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Brexit : pourquoi la décision britannique fut révélatrice d’une crise profonde de l’identité britannique
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Bonnes feuilles

Alex Taylor publie "Brexit : l’autopsie d’une illusion" aux éditions Jean-Claude Lattès. Bouleversé et en colère après le Brexit, il choisit de devenir Français et obtient la nationalité française. À l’heure du repli sur soi, de l’explosion des populismes et des questions toujours plus cruciales sur l’identité, Alex Taylor répond par l’humour et la nuance. Extrait 1/2.

Alex Taylor

Alex Taylor

Journaliste et producteur, Alex Taylor a animé de nombreuses émissions. D’abord à FG puis pour France 3 (avec la célèbre émission « Continentales »), Pink TV et Arte. Journaliste à France Inter, à la BBC et à Vox (Allemagne), il a aussi été le directeur des programmes de RFI. Il a publié le Journal d'un apprenti pervers (Lattès, 2007) et Bouche bée, tout ouïe (Lattès, 2010). De septembre 2010 à juin 2011, il coprésente la tranche matinale de France Musique, avant d'animer sur cette même antenne une émission de rencontres « Voyage en moi Majeur ». Il a animé aussi sur France Inter la revue de presse internationale.

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53 % des Anglais ont voté le Brexit, 60 % dans certaines régions. Un sondage début 2019 montre que 35 % des habitants de l’Angleterre se sentent plus anglais que britanniques et leur nombre ne cesse de grimper. Combien pour le contraire ? 18 % seulement, et le nombre décroît. Près de la moitié des Anglais veulent un parlement anglais, même si aucun député ou représentant ne fait campagne pour le réclamer. C’est un thème largement absent des médias.

L’Angleterre n’a pas d’hymne. Peu d’Anglais connaissent la date de la fête nationale, le jour de ce même saint George (le 23 avril). Il ne faudrait pas leur dire que ce « héros national », quintessence même du Englishness, n’est pas de souche anglaise, étant le fils d’une famille grecque orthodoxe habitant en Syrie. 

Le Brexit a fait sonner le réveil du nationalisme anglais depuis longtemps mis sur le bouton « somnoler ». Ces agissements ne font qu’exacerber des velléités indépendantistes déjà plus retentissantes. L’autonomie consentie ces dernières années par Londres aux parlements écossais, gallois et en Irlande du Nord suscite déjà la polémique sur l’appel lation « pays ». Le pouvoir londonien en a donc trouvé une autre, dans l’un de ses moments les plus  abstrus : the devolved administrations (les administrations dévolues). 

À défaut d’être la grande panacée promise sur les bus, le Brexit risque d’être la sage-femme facilitant l’accouchement de l’indépendance écossaise ainsi que la réunification de l’Irlande. La plus grande incertitude sera de savoir lequel des jumeaux émergera le premier. Ces deux « pays » ont voté pour rester dans l’Union européenne, contrairement à l’Angleterre et au pays de Galles. Ce seront les premiers à vouloir trancher le cordon ombilical avec Londres.

Les journalistes français vont finir par avoir raison et pourront continuer à parler des « Anglais » qui quittent l’Europe. 

Les mots ont de l’importance. N’oublions pas qu’il y a le mot « Great » dans Great Britain. Il y a tout de même peu de pays au monde qui s’autorisent un tel compliment. On imagine sans mal l’accueil réservé aux Great United States of America, ou encore moins Grossdeutschland. La France a peut-être une certaine idée d’elle-même et de sa grandeur. Elle ne se pavane pas pour autant avec son nom. 

Impossible de déterminer quand l’adjectif « Great » fut acoquiné à « Britain ». La théorie la plus probable veut que ce soit l’arrogance du roi James Ier. Loin de lui l’idée d’être le simple roi d’une province de la Bretagne romaine (qui incluait l’Angleterre et une partie du pays de Galles). Il insista pour qu’on l’appelle The King of Great Britain. 

Autre signe de cette crise autour de l’identité britannique, on insiste aujourd’hui nettement plus qu’auparavant sur cet adjectif constituant. Un simple regard sur les programmes de télévision des chaînes britanniques suffit. On tombe rapidement sur The Great British Quiz, The Great British Swim (la natation), ou The Great British Darts show (les fléchettes). C’est l’une des raisons pour lesquelles les Brexitteurs n’ont pas pu copier le slogan de Trump « Make America Great Again ». Difficile de rendre sa grandeur à un pays qui « self-identifies » déjà si ostensiblement en tant que tel. 

Le meilleur exemple est l’émission qui caracole depuis quelques années en haut de l’audimat, The Great British Bake Off. Des apprentis cuisiniers rivalisent pour créer des cakes les plus extravagants. Ils tentent surtout d’éviter le blâme national qui attend tout pauvre candidat qui a le malheur de sortir du four la moindre création faisant preuve d’un soggy bottom (le fond mou). 

Ce n’était pas toujours ainsi. Même Mrs Thatcher parlait plutôt de « Britain » supposant sans doute qu’avec elle, sa grandeur n’avait nullement besoin d’être brandie de la sorte. Même la Reine parle toujours du « people of Britain ». Ce besoin récent d’auto-encensement est le propre d’un pays en pleine interrogation. Cela rappelle la phrase de la reine Gertrude dans Hamlet de Shakespeare qui pointe l’excès de zèle rendant peu convaincante toute déclaration trop empressée : « The Lady doth protest too much, methinks » (La dame proteste de trop, me semble-t-il). 

Pour autant, les velléités de ne pas être « britannique » ne s’arrêtent pas aux « pays ». Je le sais par expérience, ayant grandi dans une partie de l’Angleterre, la Cornouaille, où certains refusent depuis des siècles de se définir comme « anglais », et encore moins comme britanniques. Si l’on imagine toute la Grande-Bretagne comme un chauffeur de voiture, la Cornouaille en est le pied. Même sur cette extrémité du corps, le Brexit laisse quelques traces d’ADN, minimes certes, mais révélatrices.

Extrait du livre d’Alex Taylor, "Brexit : l’autopsie d’une illusion", publié aux éditions Jean-Claude Lattès. 

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