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Ces surprenants enseignements des projections démographiques des Nations-Unies
©Mohamed ABDIWAHAB / AFP

Prédictions

L'ONU a dévoilé une révision de ses prévisions démographiques mondiales.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Quelles sont les variables qui ont amené les Nations Unies à revoir à la baisse leurs prévisions démographiques ?

Laurent Chalard : A l’échelle de la planète, en théorie, le seul facteur qui fait évoluer la population mondiale est le solde naturel (c’est-à-dire les naissances moins les décès), puisqu’il n’y a pas de solde migratoire avec le reste de l’univers (pour l’instant, tout du moins !). Il s’en suit que les variables qui entraînent les modifications des projections démographiques réalisées par l’ONU tous les deux ans, relèvent de la natalité, à travers le niveau de la fécondité, et de la mortalité, à travers l’espérance de vie. En fonction des nouvelles données que l’ONU a obtenues au cours des deux années précédentes pour l’ensemble des pays de la planète par l’intermédiaire des résultats des services d’état civil, d’enquêtes démographiques et de santé (EDS) ou de recensements de la population, l’organisation internationale est en mesure d’ajuster ses projections à la hausse ou à la baisse. En effet, il convient de rappeler que toute projection de population est fortement dépendante de la qualité des données disponibles fournies par les organismes officiels étatiques, or, pour un certain nombre de pays, ces données sont loin d’être satisfaisantes. Par exemple, les résultats d’un nouveau recensement peuvent infirmer les hypothèses élaborées à l’occasion du précédent sans possibilité de vérifier leur fiabilité. Le Nigeria en constitue un exemple-type, les variations d’un recensement à l’autre étant peu crédibles.

Concernant les dernières révisions des Nations Unies, ce sont essentiellement de légers réajustements à la baisse des projections de fécondité, principalement en Afrique subsaharienne (en particulier en Afrique de l’Est), en Inde et dans certains pays développés (comme l’Italie ou la Corée du Sud) où l’ONU ne table plus sur un rebond très hypothétique de la fécondité dans les prochaines décennies, qui sont à l’origine d’une moindre augmentation de la population annoncée à l’horizon 2100. Après plusieurs années de révisions à la hausse liées à une plus forte progression de l’espérance de vie planétaire que prévue grâce, entre autres, à l’efficacité des traitements contre le virus du Sida en Afrique, la variable « baisse de la fécondité » l’a emporté au cours des deux dernières années. 

Quels facteurs pourraient influencer à la hausse ou à la baisse la natalité sur le continent Africain ou le sous-continent indien ? 

S’il apparaît très peu probable que la natalité dans ces régions du monde reparte globalement à la hausse (il peut y avoir des remontées localisées) dans les prochaines décennies, par contre, la principale interrogation concerne le rythme de diminution de la fécondité et le seuil le plus bas qu’elle atteindra (au niveau du seuil de remplacement des générations ou très en-dessous ?). En effet, les révisions à la hausse des projections démographiques constatées pour l’Afrique subsaharienne au cours de la dernière décennie, outre le rebond de l’espérance de vie, s’expliquaient par un rythme très lent de réduction de la fécondité, inférieur à ce qui avait été prévu en se reposant sur les modèles d’évolution d’autres régions du monde. Trois principaux facteurs devraient cependant jouer un rôle important dans l’évolution de la fécondité de ces pays dans le futur. 

Le premier est la mise en place active d’une politique de limitation des naissances. Si dans le sous-continent indien, ces politiques sont déjà très suivies avec parfois certains abus concernant la stérilisation des femmes, par contre, en Afrique subsaharienne, un certain nombre d’Etats ont pendant longtemps rechigné à appliquer ces politiques qualifiées de malthusiennes, en particulier en Afrique francophone. Cependant, face au boom démographique actuel, il semblerait qu’il émerge une prise de conscience des élites dirigeantes africaines concernant la nécessité de ralentir le rythme de la croissance démographique, qui obère le développement économique, à travers des politiques de limitation des naissances. Désormais, nombreux sont les pays, comme le Rwanda, qui souhaitent abaisser le plus rapidement possible leur fécondité à 3 enfants par femme. Si ces politiques venaient à être couronnées de succès, ce qui dépendra beaucoup de la stabilité politique et sociale des pays concernés, on peut donc penser que la baisse de la fécondité pourrait s’accélérer dans la prochaine décennie.

