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Fini les trésors à déterrer : comment les missions archéologiques françaises à l'étranger sont devenues plus anthropologiques
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Paul Demoule publie "Trésors : Les petites et grandes découvertes qui font l'archéologie" aux éditions Flammarion. Jamais autant de trésors n'ont été découverts que ces dernières décennies. C'est cette richesse fascinante que Jean-Paul Demoule entend explorer dans cet ouvrage. Fouiller, c'est plus que jamais éclairer notre avenir. Extrait 1/2.

Jean-Paul Demoule

Jean-Paul Demoule

Professeur émérite de protohistoire européenne à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Jean-Paul Demoule a créé puis présidé l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Il est l'auteur de chroniques rédigées pour la revue Archéologia, à l'origine de ce livre, et a récemment codirigé Une histoire des civilisations (La Découverte/Inrap).

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Chaque année, quelque cent cinquante missions archéologiques françaises se déroulent dans des pays étrangers. Longtemps concentrées sur les sites les plus prestigieux du Bassin méditerranéen, de Delphes à Ras Shamra et de Louxor à Xanthos, avec leurs ruines spectaculaires, elles se sont peu à peu étendues à d’autres régions, mais aussi à d’autres périodes, compte tenu aussi des aléas de la géopolitique. Le dégagement de « trésors » par des masses d’ouvriers locaux a fait peu à peu place à des recherches plus anthropologiques et plus minutieuses.

UNE LONGUE HISTOIRE

La prise de possession du monde par les Européens à partir du XIXe siècle fut aussi archéologique. Aux militaires, aux marchands, aux missionnaires et aux diplomates s’ajoutèrent les archéologues. Ainsi de l’expédition de Bonaparte en Égypte, laquelle découvrit fortuitement la pierre de Rosette – que l’Angleterre récupéra après la défaite du corps expéditionnaire. Ce furent néanmoins les Français, avec Mariette et Maspéro, qui créèrent le service égyptien des Antiquités, traditionnellement dirigé par un français jusqu’au gouvernement Nasser. De même fut mis en place le service archéologique syrien, sous les ordres de René Dussaud, pendant le mandat français de l’entre-deux-guerres. Au milieu du XIXe siècle, diplomates anglais et français rivalisaient pour le contrôle des grands sites mésopotamiens. Un autre consul français, Degrand, entreprit avec l’École française d’Athènes les premières fouilles néolithiques en Bulgarie. Quant à la colonisation française du Maghreb, elle s’accompagna de la mise en place de services des Antiquités, paradoxalement appuyés sur une meilleure législation qu’en métropole, où le poids des sociétés savantes freinait toute réglementation. Enfin, il ne faudrait pas oublier l’ouverture forcée du Japon par les canonnières de l’amiral Perry, suivie des premières fouilles préhistoriques du pays, à Omori dès 1877 par le zoologue américain Edward Morse. Les deux Amériques et l’immense Russie seront bientôt explorées à leur tour par leurs archéologues.

ÉCOLES, INSTITUTS ET MISSIONS

Il fallait aussi des institutions scientifiques. Elles se concentrèrent longtemps sur le Bassin méditerranéen, sur l’Orient, la Grèce et Rome, là où les élites occidentales plaçaient leurs vraies racines culturelles – plutôt que dans l’Europe intérieure, vue comme une antique terre de barbares. En 1828 est fondé à Rome l’Instituto di Corrispondenza Archaeologica, logé dans l’ambassade de Prusse et centre d’un réseau d’érudits européens. Il débouchera sur l’Institut archéologique allemand, tandis que la France s’en détachera, créant l’École française de Rome après la guerre franco-prussienne de 1870. Notons qu’elle avait déjà fondé dès 1846, la Grèce à peine libérée de la domination ottomane, l’École française d’Athènes. 

Les autres grandes puissances occidentales firent de même, jalonnant l’Italie, la Grèce, l’Égypte et le Proche-Orient de leurs instituts qui, jusqu’à aujourd’hui, restent des points d’appui des fouilles archéologiques, centralisent leur documentation et aident à leur publication. 

