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Syrie : une alliance sacrée entre djihadistes est en train de se constituer sous l’égide d’Al-Qaida "canal historique" dans la province d’Idlib
©Nazeer al-Khatib / AFP

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L'offensive syrienne et russe contre la province d'Idlib a déjà forcé près de 180 000 personnes à fuir.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Ce n’est pas un mystère que la province d’Idlib située au nord-ouest de la Syrie est devenue un mini-émirat islamique même si ses responsables se gardent bien de le proclamer pour le pas s’attirer la ire internationale comme l’avait fait Abou Bakr al-Baghdadi lors de la proclamation de son pseudo-califat. Il ne faut pas que ce qui est train de se passer à Idlib soit ressenti par l’Occident comme une menace potentielle d’où les discours bien formatés mettant la lutte anti-Assad et les atrocités commises par ce régime - et ses alliés russes et iraniens - en exergue. Taper sur ce trio est très bien vu à Washington et des les milieux intellectuels européens. Il n’est pas loin le temps où les salafistes-djihadistes internationalistes seront considérés comme des "combattants de la liberté". Déjà qu’ils haïssent la société occidentale considérée comme décadente et amorale, ils pourront aussi la mépriser pour sa bêtise. Il n’est d’ailleurs pas dit que lorsqu’ils en auront retrouvé les moyens, ils ne tenteront pas de relancer des attentats contre des sociétés qu’ils méprisent tant.

La situation sur le terrain

Si Daech ne se manifeste pas actuellement dans la zone d’Idlib car le mouvement est en cours de réorganisation suite à son "repli dans le désert" qui a suivi la perte des territoires qu’il contrôlait, c’est bien l’organisation Al-Qaida "canal historique" - toujours bien vivante - qui est à la manœuvre pour unifier sous un même commandement toutes les formations présentes sur place de manière à, premièrement, s’opposer à l’offensive gouvernementale syrienne qui se profile au sud et, deuxièmement, pour contrer l’influence des Turcs au nord.

La situation reste pour l’instant très compliquée même si Abou Mohamed al-Joulani, l’émir du Hayat Tahrir al-Cham (HTC) anciennement Front al-Nosra devenu en juillet 2016 Jahbat Fath al-Cham (JFC), a pris l’avantage sur la quasi-totalité de la province d’Idlib. Il gère en particulier la frontière turque ce qui lui permet de "lever l’impôt" sur les différents trafics à travers un "gouvernement du salut". Si Joulani a officiellement rompu avec le commandement d’Al-Qaida "canal historique" en 2016, l’attitude de son leader, Ayman al-Zawahiri, a désormais notablement évolué. Il évite dans ses discours - toujours nombreux - d’attaquer de front le HTC ainsi que le Parti Islamique du Turkestan (PIT) qui lui est allié. Il faut dire que les seuls combats sur le terrain depuis des mois survenaient entre mouvements rebelles, mais la situation a changé depuis avec l’intensification des bombardements syro-russes et les offensives terrestres - pour le moment d’ampleur modérée - qui ont lieu dans le sud-ouest de la province.

Un vétéran d’Al-Qaida "canal historique", membre de son organe de commandement (la Choura) et, de plus, qui aurait été dans le passé un collaborateur direct d’Oussama Ben Laden, aurait joué le "Monsieur bons offices" comme intermédiaire. Il est connu sous le nom - vraisemblablement d’emprunt - d’Abou ‘Abd al-Karim al-Masri (l’Égyptien) ou d’Abou ‘Abd al-Karim al-Gharbi. L’ouverture s’est faite via Hurras al-Din, la plus importante représentation d’Al-Qaida "canal historique" en Syrie.

Le Hurras al-Din (HAD (les "gardiens de la religion" fondé en février 2018) est un groupe qui dépend directement d’Al-Qaida "canal historique". Il y en a eu d'autres mais, pour troubler les pistes, les noms ont fréquemment changé (et continueront de changer). Ses dirigeants sont Abou Hammam al-Chami, Sami al-Hijazi, l’ex-commandant militaire du Front al-Nosra, le Docteur Sami al-Ouraydi, l’ex-idéologue de même mouvement (qui avait brièvement été arrêté avec al-Chami en novembre 2017 par le HTC), les Jordaniens Iyad Toubas et Bilal Khreissate, ces deux derniers ayant contribué à attirer vers le HAD des salafistes étrangers (dont des Jordaniens). En avril 2018, le HAD s’est allié au Ansar al-Tawhid (les défenseurs de l’unicité) au sein d’une coalition appelée Nusrat al-Islam (alliance de secours à l’islam). Cette alliance coopère depuis octobre de la même année au sein d’une "chambre des opérations" Wa Harredh al-Mouminin (incite les croyants - au combat -) avec le Ansar al-Din (les défenseurs de la religion) et Ansar al-Islam (les défenseurs de l’islam) qui totalisent pas loin de 15 000 combattants.

