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Record de distribution des dividendes : ces grossières erreurs d'interprétation qui expliquent la levée de bouclier
©Reuters

Anticapitalisme fou

La distribution de dividendes pour 2019 aurait atteint, au deuxième trimestre de cette année, 513 milliards $ dans le monde, soit une hausse de 1,1% par rapport à l’année dernière. Il n’en fallait pas plus pour susciter la colère des mouvements anticapitalistes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Comme à chaque publication d’étude sur les dividendes et leur montant, la meute des altermondialistes crie au loup. L’étude de référence publiée lundi par la société de gestion de fonds Janus Henderson Investors n’a pas échappé à la règle. Avec 513 milliards $ distribués en 2019 (au deuxième trimestre) au titre des bénéfices 2018, soit une modeste hausse de 1,1% en un an (beaucoup moins rapide que la croissance mondiale), les ennemis de la finance ont rapidement dégainé leurs discours habituels sur le sujet. 

On notera par exemple ce tweet d’Oxfam France, grande pourfendeuse du dividende sous toutes ses formes :

On ne sera pas surpris par le fond, même si un peu d’examen critique ne serait pas inutile ici. Ainsi, les distributions ont diminué de 3% en Asie hors Japon. Ce chiffre n’est pas très bon pour la croissance mondiale. 

Le dividende, cette bête du Gévaudan

On sait évidemment ce qui chagrine les ennemis du capitalisme (rebaptisés altermondialistes), même bien après la chute du mur de Berlin. Depuis Marx, le dividende est devenu le symbole de la spoliation, de l’argent distribué sans raison valable aux héritiers, aux détenteurs du capital, aux actionnaires fainéants et dormants, sur le dos des vrais méritants, les ouvriers qui font la prospérité de l’entreprise. Cette captation de la plus-value par des capitalistes, synonymes de riches et de profiteurs, au détriment de la main-d’oeuvre, synonyme de braves gens exploités, a mauvaise réputation.

Pour peu (comme c’est le cas aujourd’hui) qu’elle intervienne dans un contexte où les salaires sont sous contrainte, les discours sont tout prêts à dénoncer cet argent donné aux bourgeois inutiles pendant que le prolétariat souffre et n’arrive pas à nourrir ses enfants. On aura beau rappeler que le gros bataillon des actionnaires du CAC 40 et du SBF 120 sont constitués de familles fondatrices de l’entreprise dont elles tirent leurs moyens de subsistance, il restera toujours l’idée que la seule rémunération honnête s’appelle le salaire, et que le principe même du dividende est aussi celui de l’exploitation.

Nous avons tous ici en mémoire les diatribes habituelles de la gauche radicale ou révolutionnaire sur la prétendue baisse de la part des rémunérations dans le partage des richesses, qui constitue la tarte à la crème, factuellement fausse, des discours contestant la moralité du capitalisme. Si l’on se souvient que Marx dénonçait le salariat comme l’espace de l’aliénation, la défense mordicus, dans la bouche des marxistes aujourd’hui, du salaire comme moyen d’émanciper les salariés laisse songeur sur le déclin intellectuel de l’extrême gauche. Mais c’est une autre question…

Le dividende, cette chance pour les contribuables

Du strict point de vue financier, les contribuables français ont pourtant bien tort de faire la guerre aux dividendes, car ceux-ci font l’objet d’une taxation bien plus lourde que les autres revenus. Pour qu’un dividende puisse être versé, il faut en effet qu’un bénéfice soit dégagé, et donc qu’un premier coup de rabot de 33% soit passé au titre de l’impôt sur les sociétés. Une fois le dividende versé, le bénéficiaire peut décider de s’acquitter du prélèvement forfaitaire unique (le PFU) de 30% sur la somme qu’il reçoit. Ce prélèvement correspond à un versement de CSG et à l’impôt sur le revenu perçu. On écartera ici le cas des actionnaires qui ne perçoivent aucun revenu d’activité et qui doive s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 6%. On retiendra le cas classique qui conduit à un prélèvement nominal de 66% sur la somme distribuée. Ce n’est pas rien!

Concrètement, il faut 150 euros de bénéfice pour distribuer 100 euros de dividende. Ces 100 euros sont ensuite soumis à un prélèvement de 30 euros au titre du PFU. Autrement dit, pour verser 70 euros de dividende nets, une entreprise doit dégager 150 euros de bénéfice, dont 80 seront payés en impôts…

Selon l’institut Molinari, cette mécanique permet à l’État d’être le grand bénéficiaire des distribution de dividendes du CAC 40. Au vu de la législation fiscale, on comprend pourquoi: la taxation du dividende permet de redistribuer massivement les richesses. Cette taxation à environ 55% explique d’ailleurs largement pourquoi les entreprises françaises sont obligées de distribuer beaucoup de dividendes pour satisfaire leurs actionnaires. Pour verser 100 euros nets, il faut dégager environ 210 euros de bénéfice, ce qui est colossal. 

La CSG sur les dividendes, une aubaine pour la sécurité sociale

Si l’on admet l’hypothèse que, bon an mal an, le CAC 40 distribue environ 60 milliards d’euros de dividende, on notera que cette somme permet de dégager environ 10 milliards d’euros de ressources pour la sécurité sociale au titre de la CSG. Pour les assurés sociaux, ce montant est une aubaine, puisqu’il n’est créateur d’aucun droit. Autant le versement du moindre euro de salaire crée des droits sociaux, autant la CSG n’autorise même pas à adhérer au régime général de la sécurité sociale. C’est d’ailleurs pour résoudre cette aporie que le législateur a fini par inscrire dans la loi un principe général d’obligation d’être affilié au régime général, qui vise essentiellement à obliger les patrons qui ne se versent que des dividendes à financer la sécurité sociale (à fonds perdus) en devenant assuré social obligatoire. 

Selon la Commission des Comptes de la sécurité sociale, la CSG sur le patrimoine et sur les produits financiers a rapporté, en 2018, à la sécurité sociale, une somme de 13 milliards d’euros. Là encore, on peut s’étonner du désamour de certains Français, autoproclamés amis de l’égalité, pour les dividendes. En effet, le produit de la CSG sur le capital, qui nous intéresse ici, est directement affecté au financement du Fonds de Solidarité Vieillesse, qui sert à « pensionner » les Français les plus pauvres. On peut difficilement faire mieux en matière de solidarité et, là encore, les volumes transférés sont loin d’être neutres. 

Que serait un monde sans dividende?

La persistance des critiques péremptoires contre le versement de dividendes indique que cette socialisation des revenus du capital ne suffit pas à désarmer les oppositions. Mais que serait le monde sans dividende qu’appellent de leurs voeux un certain nombre d’adversaires déclarés du capitalisme? 

On le sait, le dividende est la rémunération du capital, c’est-à-dire la rémunération d’un placement financier. Par sa nature, il n’est pas différent du taux d’intérêt affecté au livret A. En revanche, son utilité est bien plus grande. Le dividende rémunère en effet un apport financier à une entreprise. Cet apport permet de développer l’activité de celle-ci et d’accélérer la croissance globale de l’économie.

On n’ignorera pas ici les critiques récurrentes sur la volatilité des capitaux, qui s’explique en partie par le manque de corrélation entre les taux d’impôt sur les dividendes et la durée de détention des actions. Nonobstant ce point, qui mérite d’être traité en lui-même, sur le principe, la disparition des dividendes obligerait les entreprises, pour assurer leur développement, à s’endetter auprès d’une banque plutôt que de bénéficier de la confiance de ces porteurs de risque que sont les actionnaires. Car n’oublions jamais qu’un dividende est versé quand l’entreprise dégage des bénéfices. En revanche, en cas de retournement, l’actionnaire qui a pris le risque d’apporter du capital à une entreprise peut tout perdre. 

Cette donnée-là n’est jamais prise en compte par les altermondialistes. L’actionnaire n’est pas un banquier qui prête de l’argent et qui peut le récupérer par tous les moyens. L’actionnaire est un partenaire, dont la qualité peut se discuter, mais qui n’est jamais sûr de gagner. L’année 2019 a commencé à le montrer avec des dégringolades boursières parfois douloureuses pour les porteurs. 

Faut-il comprendre, dans les critiques qui sont portées contre les dividendes, que les altermondialistes veulent favoriser une bancarisation à outrance de notre économie? Ils n’en ont probablement pas conscience, mais c’est bien le résultat de leurs prises de position. 

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