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Derrière l'euthanasie obtenue par une jeune Néerlandaise de 17 ans : un terrifiant renoncement des sociétés occidentales
©Flickr/Viajar24h.com

Crise de civilisation

Une jeune hollandaise de dix-sept ans, qui souffrait de stress post-traumatique, de dépression et d’anorexie après avoir été abusée et violée au cours de son adolescence, a été légalement autorisée à mourir chez elle dimanche après avoir demandé l’aide d’une « clinique de fin de vie ».

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une jeune hollandaise de dix-sept ans, qui souffrait de stress post-traumatique, de dépression  et d’anorexie après avoir été abusée et violée au cours de son adolescence, a été légalement autorisée à mourir chez elle dimanche après avoir demandé l’aide d’une « clinique de fin de vie » [MàJ. La jeune fille aurait arrêté de s'alimenter et de boire ; les médecins ont décidé de ne pas intervenir].  La mort de cette jeune fille ne révèle-t-elle pas l’incapacité  de la société contemporaine d’apporter une réponse à la dépression et à la souffrance ? Cette incapacité n’est-elle pas synonyme d’un échec ?  

Bertrand Vergely : Une adolescente qui a été abusée sexuellement et qui souffre depuis d’un état dépressif réclame d’être euthanasiée, obtient gain de cause et met fin à ses jours. Est-ce un échec de la société contemporaine ? Pour toute une partie de cette même société contemporaine, non. Ce n’est pas un échec. Au contraire ! C’est un progrès et même une victoire qu’il importe de célébrer. Trois raisons sont avancées pour légitimer ce progrès et cette victoire.

D’abord la liberté absolue. Dans une société moderne et démocratique, l’individu doit pouvoir choisir de façon absolue si il entend vivre ou pas. Rien ne doit lui être imposé. L’individu doit pouvoir être souverain en cette matière. Sa vie est la sienne. Elle lui appartient absolument. La liberté passe par la liberté de pouvoir se suicider si on le désire et la société doit se plier à ce désir.

Deuxième raison, la sensibilité. Le suicide nous choque. Mais, nous n’avons pas à être choqué. Nous pensons que la souffrance doit être surmontée et peut être surmontée. Mais, si cette jeune fille pense que sa souffrance ne peut pas être surmontée ? C’est son droit, un droit fondé sur sa sensibilité qui est la sienne et pas la nôtre. Certaines personnes pensent que leur souffrance n’est pas absolue. Cette jeune fille a pensé le contraire. Il fait respecter non seulement sa liberté mais sa sensibilité.

Enfin, troisième raison, le choix. Cette jeune fille a pensé que le suicide assisté était, pour elle, la seule solution au drame qu’elle vivait. Il s’agit là non seulement de sa liberté et de sa sensibilité, mais de son choix. On doit pouvoir avoir le droit de penser que le suicide est la seule réponse pour soi au drame que l’on vit.

Liberté, sensibilité, choix, droit d’avoir sa liberté, sa sensibilité et ses choix, ce sont là les arguments avancés quand il s’agit de légitimer le suicide rebaptisé ici euthanasie, qui signifie en grec, rappelons le, « la douce mort ». Un public de plus en plus large tend à se réjouir d’un tel progrès. Ce qui laisse perplexe. Pour un progrès, quel triste progrès ! Réfléchit-on quand on croit en un tel progrès ?  

D’abord la liberté. Penser que le suicide est une liberté, voire la suprême liberté de l’homme, est un sophisme. Quand on est libre, on ne se suicide pas. Quand on se suicide, c’est que l’on n’est pas libre. Quand cette jeune hollandaise s’est suicidée, c’est parce qu’elle était dévorée par la dépression et nullement parce qu’elle était libre. C’est pour se débarrasser d’un fardeau qui l’étranglait et non parce qu’elle se sentait aérienne et légère. Être libre c’est pouvoir vivre sa liberté. Quand on met fin à sa vie, mettant fin à ce qui permet d’être libre, on tue sa liberté.

S’agissant de la sensibilité, quand quelqu’un dit que son malheur est insurmontable, nous sommes tenus de le croire, dit-on. Il s’agit là encore d’un sophisme. Que cette jeune fille qui a été abusée ait ressenti une douleur extrême, c’est ô combien compréhensible. Cela dit, comment aide-t-on ceux qui souffrent à s’en sortir ? En leur disant qu’ils ne sont pas maudits.

Tout être humain qui subit une violence est tenté de diaboliser celui, celle, qui lui a fait du mal tout en se comportant lui-même en victime absolue. De sorte que, si il souffre en ayant subi une violence, c’est parce que le monde entier est contre lui. Quand, à la suite d’un attentat, une antenne psychologique est dépêchée pour soutenir ceux qui en sont les victimes, c’est pour éviter cette identification délirante et paranoïaque.