Les négociations entre le HAD et le HTC

Le HAD a donc proposé via "M. bons offices" de former un "comité de réconciliation" avec le HTC. Il est chargé de régler les problèmes concrets comme ceux des zones d’influence, de la distribution d’armements et surtout pour faire cesser la guerre de communiqués entre les différents mouvements. Les représentants du HTC auprès de ce comité sont le Cheikh Abou Malik al-Chami, Abou Qoutada al-Albani (de son vrai nom Abdoul Jashari), Mokthar al-Turki et Abou Moussab al-Chami. Celui du HAD est Abou Mohamed al-Soudani. Cet effort de réconciliation est soutenu par différents responsable de la nébuleuse à l’étranger (ce qui, au passage, permet de cartographier un semblant d’organigramme) :

Abou Qoutada (qui n’est pas personnellement hostile au HTC) et Abou Mohammed al-Maqdisi (tous deux vivant en Jordanie), Tariq Abdoul Haleem (qui vit au Canada), le Dr Ani al-Sibai (Grande Bretagne), le Dr Tarek Abdul-Halim, les Cheikh al-Sadiq al-Hachimi et Iyad Ghali (AQMI), Abou Zar al-Burni (Bornéo), etc.

Joulani a peut-être accepté cet accord car il sait que le Hurras al-Din, grâce à ses alliances successives gagne progressivement en importance. De plus, il s’appuie sur des rebelles syriens mais aussi sur de nombreux combattants étrangers dont des Tunisiens. Le nombre d’activistes au sein du HAD serait estimé à 9 000 combattants comparés aux 15 000 du HTC.

Pour l’anecdote, Omar Omsen alias Omar Diaby, le djihadiste français qui a été détenu quatre mois fin 2018 par le HTC, est resté fidèle à Al-Qaida. Il est donc du côté du HAD.

Les grands perdants de cette affaires sont les nombreux groupes (dont le Harakat Ahrar al-Cham) et groupuscules qui sont membres du Al-Jabhat al-Wataniya Lil Tahrir (Front national de Libération - FNL -). Il regroupe d’anciennes formations de l’Armée syrienne libre (ASL), des mouvements djihadistes dits modérés et des milices turkmènes. Cette coalition est directement liée à la Turquie qui lui offre des bases arrières, un soutien logistique et sanitaire, et contribue à l’instruction de ses combattants. Initialement, Ankara espérait que cette coalition parviendrait à prendre le contrôle de la province d’Idlib. Mais c’est le HTC qui y est parvenu au début de l’année provoquant la fuite des leaders du FNL vers Al-Bab et Afrin. Les militants se sont répartis dans les mouvements restants.

Si le HTC et le HAD (et ses alliés) parviennent à s’entendre, ce sont plus de 30 000 combattants qui seront unifiés dans la poche d’Idlib au milieu de trois millions d’habitants dont de nombreux réfugiés. Personne ne contrôle cette enclave. Certes, les activistes ont, après s’être entendus, pour premier souci de survivre à la pression syro-russe. Le rôle de la Turquie sera déterminant car, si elle ferme la frontière, la situation dans cette province deviendra rapidement critique, comme d’habitude, d’abord pour les populations civiles.

Il semble que les Occidentaux poussent Ankara à laisser passer l’"aide humanitaire" car ce coin planté dans la Syrie dirigée par le régime honni de Bachar el-Assad appuyé par Moscou et Téhéran arrange en premier lieu Washington qui dicte sa loi.

Affaiblir les régimes de ces trois États est dans leurs intérêts. Par contre, cela tient bien sûr pas compte de la vie des populations civiles locales. On peut développer de beaux discours moralistes en permanence mais poursuivre par ailleurs des buts géopolitiques moins glorieux par des moyens machiavéliques. En résumé, pousser les populations à la révolte contre les régimes qu’il s’agit de renverser - sans intervenir trop directement - en participant à leur affamement. Comme le dit le diction populaire : "un mal pour un bien".

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