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SpaceX : les acteurs privés sont-ils en train de gagner la bataille de l’espace contre Ariane ou la NASA ?
©Gregg Newton / AFP

Course aux étoiles

Le 25 juin dernier, Space X a fait décoller sa fusée Falcon Heavy emportant avec elle 24 satellites pour sa troisième mission STP-2. Un lancement particulièrement difficile qui montre que les acteurs privés sont désormais à la hauteur des agences spatiales étatiques.

Philippe Achilleas

Philippe Achilleas

Philippe Achilleas est professeur de droit international public.

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Atlantico : Le 25 juin dernier, Space X a fait décoller sa fusée Falcon Heavy emportant avec elle 24 satellites pour sa troisième mission STP-2. Cette mission, qui consistait à déposer ses satellites sur trois orbites différentes, a été qualifiée par Elon Musk lui-même de « lancement le plus difficile » de l'histoire de la société. Une avancée énorme pour le secteur privé qui semblerait en passe de gagner progressivement la bataille de l'espace contre Ariane ou la Nasa. Est-ce votre sentiment ?

Philippe Achilleas : C'est une question difficile. Je n'ai pas envie de répondre oui pour des raisons de cœur puisque cela signifierait que ça serait le début d'une suprématie américaine. Parce qu'aujourd'hui, seuls les Américains pourraient alors développer de grosses entreprises privées qui seraient les seules en mesure d'apporter les investissements massifs nécessaires à la conquête spatiale. Si ce scénario se dessine, cela voudrait dire que les entreprises dans le reste du monde seraient confinées à des lancements institutionnels. Or, il est très difficile de faire vivre une industrie spatiale uniquement sur de l'institutionnel. La réussite commerciale d'Ariane Groupe repose sur le fait qu'il soit leader sur le marché commercial parce que l'Europe n'a pas suffisamment de commande, civile ou militaire, pour alimenter son lanceur. Si en plus, malheureusement, les gouvernements –dans le cadre de leurs missions publiques- ne font pas systématiquement appels aux lanceurs européens, on risque de tuer petit à petit la filière en Europe. Et sans filière lanceur, l'Europe ne sera plus une puissance spatiale puisque ce qui la détermine est justement l'accès autonome à l'espace. C'est le scénario le plus sombre.

A cette difficulté s'ajoute le cas particulier de Space X qui repose sur un système commercial dual: d'une part, il vend les vols de manière plus onéreuse pour le secteur publique américain afin de peser sur les coûts sur le marché commercial. Ainsi, si les prix continuent à baisser sur le marché, Space X s'imposera inéluctablement. Si ça fragilise nos industries en Europe, nous ne serons plus une puissance contrairement aux Chinois ou aux Russes qui peuvent maintenir leur industrie spatiale.

Vous décrivez la naissance d'un trust à l'échelle mondiale qui empêcherait toute innovation et compétitivité dans le secteur pour les autres pays.

Exactement. De plus, je pense que cela ne serait même pas bénéfique pour le secteur américain. Si on arrive à un monopole dans le service des lancements commerciaux, cela n'est bon pour personne. C'est pour cela que Boeing se bat pour exister aux côtés de Space X. Si on se retrouve avec une seule entreprise, c'est dangereux également pour l'innovation. Le monopole n'est bon pour personne. J'espère que les Américains feront tout pour conserver au moins deux entreprises pour la préserver.

Dans les années 2000, la NASA avait déclaré qu'elle nepouvait plus être uniquement soutenue par des fonds publics pour ses projets futurs. Mais si finalement, tout n'est plus qu'un facteur d'argent, le privé pourra facilement imposer ses propres vus sur les projets.

Pour autant, ne peut-on pas s'en réjouir dans la mesure où c'est également un moyen de gagner une course historique, aux enjeux politiques et culturels au niveau international, de la même manière que l'était la course pour aller sur la lune pendant la Guerre Froide ? Quels sont les enjeux politiques au niveau international ?

Effectivement, il y a cette logique en toile de fond avec les puissances pris dans la course aux étoiles, ou à Mars. Mais le secteur privé  n'obéit justement pas aux mêmes règles que le secteur privé. Pour résumé, quand la NASA avait les moyens de soutenir le programme Apollo, le gouvernement s'était largement surendetté. Mais actuellement, la dépendance au privé fait que si les investisseurs –toujours du privé- n'ont pas un retour financier suffisant, ils risquent d'abandonner le secteur spatial. Dès lors, rien ne garantit que dans dix Space X sera toujours-là si le projet n'est pas considéré assez rentable. Avec la course à la lune, on acceptait de s'endetter par choix politique. Les entreprises privées, elles, ignorent tout d'un choix politique, contrairement à ce que font toujours la Chine et la Russie. Il y aura toujours des commandes publiques, mais si le marché n'est pas au rendez-vous, le secteur spatial reviendra ce qu'il était avant, c’est-à-dire une sorte de niche.

Finalement, que peut faire l'Union Européenne pour exister dans la course aux étoiles ? Devrait-t-elle compter sur les Etats-Unis, via une loi antitrust, pour garantir la compétitivité du marché ?

Il y a trois solutions. D'abord, maintenir une incapacité d'innover. C'est ce qu'on fait avec Ariane 6, les gammes de micro-lanceurs…etc. Ensuite, faire baisser les prix de production et donc de vente des lanceurs. Et puis, pourquoi pas un European Act où les gouvernements s'engageraient –pour leurs missions publiques- à acheter des lanceurs européens – ce qui n'est pas le cas actuellement. Certes, les pays européens présents dans le secteur sont convaincus de la nécessité d'acheter Ariane. Mais le problème est complexe et le suivant : convaincre, au nom de l'indépendance européenne, soutenir une entreprise française. De plus, on a une absence d'unité politique actuellement qui rend cela difficile. 

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