Le deuxième facteur pouvant jouer sur le niveau de la fécondité est l’accélération du développement économique. En effet, il existe une forte corrélation entre « élévation du niveau de vie » et « réduction de la fécondité ». En conséquence, en fonction du rythme de croissance économique de l’Afrique Noire ou de l’Asie du Sud, la fécondité devrait diminuer plus ou moins fortement. Par exemple, l’Ethiopie, très pauvre mais en pleine croissance économique, a vu sa fécondité s’abaisser plus fortement dans les dernières décennies que d’autres pays à économie stagnante.

Le troisième facteur qui pourrait avoir un impact sur la fécondité est l’accélération de l’insertion de ces pays dans la mondialisation, conduisant à la diffusion des valeurs culturelles occidentales et donc du modèle de la famille à seulement 1 ou 2 enfants au sein de leur population. Jusqu’ici, une part non négligeable de la population de ces Etats était non connectée au reste du monde, que ce soit par téléphone ou internet, d’où un maintien des valeurs traditionnelles favorisant le modèle des familles très nombreuses dans un contexte d’absence d’éducation des femmes et d’informations inexistantes concernant les méthodes de contraception. Mais, au fur-et-à-mesure de la diffusion des moyens de communication modernes, jusqu’aux endroits les plus reculés de la planète, grâce, entre autres, à la démocratisation du téléphone cellulaire, de plus en plus de personnes vont avoir accès dans les prochaines décennies à une autre vision du monde, entraînant des bouleversements dans leur façon de penser la famille et dans leur rapport à la fécondité, d’autant plus que parallèlement l’immigration intercontinentale, en plein boom, facilite la circulation des idées. 

En Europe, comment se comporte la démographie ? Quels facteurs continuent d'influencer la natalité sur le Vieux Continent ?

En Europe, la fécondité est très fortement abaissée depuis le début des années 1990, avec une fécondité moyenne autour de 1,5 enfant par femme, aucun pays n’arrivant à atteindre le seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme) en 2018, ce qui sous-entend que la population a vocation à diminuer à terme sans recours à l’immigration intercontinentale. Cette faible fécondité qui a émergé dans les années 1970 en Europe occidentale s’est ensuite étendue progressivement à l’ensemble du continent, d’abord à l’Europe du Sud dans les années 1980, puis à l’Europe de l’Est dans les années 1990 suite à l’effondrement du système communiste. Elle est à l’origine d’un vieillissement par le bas de la pyramide des âges, qui, combiné au vieillissement par le haut consécutif de la progression de l’espérance de vie, conduit à un vieillissement global de la population considérable, mettant à mal les régimes de retraites, mais posant aussi des questions concernant la capacité d’assurer les besoins en main d’œuvre futurs de leur économie sans recours à une immigration massive.

En Europe, à l’heure actuelle, la fécondité est influencée par deux principaux éléments. Le premier est les politiques familiales, qui permettent à certains pays de maintenir des niveaux de fécondité moins abaissés que les autres, comme la France. Le second élément est l’immigration lorsqu’elle provient de pays à très forte fécondité, essentiellement d’Afrique aujourd’hui, contribuant, au moins temporairement, à un léger rehaussement des niveaux de fécondité dans les Etats récepteurs, mais ne permettant pas de résoudre pour autant le problème, étant donné l’ampleur de la dénatalité, d’autant que les enfants des nouveaux arrivants finissent par adopter les mêmes comportements que les autochtones dans le domaine.

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