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La double impasse stratégique dans laquelle s’enfoncent les Républicains
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Wauquiez/Pécresse-Larcher-Retailleau

La crise politique que connait actuellement LR semble opposer un camp visant à la constitution d'un cartel électoral - à la demande notamment de Gérard Larcher et Valérie Pécresse - et le maintien d'une ligne incarnée par Laurent Wauquiez.

Samuel Pruvot

Samuel Pruvot

Diplômé de l’IEP Paris, rédacteur en chef au magazine Famille Chrétienne, Samuel Pruvot a publié "2017, Les candidats à confesse", aux éditions du Rocher. 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Le maintien de la ligne Wauquiez pose problème idéologiquement et du fait d'une personnalité jugée trop insincère par les Français. Ces deux lignes peuvent-elles vraiment aboutir à une relance de la droite ? N'ont-elles pas déjà montrées leurs limites ?

Samuel Pruvot : Relancer la droite n’est pas chose facile. Cela ne tient pas d’abord aux personnes mais à des circonstances inédites sous la Ve République. Les anciens partis de gouvernement (PS et LR) se retrouvent durablement marginalisés. C’était le rêve jadis d’un François Bayrou. Une véritable utopie. Mais l’impensable est arrivé en 2017 avec le surgissement d’Emmanuel Macron. Ce qui est en marche, c’est d’abord la recomposition de la vie politique française. La France est (re)devenue bipolaire : un centre libéral attrape-tout face à un pôle conservateur. Tout le reste semble voué à disparaître. La biodiversité politique française en prend un coup !

Quant à savoir si l’alliance bancale entre des barons de LR et Laurent Wauquiez peut aboutir, la réponse est dans la question. Cet attelage est contre nature. A droite, on a la mystique du chef. C’est par la magie de son charisme que des sensibilités politiques antagonistes (les droites de René Rémond) peuvent provisoirement se supporter. Un ancien cadre de LR me confiait à propos de la paralysie actuelle : « Les gens s’accrochent à leur titre. Wauquiez a placé ses pions partout et c’est pourquoi on ne peut le faire sauter. Tout est verrouillé. Les états généraux, c’est une vaste blague ! » Ce n’est pas tant la ligne politique de Laurent Wauquiez qui est rejetée que sa personne. La même source avoue : « Wauquiez s’est donné l’image d’une droite dure mais la plupart des gens de droite estiment qu’il n’est pas sincère. Il n’a pas vraiment de ligne. Que pense-t-il vraiment sur la PMA par exemple ? » 

Jean Petaux : Tout porte à craindre, pour Gérard Larcher, que sa proposition soit trop tardive, trop molle sur la scène de la droite et trop irénique au regard de l’état de ruines dans lequel se trouvent Les Républicains…

Trop tardive : le président Macron, appliquant à LR le « traitement à la sulfateuse » (pas au sens de machine à saupoudrer du glyphosate sur des rangs de vigne, mais à celui de « mitrailleuse lourde ») qu’il a administré au PS en 2017 a choisi de cibler son tir, cette fois-ci sur Les Républicains, en appliquant exactement la même méthode. Les mêmes causes produisant les mêmes effets c’est donc bien maintenant que la « poutre de LR » chère à Edouard Philippe, en s’effondrant, a emporté tout son passage et surtout les trois-quarts des murs de l’édifice. C’est donc plus tôt qu’il fallait s’organiser dans les rangs de LR pour éviter une hémorragie d’un bon tiers des électeurs LR vers LREM. Au lieu de cela Laurent Wauquiez a fait preuve d’un sens tactique et politique pas très éloigné de celui d’un bulot. Il est vrai que ce genre de coquillage est plus commun dans les vases du Bassin d’Arcachon (18,7% des SE pour la liste Bellamy quand Nicolas Sarkozy a obtenu l’un de ses plus gros scores nationaux au second tour de 2007 : 70,63% des SE) que dans les ruines fumantes de la préfecture du Puy-en-Velay, son fief, incendiée par les Gilets Jaunes dont le président de LR a porté, même éphémèrement, la chasuble sur un improbable rond-point, au début du mouvement et dont il a pu penser qu’il contribuerait à chasser Emmanuel Macron de l’Elysée, pour y entrer à son tour, dans le rôle du « recours ».

