocasse, c’est que le Bobo en question parle ainsi en faisant la queue assez sagement à la caisse de l’hypermarché de la plage. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !