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Les maladies de Parkinson et d’Alzheimer : un défi pour les neurosciences
©FRED TANNEAU / AFP

Bonnes feuilles

Bernard Poulain et Etienne Hirsch publient "Le cerveau en lumières" aux éditions Odile Jacob. Mieux comprendre les relations de notre cerveau avec nos sens et nos comportements est un défi majeur pour appréhender le monde de demain. Une trentaine de spécialistes dressent un état des lieux des connaissances actuelles sur le cerveau et décrivent les nouveaux défis que les chercheurs devront relever au cours des vingt années à venir. Extrait 1/2.

François Mauguière

François Mauguière

François Mauguière est professeur émérite de neurologie à l’université Claude‑ Bernard‑Lyon‑I ; directeur de l’institut hospitalo‑universitaire (IHu) en émergence Cerveau et Santé mentale (Lyon) ; président du réseau thématique de recherche et de soins Fondation Neurodis ; président du Conseil français du cerveau ; ancien chef du service de neurologie fonctionnelle et d’épileptologie à l’hôpital neurologique Pierre‑Wertheimer de Lyon. Ses travaux de recherche concernent l’imagerie cérébrale par tomographie d’émission de positons, l’ana‑ lyse des signaux cérébraux enregistrés par EEG, magnétoencéphalographie et électrodes intracérébrales dans l’objectif de localiser la zone épileptogène chez les patients candidats à un traitement chirurgical de l’épilepsie et de comprendre les mécanismes cérébraux de la douleur et de la souffrance sociale.

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Jean-Christophe Corvol

Jean-Christophe Corvol

Jean-Christophe Corvol est professeur de neurologie ; pharmacologue ; directeur du centre d’investigation clinique neurosciences de l’Institut du cerveau et de la moelle (ICM), au CHU Pitié‑Salpêtrière ; coprésident du réseau national de recherche clinique sur la maladie de Parkinson (NS‑PARK/FCRIN). Ses travaux de recherche ont pour objectif de comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans la physiopathologie de la maladie de Parkinson et dans la réponse au traitement dopaminergique par des approches expérimentales dans les modèles précliniques et des approches génétiques et pharmacologiques chez les patients.

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Catherine Lubetzki

Catherine Lubetzki

Catherine Lubetzki est professeure de neurologie à Sorbonne université (faculté de médecine, hôpital de la Pitié‑Salpêtrière) ; cheffe du département de neurologie et coordinatrice du centre de ressources et de compétence sclérose en plaques de l’hôpital de la Pitié‑Salpêtrière ; membre du conseil d’administration de la Fondation Sorbonne université ; présidente de la section neurologie du Conseil national des universités ; membre de différents comités parmi lesquels le conseil scientifique de la Fondation ARSEP (association de recherche sur la SEP), le comité pédagogique de l’ECTRLMS (Congrès européen sur la SEP), le conseil scientifique du consortium international sur la SEP progressive (Progressive MS alliance). Son activité clinique est centrée sur la prise en charge diagnostique et thérapeutique des patients atteints de SEP ou d’autres pathologies inflammatoires du système nerveux central. En lien étroit avec cette activité clinique, elle codirige l’équipe « réparation dans la SEP » de l’ICM, dont l’objectif est le développement de stratégies pour combattre la neurodégénérescence et l’apparition/aggravation du handicap dans la SEP.

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Les maladies neurologiques peuvent se classer, selon les mécanismes qui les sous‑tendent, comme neurodégénératives, inflammatoires  dysimmunes, vasculaires, tumorales et fonctionnelles. Bien sûr, au‑delà du fait qu’elle ne saurait prétendre à l’exhaustivité, cette classification est critiquable, car elle évolue constamment avec le progrès des connaissances. Pour mémoire, la maladie de Parkinson a longtemps été considérée comme une névrose, avant que la dégénérescence des cellules produisant la dopamine soit identifiée comme étant à l’origine des symptômes moteurs qui en sont l’une des caractéristiques. Avec l’évolution des neurosciences et leurs progrès prévisibles au cours des vingt ans à venir, notre vision des mécanismes qui sous‑tendent les maladies neurologiques, mais aussi nos capacités de prédiction, de prévention et de prise en charge globale des patients seront largement modifiées par l’épidémiologie, la connaissance de l’impact environnemental, la génétique moléculaire, la bio‑ingénierie cellulaire, l’imagerie multiéchelle. Nous allons aborder ici l’état actuel des connaissances, les enjeux et les défis propres aux maladies neurologiques les plus fréquentes. Au sein de l’ensemble des pathologies neurodégénératives, les deux plus fréquentes sont les maladies de Parkinson et d’alzheimer. La sclérose latérale amyotrophique est plus rare, mais en revanche particulièrement sévère.

La maladie de Parkinson 

Les symptômes moteurs – tremblement, rigidité et lenteur des mouvements volontaires (bradykinésie) – sont caractéristiques de la maladie et ont longtemps été considérés comme les seules manifestations cliniques. Ce n’est que cent quarante ans après la première description clinique par James Parkinson (1817) qu’un déficit de la synthèse de la dopamine causé par une dégénérescence des neurones de la substance noire située dans le tronc cérébral a été identifié comme responsable de ces symptômes moteurs. Après une preuve de concept chez des lapins par Carlsson en 1957, il faut attendre encore dix ans pour la première utilisation thérapeutique de la L‑dopa, le précurseur de la dopamine, permettant de compenser ce déficit. Si cette thérapeutique de rem‑ placement apporte un bénéfice certain sur les symptômes moteurs au début de la maladie, c’est au prix d’un épuisement d’efficacité dans les formes plus évoluées et de l’apparition de complications, motrices et comportementales notamment. En 1987, l’équipe grenobloise d’alim Benabid est la première à montrer l’efficacité de la stimulation d’un noyau du thalamus, le vIm, par électrodes chroniquement implantées dans le cerveau (stimulation cérébrale profonde ou SCP) sur le tremblement. Sept ans plus tard, la même équipe montre que la stimulation du noyau sous‑thalamique améliorait plus globalement les symptômes moteurs de la maladie. même si la stimulation cérébrale profonde n’est indiquée que chez un relativement faible pourcentage de patients, et le traitement, non dénué d’effets secondaires, cette approche a démontré que la fonction d’un réseau de neurones déficients pouvait être restaurée, même en l’absence de dopamine, et a été une vraie révolution dans la prise en charge de la maladie.

Encore aujourd’hui, le système neuronal dopaminergique reste la cible du traitement par SCP, de nouvelles cibles (globus pallidus interne, noyau pédonculo‑pontin) et de nouvelles techniques de  chirurgie fonctionnelle (lésions focales par radiofréquence ou ultrasons) sont proposées. L’arsenal pharmacologique s’élargit à des molécules ciblant des sous‑populations de récepteurs dopaminergiques ou des systèmes non dopaminergiques, notamment pour corriger les symptômes non moteurs (déclin cognitif, hallucinations, dépression, apathie, troubles du sommeil, troubles obsessionnels compulsifs). La maladie de Parkinson n’est effectivement pas qu’une maladie motrice, et de nombreux symptômes non moteurs sont présents chez la plupart des patients. Certains témoignent du dysfonctionnement du contrôle dopaminergique (circuit des émotions et du comportement), mais beaucoup d’autres sont liés à l’atteinte de circuits neuronaux non dopaminergiques. De manière intéressante, certains de ces symptômes (anosmie, constipation, troubles du sommeil, dépression) peuvent précéder l’apparition des symptômes moteurs cardinaux, faisant aujourd’hui parler de stade prodromal de la maladie, laissant apparaître la perspective de prévenir l’apparition de la phase motrice de la maladie en cas d’intervention précoce. 

L’accumulation d’inclusions anormales (corps de Lewy) dans les cellules dopaminergiques de la substance noire est connue depuis le début du XXe siècle. En 1997, une mutation d’un gène codant pour une protéine, l’alpha‑synucléine, est identifiée dans une forme rare de maladie de Parkinson à transmission autosomique dominante. Les chercheurs montrent que les corps de Lewy contiennent une grande quantité d’alpha‑synucléine, plaçant celle‑ci comme l’un des candidats importants favorisant la mort des neurones. Puis il est montré que l’accumulation d’alpha‑synucléine et des corps de Lewy peut s’observer dans le cerveau de sujets non atteints par la maladie de Parkinson, en dehors de la substance noire, en particulier dans les noyaux olfactifs et à la partie basse du tronc cérébral. La maladie de Parkinson ne serait en fait qu’un stade évolutif d’une alpha‑synucléinopathie qui débute dans les noyaux olfactifs et le noyau dorsal du nerf vague (pneumo‑gastrique) pour toucher ensuite des noyaux du tronc cérébral impliqués dans la régulation du cycle veille/sommeil (noyaux du raphé [séroto‑ninergiques] et locus cœruleus [noradrénergique], avant d’atteindre la substance noire). Ce modèle, proposé par Braak et ses collègues en 2002, expliquerait pourquoi certains symptômes non moteurs (baisse des capa‑ cités olfactives, constipation, troubles de la tension artérielle et troubles du sommeil) précèdent souvent l’apparition des premiers signes moteurs. Il expliquerait également l’apparition de troubles cognitifs au stade tardif par la progression de l’alpha‑synucléinopathie à l’étage  cortical. Depuis la découverte de l’alpha‑synucléine, plus d’une dizaine de mutations dans d’autres gènes, à transmission récessive ou dominante, ont été identifiées pointant sur des mécanismes moléculaires différents (dysfonction mitochondriale, défaut de dégradation des protéines par les lysosomes…), impliquées dans 10 % des formes familiales de la maladie, et témoignant du caractère complexe des mécanismes conduisant à la dégénérescence neuronale dans la maladie de Parkinson. 

L’un des défis majeurs des vingt prochaines années est d’élucider la cause de l’accumulation d’alpha‑synucléine dans le cerveau, et certains arguments plaident pour la chercher en dehors du cerveau. Si, comme nous l’avons vu, l’accumulation d’alpha‑synucléine débute dans le bulbe olfactif et le système nerveux entérique, il reste à élucider comment cette protéine voyou (rogue protein) se propage depuis la périphérie vers le système nerveux central, puis à l’intérieur de celui‑ci, en suivant les voies connectant entre elles les structures cibles dont la substance noire. Le rôle potentiel de facteurs environnementaux (herbicides, pesticides, métaux…) dans le déclenchement de la maladie de Parkinson, l’influence de modifications du microbiote sont autant de pistes.

La maladie d’Alzheimer

Maladie fréquente et dont l’incidence et la prévalence augmentent avec l’âge, la maladie d’alzheimer associe un déclin cognitif touchant initialement la mémoire, des lésions histologiques particulières (plaques amyloïdes extracellulaires, dégénérescence neurofibrillaire et angiopathie amyloïde) associées à une perte neuronale. Sa cause reste inconnue. Les lésions contiennent des agrégats de protéine ß‑amyloïde, produit du clivage d’une protéine transmembranaire, dont la fonction n’est pas connue (protéine précurseur de l’amyloïde ou APP), et de protéine Tau, protéine du cytosquelette hyperphosphorylée dans la maladie d’alzheimer.

À la différence du déficit en dopamine dans la maladie de Parkinson, aucun déficit de la neurotransmission n’explique à lui seul les troubles cognitifs. Le progrès le plus significatif des dix dernières années est la validation de critères cliniques et de biomarqueurs qui permettent de faire le diagnostic dès le stade précoce de la maladie. 

Le poids des facteurs génétiques n’est pas le même dans les formes à début précoce (avant 65 ans) et à début tardif (après 65 ans) qui représentent respectivement 5 % et 95 % des cas. Dans les formes à début  précoce, plusieurs mutations de gènes codant pour des protéines impliquées dans le métabolisme de l’APP et la genèse de la protéine Aß‑amyloïde ont été identifiées. Ces mutations ont une pénétrance élevée (85 %), elles se transmettent essentiellement sur un mode autosomique dominant et sont considérées comme des biomarqueurs diagnostiques des formes familiales de la maladie à début précoce. 

Dans les formes à début tardif, le risque est deux fois plus élevé de développer la maladie chez les parents au premier degré de patients eux‑ mêmes malades. Depuis près de vingt‑cinq ans, la présence d’APOE e4, l’un des trois allèles codant pour l’apolipoprotéine E, est validée comme facteur de risque génétique. La présence d’un allèle APOEe4 multiplie par deux le risque, et deux copies le multiplient par cinq. Les études collaboratives pangénomiques à grande échelle ont permis d’identifier une vingtaine d’autres gènes associés à la maladie. Certaines des protéines codées par ces gènes peuvent être impliquées dans les mécanismes moléculaires connus de la maladie, comme le métabolisme de l’APP ; d’autres interviennent au niveau du système nerveux dans la réponse immunitaire, l’endocytose (mécanisme d’incorporation intracellulaire des molécules) ou l’angiogenèse, ce qui représente autant de pistes pour explorer de nouveaux mécanismes physiopathologiques. La connaissance de ces facteurs de risque vis‑à‑vis d’une maladie pour laquelle aucun traitement n’existe soulève de lourdes questions d’éthique, qui se posent déjà pour la détection du gène APOEe4. 

Le processus dégénératif en cause dans la maladie d’alzheimer débute plusieurs années avant le début des symptômes. C’est vraisemblablement pendant ce stade présymptomatique que les traitements visant à retarder l’évolution de la maladie auront le plus de chances d’être efficaces. L’identification des biomarqueurs de la maladie, dont la sensibilité et la spécificité sont maintenant validées dès le stade précoce, a représenté une avancée majeure dans la conduite des essais thérapeutiques. 

Les marqueurs actuellement disponibles sont : i) une perte de volume des structures médianes de lobes temporaux (hippocampe, cortex entorhinal et amygdale) objectivable à l’IRM dont les méthodes de quantification sont en constante évolution ; ii) des marqueurs biochimiques du LCR : concentration basse de la protéine amyloïde ß1‑42, concentration élevée de la protéine Tau totale ou de protéine Tau hyperphosphorylée ; iii) des marqueurs métaboliques objectivables par la neuro‑imagerie fonctionnelle : réduction du métabolisme du glucose en TEP dans les régions temporo‑pariétales, visualisation de l’accumulation amyloïde par des ligands TEP (PIB) ; iv) des marqueurs génétiques comme la présence d’une mutation autosomique dominante (voir ci‑dessus).

Durant ces quinze dernières années, plus de 400 essais cliniques de traitement médicamenteux ont été menés sans résultats probants. Le remboursement des médicaments inhibiteurs de l’acétylcholine estérase ou des antagonistes des récepteurs NMDa vient d’être interrompu en France. Les résultats prometteurs de l’immunisation contre la protéine Aß1‑42 sur un modèle transgénique murin de ma ont donné lieu à des essais de vaccination interrompus chez l’homme en raison d’effets adverses. Des essais de phase II d’anticorps monoclonaux ciblant la protéine ß‑amyloïde ou phospho‑Tau sont lancés, et 112 agents thérapeutiques ont été récemment recensés dans le pipeline des essais de phases I à III sur le site https://clinicaltrials.gov. 

Les actions favorisant l’insertion sociale, le soutien psychologique et le développement de structures d’accueil insérées dans les collectivités locales gérées par des équipes multidisciplinaires sont d’autres priorités. La recherche neuroscientifique n’est pas absente de ces démarches sociétales, elle contribue aux progrès de la remédiation comme moyen de retarder la progression des troubles cognitifs.

Extrait du livre d'Etienne Hirsch et de Bernard Poulain, "Le cerveau en lumières", publié aux éditions Odile Jacob.

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