Progressisme, utilitarisme, émotivisme ... ce que le projet de loi bioéthique nous dit sur le système moral de nos contemporains<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Progressisme, utilitarisme, émotivisme ... ce que le projet de loi bioéthique nous dit sur le système moral de nos contemporains
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Modernité

Avalisé par le Conseil d'Etat, le projet de loi de bioéthique qui inclut la PMA sans père va être présenté au Conseil des ministres ce mercredi. Il étendra la PMA aux femmes sans enfants et aux couples de femmes... et envisage même des PMA post-mortem.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »

Atlantico : Avec l'adoption probable de la nouvelle loi de bioéthique, on peut se demander comment s'est construite la nouvelle morale qui a remplacé les systèmes moraux traditionnels. Que nous dit cette loi du système moral que nous reconstruisons ? 

Bertrand Vergely : La loi qui va être votée à propos de la PMA est une loi purement politique dépourvue de toute morale.

Quand on est moral on a la plus haute idée qui soit de l’être humain. Et, comme on a la plus haute idée qui soit de l’être humain, on a la plus haute idée qui soit  de l’homme, de la femme, de l’enfant, de la vie et de leur respect. Or, avec cette loi, cela va-t-il être le cas ?  

Des femmes seules ou des couples de femmes veulent aujourd’hui pouvoir faire un enfant sans homme, simplement avec le sperme d’un inconnu. Elles déclarent également pouvoir seules  élever  cet enfant. Les femmes qui poursuivent ce but ont comme projet de satisfaire un désir d’enfant sans passer ni par un homme en chair et en os pour le procréer ni par un père pour l’élever. Dans  ce projet, l’enfant existera-t-il ? Dans le désir de la mère ou des mères, certainement. Dans l‘amour qu’elles lui porteront, certainement. Dans l’absolu, non. Il n’aura pas d’existence pleine et entière.  

Un enfant a le droit d’avoir un père. Il a le droit de pouvoir mettre un nom et un visage sur son géniteur. Or, ici, ce droit ne sera pas respecté. La liberté des femmes désireuses d’avoir un enfant sans homme et sans père, le sera. L’enfant avec le droit d’avoir une filiation et un père ne le sera pas. 

Les femmes seules ou en couples veulent pouvoir être reconnues comme les égales des autres femmes qui ont des enfants. Avec cette loi, elles pourront l’être. Mais, au détriment de l’enfant. Sans père et sans géniteur avec un visage et un nom, l’enfant ne sera pas l’égal des autres enfants. La liberté des adultes passera avant la sienne.  L’égalité des adultes passera avant la sienne. Il ne sera  respecté ni dans sa liberté d’enfant, ni dans son égalité d’enfant, ni dans ses droits en tant qu’enfant. Quand on fait remarquer cela, la seule chose qui est répondue se résume à cette formule : « L’enfant s’adaptera ». Cela porte un nom : cela s’appelle du cynisme pur et simple.   

 La loi qui s’annonce est une loi pour les adultes. Pas pour les enfants. C’est une loi qui protège un féminisme idéologique  qui poursuit aveuglement le principe de la liberté absolue de la femme, comme si celle-ci  pouvait être seule au monde sans se préoccuper des autres et notamment des enfants. Cette loi est une loi qui protège également un égalitarisme idéologique tout aussi aveugle, pour qui l’égalité entre tous les couples doit passer, là encore, sans se préoccuper des autres et des enfants.  Cette loi vise enfin à faire plaisir à l’idéologie du droit à tout, très à la mode aujourd’hui. Elle se moque éperdument de faire plaisir à l’enfant. 

De ce fait cette loi,  qui va respecter le désir de certaines femmes de faire et d’élever des enfants seules sans homme et sans père, ne va pas respecter l’homme. Elle ne va pas respecter l’enfant. Elle ne va pas respecter la femme dans la relation homme-femme qui est à l’origine de notre humanité. 

En permettant que soit brisée la fraternité entre hommes et femmes faisant la vie ensemble et non chacun de leur côté, elle va mettre à mal le principe républicain de fraternité. En ne permettant pas qu’un enfant ait un père comme les autres enfants, elle va mettre à mal le principe républicain de l’égalité. En faisant passer les droits et la liberté des adultes au détriment des droits et de la liberté d’un enfant, elle va mettre à mal le principe républicain de liberté. En ne s’occupant que des adultes et de leur désir d’enfant, elle va mettre à mal les fondements moraux de la République. Elle va engager la République dans un déni suicidaire de ses propres principes fondateurs. 

Quelles en sont les origines philosophiques et historiques ?

Au XVIIIème siècle, un changement majeur a eu lieu dans le domaine de la morale. Jugeant que celle-ci n’aboutit qu’à des échecs en demandant aux êtres humains une perfection dont ils ne sont pas capables, les philosophes pragmatiques et utilitaristes anglo-saxons ont eu une idée : remplacer la morale ainsi que la religion par l’économie. 

La pauvreté étant la source de la délinquance, du vol et du crime, mais aussi de l’alcoolisme et de la prostitution, bâtissons une économie prospère. En supprimant la pauvreté, on supprimera la délinquance, le vol, le crime, l’alcoolisme et la  prostitution. Et l’on parviendra à bâtir une société morale, ce que la morale n’a jamais réussi à faire. Sans morale, on fera mieux que la morale. 

