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Trump alimente les risques de conflit avec l’Iran. Peut-être. Mais est-il le véritable décisionnaire de la politique étrangère américaine ?
©Brendan Smialowski / AFP

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Donald Trump a menacé sur Twitter de provoquer la "fin officielle de l'Iran" si Téhéran "veut se battre".

Corentin  Sellin

Corentin Sellin

Professeur agrégé d'histoire CPGE. Spécialiste de politique américaine. Il est le co-auteur des EtatsUnis et le monde (1823-1945) aux Editions Atlande (2018).

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tlantico : Dans quelle mesure cette menacede Donald Trump est-elle sérieuse ? 

Corentin Sellin : Cette menace n'est pas très sérieuse si l'on considère d'abord qu'un régime iranien exsangue ne cesse de répéter au travers de toutes ses composantes (président Rohani, ministre des Affaires étrangères Zarif, et même commandant des Gardiens de la Révolution Salami) qu'il ne veut pas la guerre et ne fera rien pour la déclencher. Par ailleurs, ce tweet du jour de Trump contredit sa propre déclaration de vendredi, quand il disait espérer ne pas faire la guerre à l'Iran. Il faut se souvenir que les tweets de Trump ne sont pas nécessairement destinés à d'éventuels rivaux ou partenaires diplomatiques mais à sa propre base politique intérieure, qui le suit sur les réseaux sociaux, et à laquelle il veut diffuser en permanence une image de force et de virilité prêtes à frapper à tout instant. 

Plus largement, Donald Trump a-t-il vraiment les moyens de prendre seul de telles décisions en matière de politique internationale ? Comment la politique étrangère s'élabore-t-elle au sein des institutions américaines ? Quels obstacles pourrait rencontrer Trump au sein de ces mêmes institutions ?

L'évolution de la présidence US au XXe siècle a fait du chef de l'Etat le décideur ultime, de dernier ressort, pour la politique étrangère et les interventions militaires extérieures. Si le Congrès a tenté, lors du Watergate, de reprendre ses prérogatives originelles (War Powers Act de décembre 1973, qui contraint théoriquement le président à soumettre à l'aval du Congrès tout déploiement extérieur de forces dans un délai de 60 jours), la présidence a développé de nouveaux moyens de contournement de l'autorité du Congrès. Ainsi, Trump lui-même a pu déjà frapper deux fois militairement  le régime de Bachar par des frappes aériennes en Syrie en arguant qu'il ne s'agissait pas de déploiement de troupes au sol et d'opérations ponctuelles. Quant à la présence de soldats étatsuniens en Syrie contre l'Etat Islamique, elle a été justifiée sous Obama puis sous Trump par des autorisations votées par le Congrès en 2001-2002 pour la lutte contre le terrorisme islamique d'Al Qa'ida. Si Trump décidait de frapper l'Iran, il pourrait utiliser de nouveau cette autorisation parlementaire de 2001-2002 en arguant des activités terroristes financées par Téhéran. Le Congrès paraît donc dépassé comme contre-pouvoir en politique étrangère, d'autant que le Sénat possède une majorité républicaine confortable. Les lignes de fracture éventuelles passent actuellement davantage à l'intérieur de l'exécutif entre un Trump soucieux de conserver la dimension isolationniste et sans guerre longue de son America First et son conseiller à la Sécurité nationale Bolton ou son secrétaire d'Etat Pompeo, tous deux issus, à des degrés divers, de l'école néoconservatrice d'interventionnisme militaire direct pour imposer les valeurs étatsuniennes. Cependant, au sein même du Conseil à la Sécurité Nationale (NSC) qui reste l'organe central de conception et de décision de la politique étrangère et de défense US, si Bolton y contrôle la bureaucratie et les propositions, Trump reste le seul décideur. 


Paradoxalement, Donald Trump prône depuis le début de son mandat une politique à rebours de l'interventionnisme et exprime une ferme volonté de désengager les Etats-Unis des théâtres d'opération internationaux et des instances internationales. Est-ce crédible et faisable ? Peut-il décider seul ? Quelles forces s'opposent à ce "désengagement" unilatéral à l'intérieur des institutions américaines ?

Pour l'heure, Trump a, en effet, tourné le dos à beaucoup d'engagements internationaux multilatéraux dont il estimait qu'ils desservaient l'intérêt national au sens strict, dont le fameux accord nucléaire avec l'Iran de 2015 (JCPOA) mais aussi les traités de libre-échange, l'accord de Paris sur le climat etc. Et conformément à l'exercice de la présidence impériale, ce repli unilatéral des Etats-Unis voulu par Trump n'a pu être contrarié dans ses grandes lignes. Cependant, la crise actuelle avec l'Iran fait ressortir une nouvelle étape de la présidence Trump. Il a défait l'accord nucléaire signé avec Obama car il voulait un nouveau traité englobant des interdictions sur la prolifération balistique iranienne et le soutien de ce régime à des forces déstabilisatrices au Moyen-Orient. Trump, aussi paradoxal que celui puisse paraître, répète qu'il veut renégocier avec l'Iran, d'où les fortes sanctions économiques… après avoir cassé le seul accord déjà conclu sur le nucléaire. Mais Bolton et Pompeo paraissent eux beaucoup plus soucieux de renverser le régime religieux et dictatorial de Téhéran, dont ils dénoncent à l'envi la corruption et l'illégitimité. On voit donc un président "circonscrit" par ses conseillers qui tentent de poursuivre leurs propres objectifs sous son autorité. Cette tendance à la dissonance bureaucratique- voire à la résistance- est manifeste en politique étrangère où, par exemple, le département d'Etat n'a toujours pas exécuté l'ordre de retrait de l'aide financière au Honduras, au Guatemala et au Salvador annoncé par Trump fin mars (Ignoring Trump’s Orders, Hoping He’ll Forget).

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