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La méfiance du pouvoir central du Premier Empire à la Troisième République face à la cité lyonnaise
©JEFF PACHOUD / AFP

Bonnes feuilles

Jean Etèvenaux publie "Les grandes heures de Lyon" aux éditions Perrin. Située à la croisée des mondes germanique et latin, Lyon s'est façonnée au fil des siècles malgré une topographie difficile. Jean Etèvenaux raconte, siècle après siècle, l'histoire de la troisième ville de France, une ville cosmopolite et inventive. Extrait 2/2.

Jean Etèvenaux

Jean Etèvenaux

Docteur en histoire et diplômé de l'Institut d'études politiques de Lyon, membre du Pen Club français, Jean Étèvenaux préside la Société des écrivains et du livre lyonnais et régionaux. Enseignant et journaliste, il donne de nombreuses conférences, notamment sur l'histoire des deux Empires (il a été vice-président du Souvenir napoléonien). Il est l'auteur de nombreux ouvrages.

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« C’est Paris qui aura tout avec l’argent de Lyon. » Cette phrase, prononcée pendant l’année révolutionnaire 1848, d’un actionnaire déçu de la compagnie ferroviaire du Lyon-Avignon dont les travaux viennent d’être arrêtés entre Chalon-sur-Saône et sa ville exprime la persistance et, surtout, le renouvellement des vieux griefs contre la capitale. Elle dépasse, de loin, le ressentiment circonstanciel. Elle proclame la conviction que l’ancienne capitale des Gaules voit son développement sciemment entravé. 

Nul ne peut contester que Paris se défie de Lyon. La démocratie municipale qui se mettait en place à la fin de l’Ancien Régime et au début de la Révolution est restée sans lendemain. Les régimes succédant à Napoléon gardent soigneusement le principe de la désignation du maire. Napoléon III fait encore mieux, qui nomme les trente-six membres du conseil municipal et met à leur tête le préfet, assisté d’un secrétaire général pour la police. La mairie ne sera rétablie qu’en 1881 et l’élection du maire par le conseil l’année suivante ; mais les attributions de police resteront, malgré toutes les revendications des Lyonnais, du domaine du préfet. 

L’historien doit bien constater que le pouvoir central continue à considérer la cité comme un objet de méfiance. Le Premier Empire, la Restauration, la monarchie de Juillet, la Deuxième République, le Second Empire et la Troisième République la regardent, malgré des nuances, avec la même suspicion. Réputée royaliste – à cause de sa résistance à la Convention montagnarde –, bonapartiste – à cause de l’accueil réservé à Napoléon Ier et de son fameux « Lyonnais, je vous aime » – ou libérale – à cause du choix de beaucoup de ses députés –, elle n’est pas mieux traitée par les uns ou par les autres.

Sans méconnaître le caractère d’opposition précise à tel ou tel régime et sans minimiser l’ampleur des révoltes sociales et politiques, la constance de l’attitude frondeuse des Lyonnais au XIXe  siècle semble relever avant tout d’une approche girondine : ils ne supportent pas d’être traités en mineurs et de ne pas disposer au moins du pouvoir d’administration locale. La manifestation de leurs talents dans les autres domaines et une véritable expansion en économie et aussi dans tout ce qui ressort de l’esprit ne font que les conforter dans cette appréhension.

Entre la fronde et la révolte

Au début de la période, les relations avec le pouvoir central apparaissent excellentes. La ville fait figure de point de passage obligé pour Napoléon, lorsqu’il se rend en Italie ou lorsqu’il convoque, en 1802, les notables de la République cisalpine pour qu’ils lui en offrent la présidence. Après avoir dû, à sa première abdication, la traverser déguisé, c’est de là que, aux Cent-Jours, il promulgue les onze décrets réorganisant son pouvoir. Le maire, le comte Jean- Joseph Méallet de Fargues (1777-1818), est contraint aux palinodies d’usage et les Autrichiens reviennent pour la deuxième fois. Un homme se montre alors particulièrement sage, évitant d’engager ses concitoyens dans la voie de la résistance à outrance, le maréchal Louis-Gabriel Suchet (1770-1826), un des très rares lieutenants de Napoléon à avoir combiné l’efficacité militaire et le respect des civils. 

Le fait qu’en dix ans d’Empire le conseil municipal ne fasse frapper qu’une médaille à la gloire de Napoléon, alors qu’en cinq ans il en avait émis cinq pour le général Premier Consul, inclinerait à penser que la fidélité bonapartiste de la ville puisse être sujette à caution. Le passage par les armes du général baron Régis- Barthélemy Mouton-Duvernet (1770-1816), ancien commandant de la place qui s’était pourtant soumis à Louis XVIII, sert plus la mythologie antibourbonienne qu’elle ne témoigne d’un actif foyer contre la dynastie. Le complot découvert l’année d’après et suivi d’une dure répression ressort, lui, de la provocation. 

Des troubles, il s’en produit à plusieurs reprises. Le préfet s’efforce de décourager les candidats libéraux à la députation, tandis que la presse attaque le gouvernement. En 1829, le général de La Fayette (1757-1834) se fait acclamer, vingt mille Lyonnais défilent devant la tombe de Mouton-Duvernet et, un an plus tard, le duc d’Angoulême (1775-1844) est reçu assez fraîchement. 