Ce projet ne s’est pas contenté  de séduire. Il a fait des ravages en devenant la nouvelle morale et la nouvelle religion du monde moderne. Comme l’a très bien dit Jean Baudrillard un jour : « La consommation est la religion d’un monde sans religion ». Il convient d’ajouter : elle est la morale d’un monde sans morale. Ainsi, aujourd’hui, qu’est-ce qui guide la loi bioéthique qui va être votée ? Le pragmatisme utilitariste purement économique inventé par le XVIIème siècle. Et, avec lui, le conséquentialisme, c’est-à-dire le fait de juger des choses, non plus d’après des principes, mais d’après leurs conséquences. Ainsi, quand on a des principes moraux la prostitution ou le sadomasochisme, jugés dégradants pour la femme et pour les hommes et les femmes en général, ne sont pas moralement acceptables. Aux yeux du conséquentialisme, tel n’est pas le cas. Si ces pratiques sont mutuellement satisfaisantes et mutuellement acceptées pour les adultes qui les pratiquent, pourquoi pas ? Au nom de quoi, peut-on les interdire ? Par extension, au nom de quoi interdire la zoophilie ou bien encore l’inceste ? 

Deux choses motivent ce pragmatisme utilitariste conséquentialiste : que ça marche et que ça plaise.  On se demande quels sont les fondements moraux qu’il y a derrière la loi sur la PMA qui va être votée ? On a la réponse.  Ces deux formules. Ça marche et ça plaît. En clair, ça ne pose pas de problèmes majeurs (ça marche) et c’est socialement accepté (ça plaît). Cela explique le raisonnement politique que l’on trouve derrière cette loi.

La société change. Les moeurs évoluent. Les sensibilités et les mentalités aussi. En matière de mœurs, ce qui n’était pas possible hier (le mariage gay) l’est aujourd’hui. Ce qui était inacceptable hier (les nouvelles parentalités) le devient aujourd’hui. La société est devenue tolérante, par calcul, sur la base d’un raisonnement simple totalement pragmatique et utilitaire : « Si je tolère les autres, les autres vont me tolérer. Donc, comme j’ai envie de faire ce que je veux et qu’on ne m’embête pas, je vais être tolérant ». 

Qu’est-ce qu’ont compris les politiques ? Si on veut gouverner le monde d’aujourd’hui, on n’a pas le choix : il importe d’être de son temps. Si on ne l’est pas, la société ne va pas marcher et  on ne va pas  plaire.  Des femmes seules, des couples de femmes demandent à faire un enfant ?  Ça commence à se faire un peu partout ? Les femmes, qui ne peuvent pas faire un enfant par PMA en France, vont en Belgique ? Si on veut que la société marche, si on veut plaire,  il faut suivre le mouvement et être de son temps. 

Hier, en tant qu’homme politique, on était contre la PMA ? Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On a changé. On a  évolué. On a fait un rapide calcul. Si on est  contre, on  va avoir tous les progressistes et tous les medias contre soi en se faisant traiter de réac homophobe. Constatant le cynisme de la loi qui va être votée et du monde qui se prépare des voix s’élèvent ? Qu’elles s’élèvent ! Politiquement que pèsent-elles ? Rien. Elles représentent le passé.   

 On se demande ce qui sert de morale aujourd’hui ? On a la réponse : la morale c’est ce raisonnement, ce calcul, ce pragmatisme utilitariste conséquentialiste  guidé par ces deux principes dépourvus de tout principe : l’efficacité sociale ici et maintenant et le bénéfice en termes d’image.  Est-ce moral ? Bien évidemment, non. La preuve : hier on était contre la PMA. Aujourd’hui, on est pour. Aujourd’hui, on est contre la GPA en clamant haut et fort : « La PMA, oui. La GPA, non » Si, demain, les sondages expliquent que 70 % des Français ne sont pas contre, on changera d’avis. On fera une loi bioéthique et on défendra ce que l’on attaquait hier, au nom de l’évolution, en expliquant qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. 

Quelles sont les limites que propose notre société ? Sont-elles suffisantes ?

Le monde dans lequel nous entrons ne pose aucune limite. En apparence, tout semble dire le contraire : se voulant tolérant, ouvert, bienveillant, il ne cesse de faire la chasse à l’intolérance et aux discriminations. Aussi est-on tenté d’être rassuré en se disant qu’un monde qui déteste l’intolérance et les discriminations  va nous garantir contre la violence et la folie,  et ainsi être moral et respectueux de l’homme. On rêve. Aujourd’hui, que voit-on ? Au nom de la tolérance et du refus de toute discrimination, on voit surgir des pratiques ultra-permissives frisant la folie, on voit surgir des minorités étranges fondées sur l’ultra-individualisme revendiquant le droit d’être comme on veut, comme on se sent et comme on le  décrète. Face à ces comportements extrêmes, nous sommes totalement démunis. Comme la tolérance et la bienveillance sont utilisées contre la violence, on n’imagine pas un instant que bienveillance et tolérance puissent être récupérées par cette même violence. 

Tant que nous vivrons gouvernés par le pragmatisme utilitariste et le conséquentialisme  avec comme mots d’ordre : « que ça marche ! » et « que ça plaise !  »,  on vivra dans un monde paradoxal, à la fois hyper-surveillé pour protéger les droits et, moralement, totalement  incontrôlable du fait de ces mêmes droits tout puissants. La seule chose qui pourra nous sauver d’une telle perspective proprement cauchemardesque sera un retour à une vraie morale, c’est-à-dire à une véritable haute idée de l’être humain, de l’homme, de la femme et de l’enfant que l’on respecte. C’est possible. On ne sait jamais. Qui sait ce que sera l’avenir ? Il se peut qu’un jour on prenne conscience du cynisme ambiant et de ses limites. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !