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Pourquoi il est très difficile de se fier à ses souvenirs de petite enfance
©Allan Ajifo / Flickr

Memento

Selon une étude menée par le Centre for Memory and Law de la City University of London, environ quatre personnes sur dix ont fabriqué leurs premiers souvenirs d'enfance. Des experts ont déjà entrepris d'utiliser cette caractéristique du cerveau humain pour soigner des traumatismes ou lutter contre certaines maladies.

Christophe Julia

Christophe Julia

Chrisophe Julia est psychologue clinicien diplômé de l'université de Paris 8 - IED. Il est spécialisé dans l'apprentissage de la gestion difficile des émotions (peur, colère, anxiété, perte de confiance…). Il est formé à l'hypnose éricksonienne à l'institut Milton Erickson d'Avignon, à la thérapie systémique et stratégique ou thérapie brève de Palo Alto à l'Institut Gregory Bateson de Liège.

Il est également Docteur en Sciences Economiques de l'Université de Montpellier.

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Atlantico: D'après les conclusions de cette étude, il est peu probable que les souvenirs d'enfance soient des événements réels en raison de l'âge auquel ils ont été capturés.  La mémoire infantile est-elle fiable ?

Christophe Julia : Selon Jacques Touchon, médecin chercheur sur la mémoire, la maturation de l'hippocampe ne se fait qu'après cinq ans, ce qui signifie qu'avant cinq ans, la mémoire est très peu fiable. Au fond, elle est d'autant moins fiable que les gens assurent que c'est une vérité. En réalité, la mémoire fonctionne en deux temps : par encodage et par récupération. On croit récupérer des souvenirs et ensuite on les ressasse à plusieurs (ses parents, ses proches etc.) : c'est ainsi qu'on construit une mémoire. Pour ce qui fait la vérité scientifique des choses, il n'y a pas d'objectivité si ce n'est dans le débat. Quand il s'agit d'une mémoire familiale, c'est entièrement teinté par une émotion : c'est donc très peu accessible à la discussion et à l'échange de points de vue. La plupart du temps, les souvenirs avant cinq ans sont très peu fiables. En fait, il y a une sorte de convergence des recherches pour arriver à un certain point de connaissances : c'est relativement objectif, mais c'est une objectivité sous le rapport intersubjectif du débat des chercheurs.

Puisqu'on peut modifier ses propres souvenirs, peut-on aussi manipuler les souvenirs des autres ? En créer de nouveaux ?

C'est évident que chez certaines personnes vulnérables, d'autant plus s'il s'agit d'enfants, on peut leur mentir pendant très longtemps, toute une vie, et même parfois sans le faire exprès. Des chercheurs des années 1980-1990 sont parvenus à créer des faux souvenirs : ils ont réussi à soigner des traumatismes de la petite enfance, souvent sexuels sous l'inspiration freudienne, ou faire ressortir des événements qui n'avaient jamais existé. Le thérapeute, au lieu d'être catalyseur d'un processus autonome, était manipulateur, grâce à une psychothérapie ou grâce à l'hypnose, profitait de la vulnérabilité de la personne jusqu'à créer des faux souvenirs. Cela se trouve actuellement dans les conflits de couple : pour se débarrasser d'une des personnes du couple, on fait créer à l'enfant des faux souvenirs, quitte à manipuler des dessins d'enfant. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement de thérapie. Sous la pression des émotions des uns et des autres, on peut avoir une influence sur quelqu'un qui peut croire en cette reconstruction de ses souvenirs.

Le mécanisme général est le suivant : il y a 2% des neurones qui s'occupent de la perception extérieure, ce qui est très peu. Or le monde intérieur est constitué de la mémoire et de l'imagination : ici, l'on peut capturer ou inventer des images et des souvenirs que l'on croit vrai. En réalité, même la perception est une reconstruction. Il y a une double traduction de signaux lumineux et sonore qui sont des flux nerveux qui se traduisent en modification chimique, puis une traduction électrique pour arriver jusqu'au cerveau. De fait, notre pensée est une reconstruction. C'est facile de vaciller si l'on n'est pas en interaction incessante avec l'environnement (relationnel et scientifique) : on peut donc créer des souvenirs complètement autonomes et délirants.

Le souvenir n'est pas encodé dans un coin du cerveau. Le cerveau est un réseau qui contient de nombreuses informations codées dans des endroits différents, avant la reconstruction. On peut donc reconstruire un souvenir fictif  à partir d'éléments de base qui sont vrais.

Quels sont les avantages et les dangers médicaux, psychologiques et éthiques des "fausses suggestions autobiographiques" telles qu'elles sont pratiquées par certains médecins pour supprimer une allergie lutter contre l'obésité ou libérer d'un traumatisme ?

Erickson avait créé un faux souvenir, qui s'appelle "l'homme de février", à une enfant abandonnée : il lui a créé le souvenir d'un homme qui venait lui rendre visite en février, alors qu'elle n'a jamais eu personne de réellement proche dans sa vie. Elle fait de cet homme un ami : quelqu'un sur qui elle comptait et en qui elle a cru. Il peut y avoir des fausses suggestions autobiographiques qui soient dévastatrices : si l'on crée des événements traumatisants qui n'existaient pas dans le passé et qui créent une scission au présent pour une fille qui rejette son père sans raison.

Au fond la vraie question est de savoir si c'est bénéfique ou pas, et si la personne y croit. J'ai travaillé avec une personne qui avait des lésions au niveau de l'estomac : elle a eu plusieurs opérations faites et la chirurgie ne fonctionnait pas. Grâce à la psychologie, il y a eu réveil de souvenirs, le problème de deuils pas réalisés. Nous avons réglé le problème par l'hypnose sur un souvenir qu'elle a eu à quatre ans. Il s'agit donc d'un problème de croyance. Si cela fait du bien au patient et cela transforme sa vie, cela lui sera bénéfique.

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