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Disparition des classes moyennes à Paris : ces autres - et nombreuses - villes françaises touchées par le phénomène
©JEFF PACHOUD / AFP

Hors-la-ville

Paris, mais aussi Lyon, Lille, Bordeaux, Strasbourg... voient tous leurs classes moyennes quitter les centres-villes. Un phénomène qui suit le processus en cours de métropolisation des grandes agglomérations.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Un récent article du Monde souligne la disparition des classes moyennes de Paris, voire parfois même de l'agglomération parisienne. Ce phénomène est-il spécifique à Paris ou retrouve-t-on des situations similaires dans d'autres grandes villes françaises ? Métropolisation ? Gentrification ? Quels en sont les ressorts de ces évolutions ?

Laurent Chalard : Le phénomène de métropolisation, qui caractérise l’ensemble du monde développé, repose sur la concentration des emplois les plus qualifiés dans les plus grandes agglomérations. Il s’en suit qu’au fur-et-à-mesure du temps, les populations les plus diplômées et aux plus hauts revenus y sont de plus en plus nombreuses. Cependant, ces populations se répartissent inégalement au sein de ces métropoles, privilégiant ces dernières années une localisation dans le centre-ville, aux nombreuses aménités répondant à la demande en services des classes supérieures, plutôt qu’en périphérie, dans un contexte de raréfaction de l’offre en logements individuels. On parle alors d’un phénomène de gentrification des cœurs urbains car auparavant leur population était plus hétérogène socialement qu’aujourd’hui avec des classes populaires qui y résidaient dans des quartiers anciens dégradés, ce qui est désormais de moins en moins le cas.

La France n’échappe pas à la règle générale, les plus grandes agglomérations du pays étant touchées par le phénomène de métropolisation. Assez logiquement, ce dernier est corrélé à la taille de l’agglomération, étant plus important en région parisienne, unique ville globale hexagonale qui affiche le plus fort taux de cadres du pays, que dans des agglomérations de taille moindre. Plus on descend dans la hiérarchie urbaine, plus le taux de cadres est faible. Le phénomène de gentrification du centre-ville, concomitant de la métropolisation, est donc, en règle générale, moins important dans les agglomérations de taille moindre que Paris, où il est exacerbé. Lyon, deuxième métropole de France, est la seconde ville la plus touchée par le processus, qui concerne aussi Lille, Bordeaux ou Toulouse. La gentrification du cœur de ville constitue d’ailleurs un bon indicateur de la dynamique de métropolisation d’une agglomération. Lorsqu’elle est peu développée, comme à Marseille, elle traduit une moindre dynamique métropolitaine qu’ailleurs.

Seule Marseille semble encore être une véritable ville pour classes moyennes. Comment expliquer cette exception ? Existe-t-il une limite au phénomène de métropolisation actuel dans certaines villes françaises ?

Cette exception, que nous avions mis en exergue avec Maryne Buffat dans un article de la revue Sur-Mesure paru en janvier 2018, s’explique par des spécificités locales. Tout d’abord, il convient de rappeler que si le centre de Marseille paraît moins gentrifié que ceux de Lyon ou Paris, il n’en demeure pas moins que le phénomène existe, que ce soit dans le quartier du Panier ou plus globalement dans le périmètre du projet urbain Euroméditerranée. Mais, cette gentrification demeure limitée pour deux principales raisons. La première est une métropolisation moindre, comme nous l’avons vu précédemment, liée à la difficulté de relance économique de l’agglomération marseillaise suite à l’effondrement du système industrialo-portuaire dans un contexte de criminalité importante obérant son attractivité. La seconde raison est un processus de périurbanisation, plus massif qu’ailleurs, des classes moyennes aisées vers un habitat pavillonnaire périphérique depuis les années 1970, qui fait qu’habiter en périphérie reste plus attractif pour les catégories sociales favorisées qu’habiter en centre-ville, d’autant que le centre de Marseille souffre de la concurrence du centre-ville d’Aix-en-Provence, seconde commune de l’agglomération, traditionnel lieu de résidence de la bourgeoisie provençale.

Concernant les limites au phénomène de métropolisation en France, elles tiennent essentiellement à la faible taille démographique des agglomérations hexagonales, dont beaucoup n’atteignent pas des seuils d’emplois et de populations suffisamment élevés pour espérer enclencher une dynamique métropolitaine, sauf hyperspécialisation dans les hautes-technologies. C’est pour cela que le processus ne semble concerner qu’une dizaine de grandes agglomérations, qui tirent l’économie nationale ces dernières années, alors que les autres ne suivent pas. Par ailleurs, pour les agglomérations à l’héritage industriel important, la reconversion n’est pas toujours évidente, comme c’est, par exemple, le cas à Rouen. Le changement d’orientation économique ne va pas de soi, d’autant que la France a du mal à maintenir des métropoles de taille intermédiaire au tissu industriel traditionnel important affichant de bonnes performances économiques, contrairement à ses voisins européens, dont l’Allemagne. 

La dynamique générale de disparition des classes moyennes dans les centres-villes risque-t-elle de se confirmer dans les années à venir ? Quels sont les freins possibles à cette dynamique ?

Le processus de gentrification des centre-villes des principales métropoles françaises devrait se poursuivre dans les prochaines années, étant donné les tendances structurelles à l’œuvre. En effet, la métropolisation ne fait que s’accentuer, les principaux investissements publics sont destinés aux plus grandes agglomérations, comme par exemple le réseau de métro du Grand Paris Express, et les plus gros projets urbains du pays s’y localisent (Bordeaux Euratlantique, Lyon Confluence, Nice Méridia, Ile de Nantes…). Il s’en suit que le pourcentage de cadres devrait continuer de s’accroître dans les plus grandes agglomérations du pays ainsi que leur concentration dans les centre-villes, qui, au fur-et-à-mesure du temps, voient leur parc de logement monter en gamme.

Deux principaux freins à cette dynamique pourraient apparaître. Un, d’ordre structurel, serait un changement de paradigme économique, mettant fin au processus de concentration des emplois les plus qualifiés dans les grandes métropoles. S’il est techniquement envisageable, à travers le développement du télétravail, il paraît peu probable à l’heure actuelle. Un second frein relèverait plutôt de la mise en place de politiques publiques volontaristes, visant à contrecarrer la concentration des populations les plus aisées dans le centre-ville. Etant donné que le processus de gentrification des cœurs de ville est lié à l’embourgeoisement du parc de logements relevant du secteur privé, sur lequel il paraît difficile d’agir dans un contexte de marché de l’immobilier libre, le seul moyen de maintenir des catégories populaires serait de construire massivement des logements sociaux dans les centre-villes. Cependant, sur le terrain, cette politique semble quasiment impossible à mener, pour la simple raison que les centre-villes sont déjà entièrement urbanisés. Les perspectives de construction de logements y sont donc limitées, à moins de construire en hauteur des tours de logements sociaux, ce qui n’est pas à l’ordre du jour dans les communes concernées car ce serait suicidaire électoralement pour les municipalités qui les dirigent, d’autant que le fort tropisme écologique des urbains de centre-ville ne les rendrait probablement guère favorable à cette potentielle solution. En conséquence, la gentrification des centre-villes des grandes métropoles françaises a de beaux jours devant elle !

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