Il est grisant de se dire victime en soutenant que le monde entier est contre soi. Quand une loi autorise le suicide et fournit une aide pour se suicider, elle n’aide pas ceux qui se suicident à ne pas s’enfermer dans un mécanisme victimaire. Elle fait le jeu de ce mécanisme. En cela, elle aide faussement ceux et celles qu’elle prétend aider, aider quelqu’un qui souffre consistant non pas l’aider à se suicider mais à le retenir de le faire.

Enfin, il y a le choix. « Et si se suicider est sa façon à elle de résoudre son problème », tend à dire la doxa contemporaine. Cette vision n’est pas tenable et repose une fois de plus sur un sophisme. Un suicide est violent et cette violence ne regarde pas simplement celui qui se suicide. Quand on se fait du mal, on ne fait pas du mal qu’à soi. Parce qu’on se fait du mal, on fait le mal.

Ce n’est pas parce que l’on se rend coupable de mauvais traitement à l’égard de soi que l’on est innocent. On est coupable. Celui qui se suicide n’est pas seul. Les autres existent. Quand quelqu’un se suicide, le monde autour de lui est atterré.

Un jour une de mes élèves m’a fait part de son désir de se suicider. Son beau-père avait eu comme on dit « des gestes inappropriés » à son égard. « Et votre mère ? », lui ai-je dit,   «  Vous y avez songé ? Vous rendez vous compte qu’en vous tuant vous allez quelque part la tuer ? Avez vous conscience qu’en vous punissant pour punir votre beau-père, vous allez la tuer ? » Stupéfaite, cette élève m’a regardé sans plus savoir quoi dire. Les autres, sa mère, elle n’y avait pas songé. L’idée que son suicide puisse être un meurtre et une façon de tuer l’humanité en quittant la vie comme on part en claquant la porte,  ne l’avait pas effleurée.

À la fin de l’un de ses ouvrages, Elisabeth Badinter  a expliqué que notre monde était en route vers l’égoïsme absolu. Elle a raison et la mansuétude avec laquelle on considère le suicide en est la preuve. « Ce n’est pas à moi à faire attention aux autres mais aux autres à faire attention à moi », a tendance à dire l’individualisme contemporain. « Je dois pouvoir me suicider comme bon me semble et cela ne regarde que moi ». Cet égoïsme monstrueux est insupportable.  On devrait en avoir conscience. On n’en a pas conscience et c’est là que réside l’échec de notre monde.

Son échec ne vient pas simplement du fait que ‘on se suicide. Il vient de ce que de l’opinion publique considère de plus en plus cet échec qu’est le suicide comme une réussite. On s’interroge sur l’incapacité qu’a notre monde de faire face à la dépression ainsi qu’à la souffrance. Quand de plus en plus de gens pensent que le suicide est la seule réponse aux grandes souffrances de la vie, comment faire face à la dépression et à la souffrance ? Faire du suicide une réponse aux souffrances de la vie, ce n’est pas supprimer la souffrance. C’est ajouter de la souffrance à la souffrance. Quand une ère qui a perdu son enfant se suicide par désespoir. Là où il y avait un mort, il y en a désormais deux. Quand cette mère qui se suicide a deux enfants, là où il y avait des enfants il y a désormais des orphelins.

Aux Pays-Bas, où l’euthanasie est autorisée sous certaines conditions même pour des mineurs, en 2017, les morts par euthanasie ont représenté 4, 4% du nombre total des décès. En légalisant l’euthanasie n’ouvre-t-on pas la boîte de Pandore ? À quelles dérives s’expose-t-on ?

Bertrand Vergely : Notre société, notre humanité, le monde libre dans lequel nous vivons reposent sur l’interdit de tuer. Si on légalise l’euthanasie, cet interdit va sauter. François Mitterrand en avait conscience quand, à propos de l’euthanasie,  il a eu cette remarque : « Je n’ai pas fait supprimer la peine de mort du code civil pour la rétablir par le biais de l’euthanasie ». La première dérive se trouve là. Si l’euthanasie est légalisée, c’est une nouvelle humanité qui va naître, une humanité sans son principe fondateur qui est l’interdit du meurtre. On peut le faire. Cela a toutefois un coût. Cela va contribuer à banaliser la violence déjà fort présente dans notre monde.  

Outre que l’interdit du meurtre protège l’humanité contre la violence, il la protège  contre des manipulations perverses. Quand une vieille dame possèdes biens, il peut être tentant de lui vanter les bienfaits de l’euthanasie afin d’aller se reposer. La loi interdisant l’euthanasie protège de telles dérives.

Enfin, il y a ce qui est en train d’arriver. Quand on pense à l’euthanasie, on pense aux grands agonisants qui souffrent dans les hôpitaux. Et, forcément, on voit dans l’euthanasie un moyen d’abréger ces souffrances. On oublie qu’il y a quantité de gens qui ne sont pas dans des hôpitaux et qui souffrent. « Pourquoi nous refuser l’euthanasie », disent ils ? « Les souffrances que nous endurons valent bien celles d’un grand agonisant dans un service hospitalier ».