Trop molle : face à la pression RN depuis sa droite et à la forte poussée invasive de LREM sur son flanc gauche, LR doit réagir avec une intensité bien plus forte que la réponse proposée par Gérard Larcher qui vise (attention à l’audace !...), à recréer l’UMP, grande formation politique destinée à rassembler…  en son temps… le RPR et l’UDF ! Cette fois-ci ce serait LR et une partie de ceux qui ont rejoint les rangs macroniens, dans l’esprit du président du Sénat. Le seul souci c’est que ces électeurs-là n’ont aucune envie de revenir sous la coupe du parti dominant à droite (même très affaibli) : LR.

Trop irénique : on voit bien que l’idée de Larcher serait de rêver une sorte de réconciliation entre Wauquiez et le « reste du monde LR » : Pécresse (pdte Ile-de-France) ; Bertrand (pdt Hauts-de-France) ; Robinet (maire de Reims) ;  Estrosi (maire de Nice) ;  Moudenc (maire de Toulouse) ; Florian (nouveau et jeune maire de Bordeaux ayant succédé en mars 2019 à Alain Juppé récemment nommé au Conseil constitutionnel). C’est une vue de l’esprit même si c’est sans doute une point de passage obligé : rien ne pourra se reconstruire à LR sans une réconciliation. Mais aucune réconciliation durable ne pourra se construire à LR avec un Laurent Wauquiez à la tête du parti et dont le cynisme érigé à l’état de corps chimiquement pur fait presque passer Machiavel pour un sentimental affectif. Caractère prêté (à tort ou à raison peu importe d’ailleurs, ce qui compte ici c’est la représentation pas forcément la réalité) à Laurent Wauquiez et qui  fonctionne comme un véritable répulsif…

La probabilité la plus forte c’est que les électeurs LR qui ont déserté les rangs du parti de la droite républicaine dimanche dernier ont majoritairement voté d’abord pour la liste Loiseau, ensuite pour la liste Bardella. Ce vote n’est donc pas simplement un  vote de rejet de la stratégie Wauquiez (le choix de F.X. Bellamy, gendre versaillais idéal, tendance « Ginette » qui mangerait des grenouilles à condition qu’elles proviennent des bénitiers de la Chapelle royale du château de Louis XIV), c’est un vote d’adhésion à la politique conduite par Emmanuel Macron et Edouard Philippe depuis deux ans : économiquement de droite, sécuritairement de droite et fiscalement de droite. C’est là qu’apparaît le caractère tout à fait manœuvrier du président de la République… Il s’est fait reconnaitre, plus que ce que  les observateurs ont eux-mêmes perçu, par une partie de l’électorat LR qui a, manifestement, été sensible à la martialité présidentielle en matière de maintien de l’ordre. Sans compter la posture élyséenne lors de l’incendie de Notre-Dame : reconnaissance des racines chrétiennes de la France, place de Notre-Dame « seule au monde » et promesse de reconstruction d’ici cinq ans… Tous arguments « bankables » pour l’aile la plus modérée de LR, voire la fraction « catho-tradi » … 

La tenue d'états généraux semble s'orienter vers une alliance avec l'UDI. Si une telle stratégie peut avoir un sens immédiat dans le cadres des municipales, une simple alliance électorale sans consolidation d'un terrain commun ne risque-t-elle pas de pérenniser le déclin de la droite ?

Samuel Pruvot : Le déclin de la droite semble être aussi mécanique que la marée descendante. LREM est capable des siphonner l’électorat LR avec force et méthode. Il suffit de voir l’impact de la liste Loiseau dans des municipalités comme Neuilly ou Versailles… Nathalie Loiseau est arrivée largement en tête devant Bellamy comme si une certaine bourgeoisie était d’abord avide d’ordre et soucieuse de protéger ses intérêts financiers. Cette droite dite « orléaniste » n’est pas prête à l’aventure, pas même sur la base de valeurs dites conservatrices. Le vote massif des catholiques pratiquants pour la liste Macron démontre aussi la capacité des marcheurs de marcher sur les territoires historiques de la droite.  Quand je demande à mon ancien cadre LR si le libéralisme de Macron peut supplanter celui de la droite, sa réponse est sans appel : « A terme, tous les libéraux de LR iront chez Macron. C’est lui le plus fort sur ce terrain. » Un tiers environ des électeurs de Fillon en 2017 ont choisi un bulletin Loiseau en 2019… « Après tout, Macron a fait bien mieux que Sarkozy en matière de libéralisme. Il est plus crédible que nous » se désole cet ancien cadre.

