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Pourquoi vous feriez mieux d’avoir plusieurs objectifs professionnels divers et personnels qu’un unique (et ultime)
©Mohd RASFAN / AFP

Blues post-réussite

Se fixer un objectif peut être la clé d'une carrière professionnelle réussie, mais attention, cela peut également vous rendre malheureux.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : Le fait de se fixer des objectifs de carrière est devenu une des recettes clés du développement personnel pour s'épanouir. Pourtant, un écrivain américain spécialisé en psychologie positive Tal Ben-Shahar a aussi décrit le phenomène de l'"arrival fallacy", le blues post-réussite. En quoi arriver à réaliser un objectif de carrière peut-il être décevant ?

Xavier Camby : Votre question est essentielle. Je ne suis pourtant pas très assuré de votre postulat d'introduction. En effet, la corrélation entre carrières (et objectifs de réussite) et développement personnel (épanouissant) reste encore à démontrer ! C'est d'ailleurs là une inversion et une erreur par trop commune : une carrière réussie serait la source de l'épanouissement de la personne humaine. Ne serait pas plutôt l'inverse ? Le philosophe Alain, paraphrasé ensuite par le talentueux Yannick Noah, établit très tôt cette réalité d'un grand bon sens : "Ce n'est parce qu'on réussit qu'on est heureux ; c'est parce qu'on est heureux qu'on réussit". C'est une réalité empirique mais très facilement observable.

Les objectifs de carrière sont le plus souvent pollués ou corrompus. Les projections parentales, les conditionnements scolaires ou estudiantins, les représentations sociales erronées, les besoins de sécurité ou les angoisses envahissantes, les aliénations éthiques ou troubles de la santé psychique (égocentrisme et/ou besoin de domination, perversions diverses...), on ne compte plus les mauvaises raisons - nous sommes tous capables de nous les servir, même inconsciemment, quelle que soit notre culture d'origine - d'une "carrière" aux antipodes d'un authentique épanouissement personnel. Les fameuses "crises du milieu de vie" apparaissent comme une forme drastique et parfois dramatique de "reset", entre 40 et 50 ans, au bénéfice d'une vie renouvelées selon nos vraies valeurs et/ou nos aptitudes réelles. Loin des rêves et des projections...

Je connais bien les écrits et les interventions de Tal Ben-Sahar et cette mélancolie, parfois successive à l'achèvement d'un objectif de réussite, s'observe très souvent lorsque l'objectif assigné n'était pas authentique, pas assez personnel, pas vraiment conforme à ses goûts ou à son identité profonde. Ce blues post réussite n'est que le signal d'un retour à la simple réalité, loin des objectifs artificiels.

Pour s'épanouir dans sa vie professionnelle et personnelle, faut-il dès lors se fixer des objectifs ? Si c'est le cas, comment bien le faire ?

Oui, se fixer à soi-même des objectifs est essentiel pour progresser, pour inventer, pour s'adapter sans cesse et saisir chacune des vraies opportunités qui ne cessent de se présenter à nous, que ce soit à titre personnel ou professionnel. Mais librement. C'est à dire sans contrainte extérieure. Ni surtout intérieure ! Cette liberté, intime et extérieure est très exigeante. La construire, l'affirmer et la préserver est un authentique travail. C'est la véritable mesure pour vérifier soi-même la pertinence et l'adaptation de ses objectifs. Et donc s'assurer qu'ils contribueront réellement et efficacement à mon épanouissement durable, non pas à une vaine et courte satisfaction (souvent plus faite d'orgueil que de joie pleine). 

Une autre méthode, très efficace mais aussi exigeante, consiste à vérifier que mes objectifs (ou ceux qu'on voudrait m'assigner) correspondent efficacement à mes valeurs. Si oui, un "supplément d'être" en sanctionnera l'accomplissement. Et à défaut, la morosité, avec une pointe d'amertume, me piègera. Cette méthode exige de connaître ses vraies valeurs (ni celles de nos parents, de nos croyances, moins encore celles qu'on voudraient avoir...). 

Agir et réussir, à l'encontre de ses plus belles valeurs, voilà la cause la plus certaine de la perception de cet "arrival fallacy"...

Ce problème semble tout droit provenir d'une conception de l'existence, notamment professionnelle, fondée sur le "rêve américain", qui consiste à glorifier le succès final. Quelles sont les modèles concurrents qui peuvent nous inspirer pour ne pas tomber dans cet écueil ?

Vous le dites très justement : cette mélancolie post réussite est particulièrement liée à une conception du monde assez étrange et passablement inhumaine. Je l'ai écris et démontré ailleurs : le vice natif de la réussite à l'anglo-américaine nait d'une croyance (un déni de réalité) a-morale et très délétère : "tout devient légitime et éthique, dès que j'en tire personnellement un avantage". Ainsi, pour réussir, je peux mentir, harceler, calomnier ou trahir mon manager, écraser mes collègues, spolier actionnaires, clients ou fournisseurs... Je peux déchirer une région de mines toxiques ou d'extractions dangereuses, évaporer les fleuves ou vider les océans de toute vie, polluer l'air et stériliser les sols. Dénaturer la nature, maltraiter le vivant, devenu cobaye universel, abolir la diversité... Je force à peine le trait du cynisme de cet anti-éthique de la réussite personnelle (solitaire et triste).

Albert Einstein nous y invitait déjà : "Il est grand temps de remplacer l'idéal du succès par celui du service !"

C'est la vraie clé du développement personnel et de la réussite professionnelle associée. Les exemples concrets et actuels surabondent. En commençant par ces jeunes gens de 17 à 77 ans qui choisissent un monde de sens, de partage et de création de richesses à partager, plutôt que la prédation (compétition-élimination) d'un monde en cours de disparition. Voyez aussi tous ces cadres qui, 40 ans passés, changent de vie et poursuivent de vraies objectifs (les leurs enfin), humains, sociaux, sanitaires ou écologiques, culturels...

L'intelligence collaborative (plutôt que prédatrice) et l'intelligence contributive (plutôt que captatrice) sont les clés de notre futur et j'en constate chaque jour davantage l'irrésistible, universelle et bénéfique progression !

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