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La Chine détient-elle une arme nucléaire en étant capable de bloquer l’approvisionnement des Etats-Unis en terres rares ?
©Naohiko Hatta / POOL / AFP

Matières premières

Alors que la guerre commerciale avec les Etats-Unis semblent s'intensifier, le Président chinois Xi Jinping ont laissé entendre qu'elle pourrait faire valoir sa domination sur le marché clé des terres rares.

John Seaman

John Seaman

John Seaman est chercheur à l'IFRI, spécialiste de la Chine.

Il effectue notamment des recherches sur la production d'énergie et de terres rares.

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Atlantico : Alors que la guerre commerciale avec les Etats-Unis semblent s'intensifier, le Président chinois Xi Jinping ont laissé entendre qu'elle pourrait faire valoir sa domination sur le marché clé des terres rares. Est-ce un réel atout dans la manche de la Chine, ou s'agit-il de bluff selon vous ? 

John Seaman : La Chine est toujours dominante dans le secteur des terres rares, sans aucun doute, mais la situation n'est pas aussi grave que par le passé. 
D'abord, la production mondiale s'est diversifiée, même si cette diversification reste relative. La Chine est toujours de loin le premier producteur mondial de l'ensemble des 17 terres rares, à maintenant bien moins de 80% de l'extraction minière, voire plus pour certains éléments comme le dysprosium, mais c'est n'est plus à 97%, comme en 2010-2011. D'autres producteurs non-chinois ont pu émerger, notamment en Australie, et même aussi aux Etats-Unis (mais avec un succès plus aléatoire dans le cas de ce dernier, avec une production qui s'arrête et qui redémarre), ce qui a permis une diversification relative de la production au niveau mondial. 
Ensuite, le paysage de la demande a changé. Lorsque la Chine a mis en place ses quotas d'export en 2010, et les prix on flambées en 2011-12, de nombreux consommateurs ont trouvé des moyens pour résister - soit via des substituts (voir par exemple la quasi disparition des ampoules CFL en faveur des LED, ou encore le choix des batteries Li-ion plutôt que NiMH), soit à travers une meilleure efficacité dans l'usage de la matière première. Néanmoins, les terres rares restent toujours cruciales pour de nombreux produits - dans le raffinage du pétrole ou les pots catalytiques, par exemple, ou encore tous ceux qui dépendent des aimants permanents, par exemple dans l'industrie automobile (surtout plusieurs models de véhicules électriques), des de nombreux produits électroménagers ou de ICT, ou encore les éoliens - où les alternatifs ne sont pas aussi faciles à trouver. 
Mais la vraie force chinoise réside non seulement dans sa production des minerais, mais dans sa capacité de les raffiner et les transformer. Au-delà de la matière première, la Chine maitrise davantage les chaines de valeur - des minerais et des oxides aux alliages et jusqu'à même aux aimants permanents, par exemple. La Chine est donc le premier producteur mondial des terres rares, mais elle en est aussi le premier consommateur.

Quel est le degré de dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de son adversaire chinois ?

C'est dans le cas des Etats-Unis où la maitrise de la chaine de valeur chinoise est le plus visible. Après avoir fermée ses portes en 2002, réouvert en 2012 et fait faillite en 2015, la mine historique de Mountain Pass en Californie s'est réouverte l'année dernière. Mais toute sa production est aujourd'hui envoyée en Chine pour être transformée - et c'est désormais la Chine qui les taxe à l'arrivée. Aucune capacité américaine n'existe aujourd'hui pour raffiner les minerais extrait de Mountain Pass en produits industriels, donc la dépendance des Etats-Unis, et de la Chine en particulière, est élevée. D'ailleurs c'est l'une des rares lignes d'importations provenant de Chine qui a pu résister aux taxes douanières identifiées par l'administration Trump. Des projets potentiels existent pour ouvrir une usine de raffinage aux Etats-Unis - à Hondo, au Texas - mais elle reste toujours théorique pour l'instant. 
Comme les Etats-Unis n'ont non-seulement perdu leur capacité de raffiner les minerais riches en terres rares, ils ont aussi perdu en grande partie les maillons de la chaine de production qui consomment les matières premières raffinées. On ne trouve plus de producteurs d'aimants permanents aux Etats-Unis, par exemple - au Japon, en Allemagne, oui, et surtout en Chine, mais pas aux Etats-Unis. Les industries américaines qui se servent de ces aimants n'importent pas des terres rares directement, mais des produits bien transformées fait à base de. La consommation américaine des terres rares en tant que matière première est surtout concentrée dans le raffinage du pétrole et les pots catalytiques d'automobiles.  

Quel serait l'effet d'un embargo sur les matières premières ? Et sur les produits transformés contenant des terres rares ?

A mon avis, un embargo sur les terres rares en tant que matière première serait assez limité s'il ne cible que les Etats-Unis. Ces derniers peuvent toujours passer par des intermédiaires pour se fournir. Il y aurai une prime à payer, certes, mais ce ne serait pas un accès à la ressource totalement bloqué. Pour être efficace, il faudrait que l'embargo soit quasiment mondial, et à mon avis ce n'est pas ce que les autorités chinoises auraient en tête - ou bien ce serait une option pour garder pour bien plus tard, dans la malheureuse l'éventualité où un nombre plus large de pays fassent clairement front uni avec les Etats-Unis contre la Chine. Un embargo sur l'exportation des produits transformés - par exemple des aimants permanents - aurait nécessairement un impact aussi, mais encore une fois, tant qu'il y aura de la demande côté américain, il y aura des traders qui n'hésiteraient pas à jouer l'intermédiaire pour gagner une marge - donc un cout à payer côté Etats-Unis, mais pas nécessairement plus. 
En revanche, le symbolisme de tels mesures serait très important, et ne ferait que confirmer la nécessité ressenti côté américain de reconstituer une maitrise plus complète de la chaine de valeur des terres rares et, de manière plus large, défendre la stratégie poussée par certains aux Etats-Unis de forcer un découplage plus profond entre les économies américaines et chinoises. 
A mon avis le ressenti en Europe, au Japon, ou dans d'autre pays consommateurs d'un éventuel embargo chinois, même s'il ne cible que les Etats-Unis, ne serait pas non plus négligeable. En effet, notre dépendance vis-à-vis la Chine dans le domaine des terres rares, ainsi que d'autres métaux "critiques" et les chaines de valeur qui y sont liés - par exemple le cobalt et les batteries, où la Chine prend des positions importantes - est aussi une vraie source d'inquiétude.  

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