La jeune hollandaise, qui est morte dimanche, a ouvert la voie à cette utilisation de l’euthanasie en envoyant ce message : « J’ai été victime d’abus sexuels. J’en souffre atrocement. Je réclame d’être euthanasiée ». D’autres qu’elles tiennent ce même raisonnement.  Un jeune, plaqué par sa petite amie, qui ne s’en remet peut et qui réclame d’être euthanasié. Un cadre remercié brutalement par son entreprise. En Belgique, un prisonnier coupable d’abus sexuels a réclamé d’être euthanasié en avançant cet argument : « Je suis un pervers sexuel multirécidiviste. Je sens bien que je ne guérirai jamais. Je suis un danger pour les autres. Pour le bien de la société, je réclame que l’on euthanasie ».

Tous ceux qui souffrent et qui réclament l’euthanasie doivent-ils être euthanasiés afin de respecter leur liberté et d’abréger leurs souffrances ? Si la société va dans ce sens, elle signe son arrêt de mort.

Quand ceux qui souffrent réclament d’être euthanasiés, demandent-ils simplement à être euthanasiés pour ne pas souffrir ? Non. Ils manipulent la société avec un malin plaisir.

Jusqu’à présent, la société est garante de la vie des citoyens qu’elle protège. Quand les citoyens demandent à être euthanasiés pour toutes sortes de raisons, que se passe-t-il ? Le citoyen met la société à terre en la pliant à ses désirs. Ce qu’a fait la jeune hollandaise. On est là dans un jeu orgueilleux.

Ainsi, au sujet de la jeune hollandaise, il importe d’avoir une double lecture. D’un côté, cette jeune fille a certainement souffert des abus dont elle a été victime. Mais, on peut également dire que, folle furieuse d’avoir été abusée, elle a décidé de se venger et de mettre la société à terre.

L’euthanasie peut devenir un jeu et, dans le cas de la jeune fille hollandaise, tout donne à penser que c’est ce qui s’est passé. Dans L’étranger de Camus, c’est un peu ce qui se passe également.  Quand Meursault le héros ne fait rien pour ne pas être condamné à mort après le crime gratuit qu’il a commis,  il s’euthanasie lui-même en éprouvant dans ce geste une jouissance infinie. « La lutte vers les sommets suffit à remplir le cœur d’un homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux » écrit Camus à la fin du Mythe de Sisyphe. «  La lutte pour se faire euthanasier suffit à remplir le cœur d’un certain nombre de candidats au suicide désireux de se venger de la société en l’obligeant à les tuer », faut-il rajouter. « Il faut imaginer ces candidats au suicide heureux ».

Dans une société Instagram qui manque d’idéaux et où la pression sociale est à son comble  de quels maux spirituels et culturels la hausse des euthanasies et des suicides est-elle le symptôme ?

Bertrand Vergely : Trois mots résument les maux spirituels et culturels dont nous souffrons : hédonisme, narcissisme et nihilisme.

D’abord l’hédonisme. Notre monde est hanté par des pulsions suicidaires. Ces pulsions proviennent de son hédonisme. L’enfant à qui on refuse ce qu’il désire se roule par terre. La pulsion suicidaire obéit au même principe. On me refuse ce que mon désir de plaisir réclame ? Vous allez voir. Je vais me suicider et vous allez regretter de m’avoir frustré. Les héros du livre de Nikos Kazantzaki La liberté ou la mort ont comme devise : « La liberté ou la mort ». Nous avons comme devise « Le plaisir ou la mort ». Plutôt mourir que vivre une vie sans plaisir. Certains voient là une fière façon d’affirmer la liberté. Il s‘agit là bien plutôt d’une attitude totalement infantile incapable de supporter la moindre frustration, le moindre manque, la moindre attente.

Par ailleurs, le narcissisme. Le narcissisme est suicidaire et le suicide est narcissique. Narcisse qui entend avoir toujours du plaisir entend avoir avant tout toujours le plaisir de lui-même. Pour cela, il est prêt à se tuer en mettant en scène sa propre mort. « Vous verrez comme ma mort sera belle. Vous m’admirerez ».

Enfin, le nihilisme. Quand on est spirituel on vit pour la transcendance en dépassant la violence par la transcendance. Quand on a perdu tout lien avec le spirituel, on fait l’inverse. On dépasse la transcendance par la violence en en vivant la violence comme transcendance. Dans le suicide c’est ce qui a lieu. Le culte de la mort derrière le culte de sa propre mort tient lieu de transcendance.

Un moyen de sortir de cet enfer ? Oui. La force d’âme. Écouter la voix intérieure qui dit : « Relève toi. Mets toi debout. Tiens toi droit. Arrête d’être l’esclave de la mort ».

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