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Détection précoce des cancers : pourquoi l’intelligence artificielle n’est pas encore la panacée
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Pas une solution miracle

Des chercheurs à la Northwestern University dans l'Illinois et Google affirment que l'Intelligence artificielle permet de mieux détecter les cancers du poumon.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Des chercheurs à la Northwestern University dans l'Illinois et Google affirment que l'Intelligence artificielle permet de mieux détecter les cancers du poumon. Dans quelle mesure est-ce fiable ?

Dr Laurent Alexandre : Quand Google publie les résultats médicaux, on est porté à croire qu'ils n'ont pas bidouillé les chiffres. Pour des raisons d'image, Google n'est pas un acteur qui peut se permettre de faire de la fraude scientifique. Alors, ces résultats, assez spectaculaires, appellent plusieurs commentaires. D'abord, il faudrait les confirmer à grande échelle pour voir ce que cela donne, non pas à l'échelle d'un hôpital, mais à l'échelle d'une région.  Deuxièmement, il faudrait s'interroger : est-ce que dépister le cancer plus tôt améliore le pronostic du malade ? Dans le cas du cancer du poumon, ce n'est pas forcément le cas puisque dès qu'il est visible à la radio, c'est déjà grave. En 2019, on n'a pas la certitude qu'un dépistage très précoce soit intéressant. Il faudrait le démontrer sur une grande cohorte [ndlr. une étude statistique en médecine] avec des centaines de milliers de patients suivis pendant une longue période de dix à vingt ans. En effet, il y a des cancers dont le dépistage n'est pas bon. Par exemple, dans le dépistage des petits cancers comme le cancer de la prostate, le dépistage n'est pas toujours bon pour le malade parce que beaucoup de cancers n'évoluent pas. L'idée selon laquelle il faudrait dépister le plus tôt possible tous les cancers n'est pas forcément juste. Par ailleurs, il peut ne pas être intéressant. Le dépistage de l'Alzheimer n'a pas d'intérêt puisqu'on n'a pas de traitement préventif. On va juste dire à des gens qu'ils seront gâteux d'ici cinq ou dix ans. Merci, au revoir.

Quelle est la place de l'homme, du docteur, aux côtés de cette intelligence artificielle ?

La place des très bons docteurs sera les géants de l'intelligence artificielle pour organiser leurs logiciels. Quelle sera la place des moins bons docteurs ? Est-ce qu'ils seront juste les intermédiaires entre la machine et le patient ? Est-ce qu'ils continueront d'apporter une valeur ajoutée ? Est-ce qu'ils corrigeront des erreurs de l'intelligence artificielle ? Tout ça est très incertain. Et aujourd'hui, on peut difficilement le prédire tout en imaginant trois scénarios. Un : les médecins sont complètement vassalisés où ils se contentent de signer les ordonnances de Google, Amazon…etc. Deux : plus optimiste, le médecin continuerait d'apporter une valeur ajoutée, mais elle reste à déterminer. Trois : le plus probable est que les mauvais médecins vont être dans le souci.

Ces médecins devraient-t-ils être former à l'IA ?

Le problème est le suivant : qu'est-ce qu'être formé à l'IA ? Il est peu probable qu'un médecin puisse contredire une intelligence artificielle ? Voyez, si on prend l'analyse génétique d'une tumeur. C'est l'équivalent de 20 000 giga de données. Même si on vous forme à l'IA, aucun médecin en ne sera en mesure d'analyser 20 000 milliards de données en une consultation d'un quart d'heure. Est-ce que si on vous entraine à la course à pied, est-ce que vous courrez plus vite qu'une voiture ? La réponse est non. La place du médecin reste à inventer. Par exemple, le radiologue de 2030 ne regardera probablement même plus les clichés, ou en tout cas de manière très différente à celle d'aujourd'hui. Il est donc peu possible que les médecins puissent être compétitifs avec l'IA. Ceci pour une raison physiologique qui est que l'œil humain ne voit qu'un certain nombre de grilles face à l'ordinateur qui en perçoit des millions.

La fameuse loi de Moore décrit la puissance exponentielle des ordinateurs où celle-ci est doublée tous les 18 mois. Dans cette perspective, quel est le futur de l'IA au niveau de la santé ?

L'IA ne dépend pas que de la puissance informatique. Celle-ci en plus va finir par stagner. Alors, qu'attendre de l'IA ? D'abord, une crise professionnelle et sociale majeure dans la médecine. Je ne crois pas à la mort du médecin, mais que les mauvais médecins seront dans une situation douloureuse. Beaucoup risquent de mal vivre le fait d'être dépassé par l'IA dans certaines parties de leurs activités. D'autres parts, l'IA n'appartiendra plus aux hôpitaux mais aux géants du numériques. On sera face à un transfert de pouvoir économique et médical des centres hospitaliers vers ces groupes qui investissent dedans énormément. D'ailleurs, une bonne partie des résultats récents en cancérologie dont on parle en ce moment sont des résultats signés Google, pas du Ministère de la Santé. Ce transfert de pouvoir, également éthique, sera un choc pour les médecins et difficile à gérer pour le système. Après tout, qui des bons docteurs refuseront des offres de Google proposant un, deux ou trois millions de dollars par an pour venir travailler chez eux ? Quasiment personne.  Si on continue à traiter aussi mal nos docteurs, comme nos chercheurs d'ailleurs, c’est-à-dire au lance-pierre, ils prendront sans hésité l'avion pour les Etats-Unis. Le directeur du CNRS lui-même se plaignait récemment dans Le Figaro qu'un très bon chercheur de l'IA était à moins de 3 000 euros brut par mois. C'est ce qu'on fait de pire.

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