Jean Petaux : Difficile de faire la « part du feu » (ou plutôt des « lendemains de feu ») pour savoir qui du PS ou de LR va, effectivement, disparaitre dans les mois à venir. La stratégie choisie par Olivier Faure et l’équipe dirigeante du PS a montré clairement ses limites : « se vendre » à un tiers, en l’occurrence Raphaël Glucksmann, sans aucune garantie politique mais surtout sans conduire l’attelage, c’était s’exposer au pire. Il a eu lieu : 6,2% des suffrages exprimés (1.401.978 voix). Même avec l’addition des voix obtenues par la liste Hamon (741.212 voix soit 3,3% des SE), l’électorat « socialiste » (celui qui était encore il y a deux ans dans le même parti, celui de Mitterrand, de Hollande, de Rocard, de Jospin, de Fabius et de Royal) ne dépasse pas les 2,15 millions de bulletins. Autrement dit 149.000 voix de moins que ce que le candidat Hamon avait recueilli sur son nom à la présidentielle de 2017. En 2002, au premier tour de la présidentielle, la seule fois où un candidat écologiste a dépassé les 5% des SE ce fut Noël Mamère. Il avait alors obtenu 1.495.724 voix, soit 94.000 de plus que la liste soutenue par le PS dimanche dernier…. Et le candidat « Chasseurs » en 2002, Saint-Josse, avait engrangé plus 1,2 millions de voix.. Le PS est donc quasiment moribond. Et c’est bien le sort qui guette LR. Si l’ancien grand parti de la droite républicaine se fractionne et explose, sur le modèle du PS, la somme de ses morceaux ne sera sans doute pas supérieure à son score actuel. S’il reste uni il est condamné à voir le quitter de plus en plus de dissidents, en particulier les maires « Macron-compatibles » qui ont certes signé un appel favorable à Bellamy dans les derniers jours de la campagne des Européennes mais qui ne tiendront pas longtemps à l’automne 2019 et au début de l’année 2020 quand ils chercheront à sauver leur fauteuil de maires sortants, avec le « pistolet LREM » sur leur tempe et un président de la République qui décidera (ou pas) d’appuyer sur la gâchette. Autrement dit : autoriser (ou pas) le lancement d’une liste concurrente LREM face à ces sortants…

L’autre scénario, on l’a vu, c’est la fuite vers le RN. Mariani, Garraud, élus parlementaires européens RN dimanche soir, ne seraient que les « éléments précurseurs » de ralliés  potentiels pour le parti de Marine Le Pen. Son compagnon, Louis Alliot, qui campe sur le parvis de la mairie de Perpignan depuis de nombreuses années, a, dès lundi, invité les élus LR qui le veulent, dans les PO et au-delà dans toute l’ancienne région  Languedoc-Roussillon à venir parler avec lui. … On retrouve la situation de 1998, quand Jacques Blanc, président sortant de la région négociait le « bout de gras » avec les cadres héraultais du parti de Jean-Marie Le Pen.

Le futur de LR est donc plus proche du « louvoyer pour survivre » que de la « reconquête triomphante ». A moins que ce ne soit un autre destin qui l’attende : « Périr pour renaitre ». Mais la période de Pâques et de la Résurrection est désormais renvoyée à l’an prochain. Le temps n’est plus aux miracles. D’ailleurs la maire de Lourdes est membre du Parti des Radicaux de Gauche (PRG), pas du tout de LR. Elle s’appelle Josette Bourdeu. Même de ce côté-là le « très catholique pratiquant » Bellamy aurait manqué le coche d’un tout petit « i ».

L'erreur de la droite aujourd'hui n'est-elle pas son incapacité à tirer les leçons de ses défaites ? N'a-t-elle pas gâché les fruits notamment récoltés par François Fillon qui avait récolté dans la douleur 20% des suffrages ?

