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La petite histoire du stylo à bille ou la grande saga de l’entreprise BIC
©Wikimedia Commons

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Cet été sur Atlantico, Jean-Marc Sylvestre retrace la saga des grandes marques françaises. De leur naissance à leurs mutations forcées, ce sont des histoires d’hommes et de femmes, de rencontres, de trahisons mais surtout de succès. Aujourd’hui, la petite histoire du stylo à bille ou la grande saga de l’entreprise BIC.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Bic, c’est d’abord un stylo à bille, connu dans le monde entier, mais c’est aussi une entreprise qui continue d’être contrôlée et gérée par la famille. Le potentiel de développement est passée sous la responsabilité de la troisième génération. Le petit-fils aura la charge de transformer BIC en un groupe digital.

L’entreprise Bic est étonnante. Par les souvenirs, la nostalgie que Bic évoque. Le stylo à bille qu’on avait à l’école… Plus tard,  ça a été le briquet avec lequel on allumait les premiers pétards… Dans les épiceries de quartier, Bic n’était jamais très loin des boites de Carambar ou de mistral gagnant… 

Bic est une marque tellement quotidienne, tellement ancienne qu'on en a oublié qu'elle est encore aujourd’hui la marque française la plus connue dans le monde. Le symbole mythique de la société de consommation. La marque existe presque 75 ans. En apparence rien n’a changé. Et pourtant, tout a évolué. Les technologies, le marketing, les modes de distribution …

La taille de l’entreprise donne le vertige : près de 2 milliards d’euros de chiffres d’affaires et 180 millions d’euros de résultat. 17% de marge. Difficilement imitable dans un secteur comme celui de la consommation. Le volume des productions est encore plus impressionnant. Près de 20 millions de stylos à bille aujourd’hui, vendus par jour dans 160 pays. Bic vend aussi 7 millions de rasoirs par jour et 4 millions de briquets par jour.  

Presque la moitié des ventes se fait en Amérique du Nord, l’autre moitié se répartit entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Dans tous ces pays, la marque est numéro 1 du marché pour les stylos, et les briquets, numéro 2 pour les rasoirs non rechargeables.

Le projet de Bic, ce n’est pas de fabriquer des stylos digitaux ou des rasoirs connectés à internet. Le sujet pour Bic, c’est d’élargir sa gamme de produits mais c’est surtout d’envahir la seconde moitié de la planète. Les 7 milliards d’êtres humains qui peuplent la planète connaissent peut-être la marque, mais la moitié ne sait encore ni lire, ni écrire. On peut tout miser sur la formation par le digital oui, mais on peut aussi apprendre à écrire avec un Bic cristal à 10 centimes. 

Bic, entre tradition et évolution

 « Invent the future » ou comment adapter le roi du stylo à bille et du rasoir à l’ère du digital. C’est le plan de Gonzalve Bich, 39 ans, petit-fils du fondateur Marcel Bich, et fils de Bruno. Bruno Bich, le premier à avoir succédé à Marcel avait contribué à maintenir le cap et la performance. Tout en continuant l’expansion mondiale de Bic. 

Gonzalve, lui, doit adapter l’entreprise à la modernité dans laquelle il a toujours vécu. La technologie, les réseaux, il connait même s’il est loin d’être un autodidacte puisque passé par Harvard et la NYU. 1er test, quand il est rentré dans l’entreprise familiale, le jeune Gonzalve, a dû aller débroussailler le marché asiatique, le marché de demain. Aujourd’hui lui revient la direction générale alors que Pierre Vareille l’épaule à la présidence du groupe. Rien n’est inné chez les Bich et tout s’acquiert.

Son grand défi, c’est de changer l’image du produit, l’histoire qu’il raconte. Bic a fait fortune en devenant la marque fétiche de la société de consommation. Le coup de génie au départ, c’est d’avoir conçu des produits jetables. J’achète, je consomme, je jette, je rachète, je jette. Il y a trente ans, le concept était génial. Mais ça c’était avant. Du temps de Marcel Bich.   

Aujourd’hui, ce concept est ringard dans l’esprit du consommateur. Parce que le consommateur se veut plus sobre, plus rationnel. Il faut faire attention à l’environnement. Le miracle pour Bic, c’est qu’avec un contenu technologique beaucoup plus sophistiqué, les produits ont l’impertinence de répondre aux valeurs nouvelles du consommateur. Je n’achète plus pour posséder et accumuler ou pour jeter. Non, j’achète pour utiliser, je n’achète plus un objet, j’achète un service. Bic c’est un service, un service universel dans le monde entier. 

Et cette histoire moderne, qui répond aux attentes contemporaines, Bruno Bich l’a initiée et Gonzalve la perpétue.

Prenez le briquet, c’est le fumeur qui a fait son succès. Mais aujourd’hui, alors qu’on a appris à moins fumer, le briquet est resté incontournable parce que le briquet, c’est le feu, le feu de cheminée, le barbecue, c’est la lumière, celle de la bougie, c’est la fête ou la prière. C’est la vie. Les ventes de briquets n’ont pas baissé. Etrange ? Non.

Prenez le rasoir. Ce n’est pas un produit de luxe. Non, on achète le moins cher possible pour son usage, son utilité. C’est l’outil le plus simple et le plus rapide pour se sentir propre et la propreté, c’est aussi la santé, donc la vie. Aujourd’hui, Bic a lancé le rasoir unisexe uniquement disponible sur Amazon.

Alors, Bic a déjà rompu les digues qui protège l’Inde. Le défi pour les dirigeants d’aujourd'hui, c'est donc de pénétrer le marché chinois. Comment fait-on pour convaincre des Chinois que les Bic cristal sont beaucoup plus performants que les copies qu’ils bricolent dans les faubourgs de Shanghai?

Dans une dizaine d’années, avec l’appui des moyens digitaux de communication, les réseaux sociaux, les experts estiment que les Chinois choisiront définitivement l’authentique. En Asie, Bic va sans doute se sécuriser un demi-siècle de croissance.

Le génie du fondateur, Marcel Bich 

Le succès mondial de cette entreprise est directement imputable à l’énergie du fondateur. Marcel Bich a tout inventé, tout construit, tout prévu. Il est responsable de tout. Il est mort en 1994 à 80 ans. Depuis qu'il est parti, tout ce qui a été fait dans l’entreprise correspond à l’ADN qu'il avait écrite.

Marcel Bich est né baron. Baron, parce que son père était baron de cette noblesse savoyarde du XIXe siècle et que la Savoie était une province italienne. Le père est ingénieur, il n’a pas de fortune et a la bougeotte. Turin d’abord, Rome ensuite, puis Madrid…puis la France en 1925 pour monter une entreprise dans l’agriculture. 

Pendant que le père travaille, Marcel est placé chez les dominicains à Arcachon. Il y apprend l’éducation, la tolérance, le goût de l’effort, le sens de la responsabilité. A 16 ans, il est admis au lycée Carnot pour une prépa mais filera à la fac de droit pour passer sa licence.  Il ne se plait guère parmi ses fils de bourgeois, il est mal habillé, il se sent étranger, obligé de cumuler les petits boulots pour vivre. 

Marcel Bich est naturalisé français avec ses parents en 1930. Mais en Italie, Mussolini vient de pactiser avec Hitler pour poignarder la France. L’Italie, c’est son pays aussi. Le jeune homme acquiert la conviction que l’avenir passera par la disparition de tous ces murs, de toutes ces frontières, de tous ces nationalismes. Son pays, c’est le monde.

A la Libération, Marcel Bich entre dans une petite fabrique d’encre et de matériels de bureau. Ca marche, mais pas question de rester toute sa vie directeur de production pour faire fructifier une affaire qui ne lui appartient pas.

En quelques années, il a tout appris des encres d’écritures, il sait les modes de fabrication. Avec Edouard Buffard, un ami, ils ont une idée de stylos qui pourraient marcher…

Cette idée, Marcel Bich expliquera qu’il l’a trouvée en poussant une brouette à la campagne.  Le terrain était boueux et la brouette laissait donc une trace sur le sol en roulant. Il s’est dit, lui, le spécialiste des encres que si on laissait couler de l’encre sur la roue, la roue déposerait une trace.  D’où l’idée d’imaginer une roue minuscule à la pointe d’un réservoir d’encre pour pouvoir écrire sur du papier.

Les deux compères savent ce qu’il faut faire. Ils dégottent un atelier de 300 mètres carrés à Clichy, 18 impasse des cailloux. Le local est minable, il reste deux machines rouillées. Peu importe, ils l’ont acheté avec leurs économies, au total 500 000 francs, de nos jours, ça équivaudrait à 50 000 euros.

Et bien ces 50 000 euros représentent les seuls fonds propres engagés par les deux associés. Aujourd’hui, le groupe vaut 6 milliards d’euros. Les Bich en possèdent plus de la moitié. 