On le mesure, cet héritage est complexe, à tel point que la France compte trois principaux types de structures de nos jours. Il y a d’abord les cinq « écoles » françaises à l’étranger, sous la tutelle du ministère de la recherche, soit Athènes, Rome, Le Caire (Institut français d’archéologie orientale), Madrid (Casa de Velasquez) et l’École française d’Extrême-Orient, relocalisée à Paris à la fin de la colonisation française en Indochine. S’y ajoutent les « instituts français de recherche à l’étranger », dépendant cette fois du ministère des affaires étrangères en collaboration avec le CNRS, au nombre de 27, mais dont une dizaine seulement est active en archéologie, comme à Beyrouth, Damas, Kaboul, Tachkent, Mexico, Khartoum, Lima, etc. 

Enfin, il existe chaque année des missions archéologiques, qui soit s’appuient sur les « écoles » et les « instituts » dans les pays où il en existe, soit créent leur propre logistique, avec éventuellement des bâtiments permanents. En tout, 140 à 150 missions sont organisées en moyenne chaque année, financées principalement, via un comité d’experts, par le ministère des affaires étrangères. 

Cette relation au ministère des affaires étrangères – plutôt qu’à celui de la recherche – apparaît aussi comme un legs du passé, du temps où l’archéologie était l’un des modes de présence, sinon d’appropriation, voire d’espionnage, des puissances occidentales dans leurs zones respectives d’influence. 

On sait que l’archéologie servit de couverture au célèbre Lawrence d’Arabie, agent d’influence de la politique britannique au Proche-Orient. Cet aspect particulier, que l’on pourrait trouver romantique, est devenu anecdotique, les « services » ayant enrichi leurs modes d’intervention ! Quoique… Ainsi, l’une des membres des équipes françaises qui ont coulé le navire pacifiste Rainbow Warrior en 1985 était passée par des chantiers archéologiques au Proche-Orient…

RIVALITÉS 

Ces missions sont rarement ponctuelles, étant donné l’investissement nécessaire pour organiser une fouille. Sur ces quelque 150 opérations annuelles, la moitié se déroule depuis au moins dix ans, un quart depuis vingt ans, et même un cinquième depuis au moins trente ans. Néanmoins, les objectifs se sont progressivement modifiés. À l’origine, les puissances occidentales se répartissaient les sites prestigieux de Grèce, Égypte et Proche-Orient. Delphes et Olympie firent l’objet de rivalités acharnées entre Français et Allemands. Chaque pays était donc responsable du dégagement et de l’entretien à long terme, sinon indéfiniment, d’un certain nombre de ces sites. Aujourd’hui encore, parmi ceux qui sont financés depuis plus de trente années, on compte par exemple pour la France ceux de Karnak et Saqqarah en Égypte, Mari et Ras Shamra en Syrie, Jerash en Jordanie, Xanthos et Porsuk en Turquie – et à l’avenant pour les autres nations occidentales. 

Ce poids historique reste palpable : jusqu’aux Printemps arabes, l’Égypte et la Syrie étaient les deux pays concentrant le plus de missions françaises. Les champs d’investigation se sont cependant peu à peu diversifiés. La géopolitique y a joué un rôle, avec la fermeture provisoire ou durable de nombreux pays du Proche et Moyen-Orient, Iran, Iraq, Lybie, Yémen, Afghanistan, etc., même si des missions ponctuelles y sont parfois possibles. C’est pourquoi les petits pays du Golfe, plus sûrs, attirent de nombreuses missions.

DES PAYS OUBLIÉS 

À l’heure actuelle, plusieurs régions restent cependant guère explorées par les missions françaises. Aux Amériques, elles se concentrent sur le Pérou et le Mexique, exceptionnellement plus au nord. Rares sont celles qui travaillent en Chine, en Inde ou au Japon, pays il est vrai souvent réticents à l’accueil. L’Afrique subsaharienne reste traditionnellement défavorisée, sinon pour la paléontologie humaine. En général, si les périodes « classiques » des grandes civilisations restent privilégiées, la protohistoire est montée peu à peu en puissance ; mais l’archéologie des périodes contemporaines est quasi inexistante. Reste aussi que les priorités ont changé. Fouiller sur le long terme un même site que rien ne menace et qui pose de graves problèmes de conservation, comme la brique crue en Orient, est sans doute moins prioritaire que de grandes opérations d’archéologie préventive, là où l’expertise française peut être la plus utile – comme cela est le cas à Angkor ou Alger. Ainsi, l’archéologie française à l’étranger est peu à peu sortie de son passé colonial pour se tourner vers des opérations plus collaboratives avec les pays d’accueil.

Extrait du livre de Jean-Paul Demoule, "Trésors : Les petites et grandes découvertes qui font l'archéologie", publié aux éditions Flammarion. 

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