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1861 : quand l'héritier du trône Philippe d'Orléans s'embarquait vers l'Amérique pour faire la guerre de Sécession
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Bonnes feuilles

Les éditions l'Archipel publient Étonnantes histoires de l'Histoire d'Amélie de Bourbon Parme. Extrait 2/2.

Amélie de Bourbon Parme

Amélie de Bourbon Parme

Amélie de Bourbon Parme est journaliste et écrivain.

Docteur en histoire, responsable de collection chez Plon, directrice conseil chez EuroRSCG, elle a écrit deux romans historiques consacrés à deux de ses ancêtres.

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À dix-neuf ans, je me suis consacré à la liberté des hommes et à la destruction du despotisme. [...] Je suis parti pour le Nouveau Monde, contrarié par tous et aidé par aucun. »

Le 30 août 1861, Philippe d’Orléans se répète cette phrase du marquis de La Fayette pour mieux s’en imprégner. Posté sur le pont du Britannia, qui vient de quitter Lieth, le port d’Édimbourg, pour New York, il se sent, à vingt-trois ans, proche comme jamais du héros des Deux Mondes, ainsi surnommé pour son rôle dans les guerres d’Indépendance et de Sécession et la Révolution française.

Le bateau a quitté l’Écosse depuis quelques minutes et déjà, l’horizon semble infini. Quelque chose de neuf et de grand vient de s’ouvrir sous ses yeux. Et ce n’est pas la petite pluie fine qui va l’empê‐ cher de croire que son destin est enfin devant lui. Vers ce continent où se déroule la guerre de Sécession, qui oppose depuis quelques mois la confédération des États du Sud aux États du Nord. Après treize ans d’exil, lui, le prétendant au trône de France, le petit-fils du roi des Français Louis-Philippe, va enfin prendre les armes et renouer avec les origines glorieuses de sa famille. Il aperçoit alors la silhouette de son frère sur le pont.

— Je n’ai jamais été aussi impatient de rejoindre cette armée étrangère, lui lance-t‐il, l’air exalté. Pas toi ?

De deux ans son cadet, Robert reste muet, traînant son air ennuyé et hésitant.

— Te rends-tu compte ? reprend Philippe pour l’encourager. Nous allons enfin pouvoir montrer ce que nous valons !

Robert hausse mollement les épaules. Philippe ne peut s’empêcher de repenser aux affronts subis : n’a-t‐il pas été chassé de son pays par la Révolution de 1848, évincé de son destin et de sa place de prétendant au trône de France par la IIe République ? Le souvenir de l’insurrection républicaine qui renversa son grand-père en février 1848 est une défaite personnelle. N’était-il pas en première ligne pour lui succéder, depuis la mort de son père dans un accident de calèche ?

Même s’il n’était qu’un enfant de quatre ans, ce rendez-vous manqué avec le destin l’a marqué pour toujours. Comme si ça ne suffisait pas, il vient d’être recalé par ce parvenu de Napoléon III. L’empereur, qui a instauré le Second Empire en 1852, a refusé qu’il participe à la deuxième campagne d’Italie, sous prétexte qu’un prince issu de la famille royale ne peut servir dans l’armée française.

— Toi aussi, tu te prends pour La Fayette ! s’exclame Robert en s’accoudant au bastingage, le regard lourd d’une peine ancestrale liée au destin contrarié de la branche cadette des Bourbons.

— Et pourquoi pas ? Qui sait si cette campagne ne pourra pas enfin nous donner le lustre qui a permis à La Fayette de devenir un homme providentiel.

Malgré lui, Philippe n’en finit pas de vouloir faire prendre sa revanche à sa famille en rétablissant une monarchie parlementaire, juste synthèse, à ses yeux, entre son héritage royal et les idéaux révolutionnaires. Ce voyage doit lui permettre de conforter auprès de ses partisans, et même au-delà, son image de prince engagé et valeureux. Robert hoche la tête, peu convaincu.

— N’est-ce pas par les armes que notre grand-père a conquis sa légitimité auprès des partisans de la Révolution ? Il s’est distingué dans les armées républicaines en 1792. Puisse-t‐il en être de même pour nous, d’une manière ou d’une autre, poursuit Philippe.

Alors que le bruit du vent s’engouffre dans leurs pensées, Robert fronce les sourcils, comme à chaque fois qu’il prétend mettre de l’ordre dans son esprit.

— Peut-être, mais je ne pense pas que cette guerre nous permettra de redorer notre blason. Qui sait d’ailleurs si le président Lincoln voudra nous prendre dans ses rangs ?

Philippe recule, étonné.

— Et pourquoi pas ? Après tout, le fils du ministre de Charles X n’est-il pas allé rejoindre le camp des Confédérés ? Il faut bien rétablir l’équilibre !

Tout à coup, les pas d’un homme à la silhouette haute et élégante effleurent le pont du bateau. Il semble avoir apprivoisé la mer. Avant d’être leur oncle, le prince de Joinville est un marin qui ne sait pas passer plus de deux mois sur la terre ferme. Il a pris ses neveux sous son aile depuis la mort de leur père, et c’est lui qui les a entraînés dans cette aventure.

— Notre cousin le comte de Chambord n’a pas eu ce courage, ajoute le prince. Philippe ne relève pas.

Le comte de Chambord soutient l’ordre établi et l’ancien monde. Même de l’autre côté de l’Atlantique, les Orléans et les Bourbons, meilleurs ennemis depuis des lustres, se démarquent, chaque camp soutenant l’adversaire de l’autre. La guerre continue sous d’autres masques. Même si le régime impérial l’a relégué lui aussi dans le camp adverse, le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, descendant de la branche aînée des Bourbons, est son rival. Âgé de quarante et un ans, il bénéficie d’une aura de sagesse et d’un prestige lié à la mort de son père, le duc de Berry, poignardé par un partisan de Napoléon. Même si le comte de Chambord prétend restaurer une monarchie digne de l’Ancien Régime, Philippe ne peut s’empêcher de voir en lui un concurrent de la cause monarchique. Peu après leur arrivée à New York, les princes rencontrent le président Abraham Lincoln. Ils sont frappés par l’allure de cet homme maigre, à la barbe brune, et au nœud papillon tordu. Une force étonnante émane de cette silhouette dont le visage est creusé par le temps.

— Êtes-vous prêts messieurs à vous battre à nos côtés comme n’importe quel soldat ? Aucun égard ne vous sera accordé.

Le président les observe, tels des spécimens d’une race disparue, aux caractéristiques mystérieuses.

— Monsieur le président, déclarent Philippe et Robert d’une même voix, c’est exactement ce que nous voulons.

Quelques jours plus tard, les deux princes sont attachés à l’état-major du général George McClellan, commandant de l’armée du Potomac, sous les noms des capitaine Paris et capitaine Chartres.

Un an plus tard, le comte de Paris, son frère et son oncle embarquèrent à destination de l’Europe, non sans avoir gagné quelques batailles. Le général McClellan ne tarira pas d’éloges sur ses recrues, « de chics types et de remarquables soldats ». Si l’engagement du prince héritier contribua à le rendre populaire dans les milieux les plus ouverts et les plus républicains, il ne suffira pas à le remettre au centre du jeu politique.

Après le Second Empire, il ne parviendra pas à restaurer une monarchie constitutionnelle. Il devra même s’incliner devant le comte de Chambord qui restera le représentant des partisans d’une monarchie traditionnelle, loin du rêve de jeunesse de La Fayette.

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