La société PPA, pour porte-plume, porte-mines et accessoires, dont le président directeur général est Marcel Bich, débute son exploitation le 25 octobre 1944. Marcel Bich a trente ans. Pendant les quatre premières années, il fera tourner son affaire en se consacrant à la sous-traitance pour les grandes marques comme Waterman. En réalité, il continue de travailler à la mise au point du stylo à bille. Son obsession est de fabriquer un stylo très simple, très propre, un stylo qui ne bave pas et qui trace un trait très fin et régulier. Un stylo qu’on jettera quand la réserve d’encre sera vide. 

En 1950, la pointe Bic fonctionne, le Bic cristal peut sortir. Il n’a aucun concurrent. Le succès est foudroyant en France, en Europe. Les instituteurs feront un peu de résistance mais abandonneront assez vite la plume Sergent major et l’encre violette.  Il ressemble comme un frère jumeau à ceux qu'on peut acheter aujourd’hui. 

En 1971, vingt ans après le lancement du stylo, Marcel Bich lance le briquet selon le même principe. Une technologie hyper sophistiquée, un mécanisme hyper sécurisé, un prix de vente dérisoire pour un produit qui sera lui aussi jetable. Pour aller vite, Marcel Bich va racheter Flaminaire, pas pour la marque mais pour l’usine bretonne de Redon qu’il va rénover et agrandir. Aujourd’hui encore, l’essentiel de la production de briquet sort de l’usine de Redon.

En 1976, cinq ans après le briquet, Marcel Bich annonce à ses collaborateurs que Bic va lancer un produit totalement nouveau et encore une fois, le maitre-mot de la marque, jetable : le rasoir Bic. Même concept, même couleur, même souci de la technologie, de la fabrication, même prix dérisoire et même mode de distribution.   

Pour Marcel Bich, on doit pouvoir acheter ses produits partout, en grande surface, au bureau de tabac, dans l’épicerie du coin ou dans les magasins de gare. Partout en France. Partout dans le monde…

Et même dans les océans. Dans la voile, alors que la France gagne sur tous les océans, Marcel Bich sent bien qu'il y a là un marché colossal qui est en train de s’ouvrir. Il aurait voulu racheter Bénéteau dit-on, mais il investit dans une entreprise de planche à voile du coté de la Trinité. La planche Bic gagnera l’estime des fidèles mais ne gagnera pas beaucoup d’argent. L’essentiel est qu'elle n’en perde pas. Marcel Bich ne l’aurait pas accepté, ses fils qui ont les commandes aujourd’hui non plus. L’entreprise existe, elle se diversifie dans le surf, le paddle, elle est solide. Très solide.

Bic a eu beaucoup moins de chance avec d’autres diversifications qu’il a tentées pensant que son concept pouvait se décliner à l’infini. La reprise des crayons Comte sera un échec, une marque forte mais décalée par rapport à l’univers des stylos Bic. Ces deux-là ne pouvaient pas se marier. Mais l'échec qui a le plus blessé l’entreprise, c’est le lancement raté d’un parfum jetable.

Devenu numéro 1 mondial, Marcel Bich a bien conscience d’avoir participé à l’émergence de la société de consommation. Marcel Bich refusera toutes les interviews, toutes les photos. Ses apparitions publiques sont extrêmement rares et sobres. Marcel Bich est mort en 1994. Il a laissé une entreprise en bon état, très organisée, et surtout il a tout prévu pour sa succession. 

Cette histoire est quand même extraordinaire. Celle d’un homme qui, en poussant sa brouette, regardait devant lui la roue qui dessinait un sillon sur la terre boueuse, a mis au point des produits qui ont été les vecteurs les plus emblématiques de la société de consommation. Le groupe français est numéro un mondial de sa catégorie.

La femme de Marcel Bich, Laurence, qui a raconté le parcours du baron dans un livre très touchant, confiait qu’au moment de sa mort et pour la première fois, il a regardé en arrière comme pour vérifier que la trace qu’il avait imprimée était bien droite. 

Cette histoire a fait l’objet d’un film, écrit et raconté par Jean-Marc Sylvestre. La saga Bic a été diffusée sur BFM Business, mais cette une histoire de famille est aussi accessible libre de droits sur « Youtube et Dailymotion ».

A produits jetables, succès durable, la Saga Bic, un documentaire exclusif signé Jean-Marc Sylvestre et Redtime.

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