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Ces infections résistantes aux antimicrobiens qui pourraient faire plus de morts que le cancer d’ici 30 ans
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Danger

La résistance des bactéries aux antibiotiques est devenue une forte préoccupation et une priorité de santé. Cependant, on ne parle pratiquement pas de la résistance des champignons microscopiques aux antifongiques. Un autre problème très préoccupant et qui fait l'objet de plusieurs études scientifiques.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : On parle énormément de la résistance des bactéries aux antibiotiques qui est devenue une forte préoccupation et une priorité de santé. On ne parle pratiquement pas de la résistance des champignons microscopiques aux antifongiques. Pourtant, c'est un autre problème fort préoccupant. Qu'en est-il ?

Stéphane Gayet : Ces deux questions de santé paraissent en effet analogues. En réalité, elles diffèrent profondément. Cela est dû au fait que bactéries et champignons microscopiques n'occupent pas du tout la même place en pathologie médicale.

Pourquoi ne parle-t-on pas ou que très peu des infections fongiques (infections à champignons) ?

Dans les pays à climat tempéré comme la France, les infections courantes sont principalement virales et bactériennes. Il y a en effet beaucoup de souches virales et bactériennes pathogènes qui circulent et déterminent des infections, y compris chez les individus en bonne santé. Le rhume, la pharyngite et l'angine, la sinusite, la laryngite, la trachéite, la bronchite et la bronchiolite aiguës, la pneumonie, la méningite, la maladie de Lyme, la gastroentérite aiguë, l'entérocolite et la colite aiguës infectieuses, la cholécystite et l'angiocholite aiguës, l'hépatite aiguë, l'infection urinaire basse (la cystite) ou haute (pyélonéphrite), la salpingite, l'endométrite, la prostatite, ainsi que toutes les maladies infectieuses dites de l'enfance (la coqueluche, rougeole, rubéole, les oreillons…), sans oublier la peste, le choléra, le typhus, la fièvre typhoïde, la tuberculose, la lèpre, la syphilis, la gonococcie, la chlamydiose, etc. sont toutes sans exception des maladies infectieuses virales ou bien bactériennes.

C'est lié au fait que ces agents infectieux sont adaptés à l'Homme qui constitue le plus souvent leur réservoir principal, et que leur pouvoir pathogène est également adapté à l'Homme. Et en effet, l'être humain même immunocompétent (c'est-à-dire ayant de bonnes défenses immunitaires) peut développer de telles infections et c'est ce qui se produit souvent.

Par ailleurs, certaines infections sont parasitaires (toxoplasmose, vers intestinaux, douve du foie, échinococcose, gale…)

Dans les pays à climat chaud, les infections parasitaires sont nettement plus fréquentes qu'en France : le paludisme ou la malaria, la trypanosomiase, l'amibiase, les filarioses, les bilharzioses ou schistosomiases, etc.

Les infections fongiques ou mycosiques sont beaucoup moins courantes ; il faut cependant mettre à part, premièrement les infections fongiques dermatologiques froides (lentes ou chroniques : les dermatophytoses), qui touchent la peau et les phanères (cheveux, poils, ongles) et deuxièmement les candidoses (infections à candida : c’est un genre de champignon microscopique de type levure) des muqueuses (bouche, pharynx, œsophage, intestin grêle, vagin, pénis) ; ces dernières ne se développent pas de façon inopinée, mais le plus souvent dans un contexte médical particulier (traitement antibiotique, chimiothérapie anticancéreuse, oestroprogestatifs, diabète déséquilibré…). Ce décalage de fréquences entre, d’une part les infections virales et bactériennes, et d’autre part les infections fongiques, est lié essentiellement à un plus faible pouvoir pathogène des champignons microscopiques.

Les seules infections fongiques ou mycosiques qui soient vraiment préoccupantes sont les infections dites viscérales, ou encore profondes, invasives ou systémiques (systémiques : en mesure de se développer dans tout le corps, du fait de leur diffusion dans le réseau sanguin ou lymphatique). Ces infections sont souvent graves et non rarement mortelles.

La vérité est que ces infections fongiques viscérales ou invasives ne surviennent pratiquement que chez des personnes qui sont immunodéprimées ; il peut s'agir d'immunodépression congénitale (présente dès la naissance et due à une faiblesse innée et anormale du système immunitaire), d'immunodépression en rapport avec une infection (le sida est le type même de la maladie infectieuse qui affaiblit l'immunité), d'immunodépression liée à un cancer ou au traitement d'un cancer, ou encore d'immunodépression induite par un traitement immunosuppresseur, prescrit pour une maladie non cancéreuse, mais assez grave (formes sévères de sclérose en plaques, de maladie de Crohn, de polyarthrite rhumatoïde…). Il en résulte que ces infections fongiques viscérales surviennent principalement en milieu hospitalier ou à domicile entre deux séjours hospitaliers. Les deux genres de champignon microscopique les plus fréquemment impliqués dans ces infections sont le genre Candida (Candida albicans, Candida auris…) et le genre Aspergillus (Aspergillus fumigatus…).