Le comte René de Brosses (1771-1834), préfet sous Charles X, analyse finement la situation en 1828 quand il expose que la « tournure d’esprit d’indépendance assez commune dans les habitants du pays » pousse « à aspirer à la jouissance des privilèges des villes libres d’Allemagne ou des droits des cités républicaines de la Suisse ». Cela s’inscrit dans le contexte plus général qu’il a relevé quelques mois plus tôt : « Les esprits renaissent à 1789 et, si la Bastille était encore à prendre, elle ne tiendrait pas plus qu’alors. » 

On ne peut s’étonner que Lyon s’insurge ou que certains de ses habitants prennent les armes. En 1831 et 1834 éclatent pendant plusieurs jours deux révoltes dites des canuts, du nom des ouvriers en soie. Si la première ne comporte qu’un caractère économico-social –  les employeurs refusent de payer les prix obtenus avec l’arbitrage du préfet, du reste désavoué par Paris –, la seconde présente des connotations politiques certaines. D’abord parce que les républicains ont mené entre les deux une intense propagande et sont en liaison avec leurs amis de Paris, qui en font éclater une autre juste lorsque celle de Lyon s’achève. Ensuite parce que la population, prise dans le feu des combats, éprouve instinctivement de la sympathie pour les « révolutionnaires ». Enfin parce que le girondisme lyonnais décrit par certains trouve là l’occasion de se manifester. 

Quel qu’ait été le degré de conscience politique des centaines de victimes et des dizaines de condamnés, il faut reconnaître combien l’opinion contemporaine est frappée par cette insurrection, mais uniquement au point de vue social. La devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » va être reprise par les socialistes et même les communistes. La ferveur romantique de François-René de Chateaubriand (1768-1848), d’Alphonse de Lamartine (1790-1869), d’Alfred de Vigny (1797-1863), de Victor Hugo (1802-1885) et de Prosper Mérimée (1803-1870) se double d’observations réalistes d’Honoré de Balzac (1799-1850) – « le commerce de Lyon est un commerce sans âme » – et de Stendhal (1783-1842), sans oublier les accents de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), alors dans la ville : « J’écoutais mourir la ville en flammes. » Même des étrangers comme Franz Liszt (1811-1886), venu dans la cité dès 1826, sont sensibles au problème. 

Cette atmosphère est entretenue par les grèves jalonnant le siècle. Pour s’insérer dans l’histoire plus générale de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement ouvrier, elles n’en sont pas moins révélatrices de la ténacité lyonnaise. L’une d’entre elles frappe plus particulièrement car mettant en cause des femmes : pendant un mois, de la fin juin à la fin juillet 1869, deux milliers d’ovalistes cessent le travail. Les conséquences en sont surtout économiques, puisque va s’accélérer le départ vers les campagnes du moulinage et qu’en bénéficieront les entreprises les plus fortes. Quant au plan politique, il faut noter l’adhésion à l’Association internationale des travailleurs, mais, au congrès de Bâle qui se tient en septembre suivant, elles sont représentées par Mikhaïl Bakounine (1814-1876) qui y remporte un succès idéologique contre Karl Marx (1818-1883). 

Tandis que le féminisme qui aurait pu se développer à partir de ces revendications ne semble guère aller plus loin, l’aristocrate russe, lui, va participer directement à la dernière grande tentative insurrectionnelle lyonnaise  : la Commune. Il se trouve opposé à deux républicains de vieille date, qui choisissent la modération, l’avocat Jules Favre (1809-1880) et le médecin Jacques-Louis Hénon (1802-1872), qui personnifient l’opposition de la ville au Second Empire. Le 4 septembre 1870, la république est proclamée le matin, avant Paris – Jules Favre, dans la capitale, fait tout pour que les choses se déroulent avec un minimum d’ordre –, et, dans la foulée, comme le note Marx, un pouvoir communal s’installe. S’il n’est pas le seul en région, sa formulation – « Commune de Lyon – République française » – semble renouer avec les vieux rêves sinon indépendantistes, tout au moins autonomistes et girondins. 

Tout cela est très vite balayé, y compris Bakounine, qui a tardé à arriver sur les lieux, le 14 septembre : deux semaines plus tard, il échoue lamentablement dans son essai de prise de pouvoir. La tentative communaliste fait long feu, les délégués de la capitale réussissent à reprendre les rênes et la Commune de Paris n’éveille, en mars suivant, qu’une imitation sans lendemain. Lyon sera désormais républicaine, mais pas révolutionnaire. 

Comme il n’est pas possible de voir dans l’assassinat du président Sadi Carnot (1837-1894), le 24 juin 1894, une manifestation particulièrement lyonnaise, on ne fera pas de la ville un centre anarchiste, malgré des proximités comme celle de François Ravachol35 (1859-1892), des condamnations (pour propagande) intervenues dès 1874, des bombes en 1887 et, surtout, le procès en 1883 de soixante-six anarchistes dont le prince Pierre Kropotkine (1842-1921). Cela ressort surtout du folklore de l’époque. 

La ville donne surtout l’impression d’être disputée entre radicaux et socialistes. Les premiers sont au pouvoir avec Antoine Gailleton (1829-1904), maire de 1881 à 1900, qui sait s’accommoder de bien des situations, ne serait-ce que pour pousser à la modernisation de sa cité. Les seconds y arrivent avec Victor Augagneur (1855-1931), désireux d’agrandir les limites territoriales par l’annexion des principales communes avoisinantes. 

Il est vrai que la configuration a beaucoup changé.

Extrait du livre de Jean Etèvenaux, "Les grandes heures de Lyon", publié aux éditions Perrin. 

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