Samuel Pruvot :Changer est toujours une épreuve, une conversion. Mais n’est pas saint Paul qui veut ! La droite est (re)tombée de cheval sur le chemin de Damas et de Bruxelles. Pour l’heure, aucune lumière ne semble donner un sens à cette lourde chute. « Le parti doit changer de tête avoue mon contact. Mais est-ce possible avec tous ces vieux barons qui ont le même logiciel depuis 25 ans !? Ils n’ont pas compris l’extrême volatilité des électeurs contemporains. Ce sont des consommateurs et plus des militants comme au temps du RPR ou de l’UDF. » Il ajoute avec un peu d’amertume. « La seule alternative possible, ce serait une personnalité nouvelle dans une nouvelle formation. Un Macron de droite : à la fois très libéral-libertaire et très crédible sur l’immigration. » Autant dire la quadrature du cercle. Mais on sait que la droite aime attendre un messie.

Peut-on penser que cette défaite électorale a déjà lancé des processus de guerres intestines et stimulent les éléments les plus « droitisés » du mouvement à l’image d’Erik Tegner, jeune LR militant pour l’union des droites signant dans Valeurs Actuelles (cf. L’OPA en cours des centristes sur la droit) ?

Jean Petaux : Erik Tegner a été, un temps, un très proche de Virginie Calmels et de son « micro-parti » « Libre » éphémère numéro 2 de LR avant de rompre avec Laurent Wauquiez. Le jeune homme fait partie de la « garde montante » de LR, génération trentenaire, disponible pour tous les « golpe » possibles et même inimaginables. Capable donc de passer toute forme d’alliances circonstancielles avec quiconque. Président du collectif Racines d’avenir, toujours membre des LR malgré les soucis qu’il a connus à l’automne 2018 quand il s’est présenté à la présidence des JLR, Erik Tégner, breton de Lamballe, a déclaré dans la journée du mardi 28 mai : « On ne peut pas dire qu’entre Macron et Le Pen on choisirait Macron ». Voilà qui a le mérite de la clarté : il se prononce clairement pour une alliance LR / RN.  Ce type de franchissement du Rubicon séparant la droite de l’extrême-droite est encore tabou au sein de LR. En tous les cas il se heurte à l’hostilité de Wauquiez qui l’a toujours refusé. Non pas par convictions (il faudrait en avoir pour s’y conformer) mais par pure précaution tactique, fort légitime et particulièrement fondée d’ailleurs : dans son état de « presque ruine » si LR passe une alliance électorale avec RN, c’est la mort programmée et assurée lors des prochaines municipales.

Jérôme Fourquet, directeur du Département Opinion et Stratégies d’Entreprise  de l’IFOP, présentant ce 28 mai, à la prestigieuse Librairie Mollat de Bordeaux ( visible sur www.mollat.com ), son remarquable ouvrage « L’Archipel français » (Seuil) et répondant à mes questions, rappelait opportunément qu’en 1998, lors des Régionales (à un seul tour alors) quatre présidents de Région (tous UDF et aucun RPR) avaient choisi de passer un accord de gestion avec des conseillers régionaux lepénistes pour sauver leur fauteuil de président : Charly Baur (Picardie) ; Jacques Blanc (Languedoc-Roussillon) ; Charles Million (Rhône-Alpes) et Jean-Pierre Soisson (Bourgogne). Jacques Chirac d’un côté pour le RPR (avec le soutien de Philippe Seguin) et Raymond Barre (ayant encore du poids à l’UDF surtout à Lyon dont il était maire depuis trois ans) avaient pesé (d’ailleurs en vain) de tout leur poids pour éviter cette « alliance-félonne ». En revanche d’autres potentiels candidats à ce qui apparaissait alors comme le franchissement de la « ligne brune » avaient renoncé à engager des pourparlers avec le FN compte tenu de la réaction virulente du président de la République élu en 1995.=

Jérôme Fourquet avait parfaitement raison ce soir de rappeler que ces faits étaient désormais vieux de 21 ans et qu’on imagine mal, si un « cacique local » de LR (maire de grande ville par exemple) avait envie de passer un accord avec le RN  sur son territoire d’élection, qui pourrait l’en empêcher à la direction nationale du parti… En tous les cas certainement pas Laurent Wauquiez tout juste capable de se maintenir en selle sur le cheval emballé qu’est devenu LR… dans sa course vers l’abime.

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