Quels sont les médicaments utilisés pour traiter les infections fongiques ou mycosiques ?

Il n’est jamais inutile de rappeler que les antibiotiques sont des antibactériens : ils n’attaquent que les bactéries et sont en règle générale inopérants sur les champignons microscopiques. Par conséquent les antifongiques ou antimycosiques sont radicalement différents des premiers.

Les antifongiques systémiques (pas ceux destinés à la peau, ni aux muqueuses) sont à la fois beaucoup moins nombreux, plus coûteux et plus toxiques que les antibiotiques. La recherche peine à trouver de nouvelles molécules dans ce domaine.

Alors qu’il existe plus d’une dizaine de familles d’antibiotiques, il n’existe qu’à peine quatre familles d’antifongiques : les polyènes (amphotéricine B), les azolés (fluconazole, itraconazole…), les antimétabolites (flucytosine) et échinocandines (caspofungine, micafungine…).

Il faut bien faire la différence entre les antifongiques ou antimycosiques destinés à la peau et aux muqueuses (ce sont des médicaments appelés topiques, parce qu’ils n’agissent que localement) et les antifongiques ou antimycosiques destinés à l’ensemble du corps, qui sont appelés systémiques.

Depuis plusieurs années, les infections fongiques systémiques qui surviennent en milieu hospitalier et logiquement chez des personnes (adultes et enfants) immunodéprimées, deviennent très résistantes, au point que des patients en meurent. Ce phénomène de résistance aux antifongiques est devenu particulièrement préoccupant. Si l’on en parle très peu dans la presse généraliste, c’est dû au fait que cette résistance ne concerne presque pas la population générale, mais uniquement les personnes très immunodéprimées et généralement hospitalisées. Il s’agit très souvent de malades en situation critique (cancer d’organe ou cancer hématologique, autre maladie très sévère…) et la très forte résistance des champignons aux antifongiques fait que, en cas d’infection fongique, l’évolution devient vite incontrôlable, avec le risque élevé d’évolution fatale, imparable. Car, sur un terrain d’immunodépression sévère, une infection fongique systémique présente une forte tendance à évoluer de façon particulièrement rapide et même dans certains cas, foudroyante.

Pourquoi en sommes-nous arrivés à un tel niveau de résistance aux antifongiques ?

C’est un phénomène très proche de celui qui se produit avec les antibiotiques. Les antibiotiques sont utilisés de façon très massive dans les élevages d’animaux destinés à l’alimentation humaine. La consommation d’antibiotiques dans les divers élevages d’animaux destinés à l’alimentation est de l’ordre de 500 tonnes par an, ce qui est énorme. Ce sont les élevages intensifs de volailles, d’agneaux, de porcelets, de veaux et de poissons, entre autres. Plus les animaux sont élevés en forte concentration et sont jeunes, et plus ils sont réceptifs aux infections bactériennes. Une diarrhée ou une pneumonie aiguës bactériennes, dans un élevage intensif, cela évolue très vite vers l’hécatombe. C’est pour cela que l’on a pris l’habitude de donner systématiquement des antibiotiques par voie orale (granulés mélangés à l’alimentation) à tous ces animaux. Les antibiotiques diffusent dans l’ensemble du corps de l’animal et sont retrouvés dans la chair, comme dans la plupart des viscères. Sachant qu’ils finissent par être éliminés par voie biliaire ou rénale selon l’antibiotique, il y a une règle exigeant d’arrêter de donner des antibiotiques quelques jours avant l’abattage, pour laisser le temps à l’organisme de les éliminer ; mais cette règle est très mal respectée. En toute logique, on retrouve les antibiotiques dans la chair et les abats de l’animal ; beaucoup peuvent résister à la cuisson. Ainsi, on finit par les retrouver dans notre assiette, et nous les ingérons avec les produits carnés et leurs dérivés. Ces antibiotiques font alors des dégâts dans notre microbiote digestif (flore intestinale), qui devient résistant aux antibiotiques (les antibiotiques utilisés chez les animaux et ceux utilisés en médecine humaine sont pratiquement les mêmes, à quelques différences près). Par ailleurs, du vivant de l’animal, les antibiotiques ont eu le temps de sélectionner des bactéries résistantes au sein de son microbiote ; ces bactéries se retrouvent dans les viscères digestifs surtout, et parfois aussi dans la chair (car certains animaux ont des bactériémies post-prandiales, c’est-à-dire des passages de bactéries dans le sang à partir du tube digestif, pendant la digestion ; c’est particulièrement le cas du porc). Il est donc possible d’ingérer directement des bactéries multirésistantes aux antibiotiques, et encore vivantes si la cuisson n’a pas suffi à les tuer, ce qui est loin d’être improbable (la cuisson douce est à la mode).

Bien sûr, le monde agro-alimentaire a entrepris des actions en faveur de la réduction de la consommation d’antibiotiques, mais avec plus de 10 ans de retard par rapport au monde médical. Des progrès existent, mais ils sont encore insuffisants.

Il faut encore ajouter que certains antibiotiques ont durant des décennies été donnés aux animaux d’élevage, non pas afin de prévenir les infections épidémiques, mais comme facteurs de croissance (parce qu’ils font produire de la graisse, selon un mécanisme complexe faisant intervenir le microbiote digestif). Cette pratique est en principe interdite en Europe.

Il s’avère en fin de compte que la principale cause de la multirésistance des bactéries aux antibiotiques est en réalité agro-alimentaire et non pas médicale ; mais on préfère culpabiliser les médecins et les patients, car ils ne constituent pas un puissant lobby.

Il est toujours bon de préciser ou rappeler qu’en France, l’industrie agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique, sont deux gigantesques puissances économiques, inattaquables ou presque. C’est ainsi ; on peut toujours essayer de lutter… Certains lanceurs d’alerte luttent tout de même, mais avec beaucoup de difficultés. Ce n’est pas de la théorie du complot, mais une réalité indéniable. « Est-ce que ce monde est sérieux? » (Francis Cabrel, La Corrida). Personne ne peut nier que, afin de générer des profits phénoménaux, on sacrifie la santé de la population. Comment y mettre fin ?

Du côté des antifongiques, c’est très comparable, mais cela concerne cette fois les cultures et les aliments végétaux.

L’utilisation des antifongiques en agriculture est motivée par les dégâts des attaques des cultures par divers champignons microscopiques. En fonction de leurs caractéristiques biologiques, ces champignons infectent l’un ou l’autre des organes de la plante (racines, tiges, feuilles, fruits) et ces infections peuvent survenir à tous les stades de culture. Les conséquences de ces maladies sont loin d’être négligeables : elles provoquent des dégâts qui ont toujours des répercussions économiques (depuis la simple tache sur le fruit qui entraîne un déclassement du produit à la vente, jusqu’à de très sérieuses pertes de rendement). La lutte contre ces champignons microscopiques en agriculture passe d’abord par un ensemble de méthodes préventives (choix de variétés végétales peu sensibles aux maladies, limitation de la contamination primaire par une mise en œuvre de méthodes d’asepsie…) et par une surveillance étroite des cultures potentiellement contaminées. Cependant, cette lutte doit le plus souvent être complétée par l’utilisation de produits antifongiques. Et en réalité, cette utilisation est devenue intense, d’où l’apparition de résistances des champignons microscopiques aux antifongiques, souvent appelés produits fongicides. Ils font partie, avec les produits herbicides, insecticides et acaricides, des produits phytosanitaires couramment appelés pesticides.

Il est plus difficile qu’avec les antibiotiques d’obtenir des données chiffrées précises. Mais on constate une augmentation des consommations de fongicides. Ces champignons microscopiques, qui sont devenus (très) résistants aux antifongiques, finissent par se retrouver dans le corps humain par le biais de l’alimentation.

Où en est le niveau de résistance des champignons microscopiques en agriculture ?

Le niveau de résistance des champignons microscopiques aux antifongiques en agriculture peut être très élevé (exemple du mildiou de la vigne vis-à-vis des strobilurines) ou relativement faible (cas de certaines souches de septoriose du blé vis-à-vis des triazolés). Une surveillance annuelle de ces phénomènes de résistance est programmée par la Direction générale de l’alimentation au ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche (DGAL) ; et elle est mise en application par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail à Lyon (ANSES-Lyon) ; et pour certains thèmes, elle est déléguée à des unités spécialisées de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Ces plans de surveillance répondent à la nécessité de contrôler le maintien de l’efficacité des antifongiques autorisés et à celle de limiter la dispersion dans l’environnement de ces produits antifongiques. Ce dernier point est en complète adéquation avec le plan Ecophyto 2018 du ministère, qui visait une réduction de 50 % de ces produits en agriculture, mais…

Cette surveillance peut déboucher sur des conseils concernant les stratégies de traitement, émanant de groupes de travail spécifiques, ou sur la réduction du nombre d’applications autorisées sur la culture des produits en cause, ou bien encore sur le retrait de leur autorisation. Actuellement, ces actions de surveillance prennent de plus en plus d’importance du fait d’une progression des phénomènes de résistance. Mais les résultats ne sont pas du tout au rendez-vous.

Où en est le niveau de résistance des champignons microscopiques en médecine ?

La résistance des champignons microscopiques aux antifongiques en médecine humaine, qui a été constatée au cours de ces dernières années, concerne principalement celle d’Aspergillus fumigatus aux azolés, ainsi que celle des levures du genre Candida au fluconazole et plus récemment aux échinocandines. Cette résistance est un problème indéniable, mais elle est bien loin d’atteindre le niveau de préoccupation qui est celui de la résistance des bactéries aux antibiotiques.

En médecine vétérinaire, la résistance aux antifongiques est souvent évoquée en cas d’échec thérapeutique, mais en fait, les preuves d’une réelle résistance microbiologique ne sont que rarement apportées en pratique vétérinaire.

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