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De la Britpop au Brexit : la crise du softpower britannique vue au prisme de l'Eurovision
©JACK GUEZ / AFP

Eurovision 2019

Pendant l'édition 2019 de l'Eurovision, les Britanniques voudront faire oublier les tribulations économiques et politiques que le pays a vécues ces dernières années.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Avec le Brexit, l'image du Royaume-Uni a été écornée à l'international. L'eurovision leur permettra-t-il de la redorer un peu et comment ? 

Cyrille Bret : le Brexit a définitivement tourné la page du « Cool Britannia » des décennies 1990-2000. Avec la victoire du « Non » au référendum organisé par David Cameron le 23 juin 2016, le Royaume-Uni a changé d’image auprès des opinions publiques en Europe et au-delà. En choisissant de quitter l’Union européenne, une majorité d’électeurs britanniques ont en effet souhaité rompre avec le statut de pôle de la mondialisation que le pays avait acquis après les années Tchatcher. Sur le plan politique, le pays est apparu comme soucieux de sa souveraineté nationale et presque comme chauvin à ses partenaires européens. Aux investisseurs internationaux, il a montré un visage oublié : celui du repli sur soi. Aux expatriés européens installés en nombre à Londres, il a inspiré la crainte de se voir traités en étrangers. Alors que Tony Blair avait réussi à rendre le pays attractif à partir de son élection en 1997, le Royaume-Uni de David Cameron puis Theresa May est devenu un objet de méfiance.

L’édition 2019 du concours de l’Eurovision ne suffira évidemment pas à faire oublier les tribulations politiques et économiques que le pays a vécues ces deux dernières années. La démission de David Cameron, la précarité de la situation de Theresa May, la crise économique qui s’amorcent, etc. tous ces facteurs ont grandement amoindri l’attractivité du pays. Le Royaume-Uni cherche aujourd’hui les moyens de relever son image. Le concours Eurovision lui donne une vitrine importante au moment où les conditions d’un délai pour le Brexit sont négociées.

Florent Parmentier : alors que le Royaume-Uni a toujours semblé avoir un coup d’avance sur ses adversaires, sachant faire conjuguer modernité et tradition, le voici à présent hésitant et ne sachant pas où il veut aller. Non seulement l’image de ‘Cool Britannia’ est écornée, mais Westminster, temple du parlementarisme moderne, ne sait pas où donner de la tête. La faute sans doute à une distance vis-à-vis de l’Europe qui s’est répandu via une presse populaire obnubilée par la grandeur perdue de la Seconde Guerre mondiale et de l’Empire, dont les souvenirs sont peut-être plus vivaces que ce que l’on a voulu croire, plus particulièrement chez les Anglais que parmi les autres nationalités du Royaume-Uni. Le Brexit a été le fruit d’une alliance étrange entre des milliardaires souhaitant déréguler l’économie britannique plus avant et des classes populaires qui ont accablé l’Europe de ces maux, se méfiant des migrants européens arrivés de fraîche date. Le réveil sera difficile.

En attendant, dans ce contexte de division nationale qui caractérise aujourd’hui le Royaume-Uni, les Britanniques voudront mettre en avant leur ‘Fighting spirit’, qui a récemment vu Manchester triompher du Paris Saint-Germain, Liverpool surclasser Barcelone et Tottenham vaincre l’Ajax d’Amsterdam. Le fait de bien figurer permettrait aux conservateurs et aux partisans du Brexit de montrer qu’on peut s’en tirer pour le mieux sans être membre de l’Union européenne ! Tout signal positif est interprété comme une victoire.

L'influence britannique a toujours traversé les frontières, notamment grâce à sa musique, et à la variété. Où en situe-t-on l'âge d'or et quel est son poids aujourd'hui ? 

Cyrille Bret : la Britpop a connu deux âges d’or. L’un dans les années 1960-1970 et l’autre dans les années 1990. Ceux qui ont vécu les années 1990 à Londres s’en souviennent : après la grisaille conformiste de l’ère Thatcher puis Major, l’élection de Tony Blair en 1997 a consacré la renaissance du softpower britannique et ressuscité l’attractivité du Royaume-Uni. Dans le domaine politique, la Troisième Voie tracée par le Labour de retour au pouvoir après des années d’opposition est apparu comme un modèle de synthèse entre dynamisme économique et recherche de l’équité sociale. Tony Blair était envié et imité à Paris par les socialistes du gouvernement Jospin et à Berlin par les sociaux-démocrates de Gerhard Schröder. Jeune, souriant, charismatique, Tony Blair jouissait alors d’une aura comparable à celle d’Emmanuel Macron en début de mandat. Un vent nouveau semblait souffler de Londres vers une Europe assoupie. Dans le domaine culturel, la mode, le design et les arts visuels londoniens donnaient le ton. Les grands architectes bâtissaient à Londres et les grands cuisiniers s’y établissaient. Enfin et surtout, les groupes Oasis, Blur, Pulp ou encore les Spice Girls ont redonné à la scène musicale britannique un rayonnement mondial. Toutefois, paradoxalement, le succès commercial de la Britpop ne s’est pas traduit par des succès récents au concours de l’Eurovision.

Mais il ne s’agit que du deuxième âge d’or de la chanson britannique. Le premier âge d’or du softpower musical et artistique du Royaume-Uni date du Swinging London des années 1960 et de la primature de Wilson. Dans le sillage du succès planétaire des Beatles, les styles musicaux mondiaux s’élaboraient à Londres d’abord et avant tout. Des groupes comme les Rolling Stones, les Who, les Kinks, etc. lancèrent alors des thèmes musicaux qui font encore partie de la culture de masse actuelle. Bien d’autres révolutions culturelles se sont élaborées dans ce Londres de la créativité : la minijupe de Mary Quant, le cinéma expérimental, etc. Reflétant le rayonnement de la Britpop, le concours Eurovision a couronné quatre fois le candidat britannique, en 1959, 1962, 1967 et 1977.

Quel message pourrait envoyer le Royaume-Uni via le concours cette année ? (choix du candidat, ...)

Cyrille Bret : Michael Rice, le candidat présenté par la BBC, la télévision publique britannique au concours de l’Eurovision 2019 aura bel et bien la charge de donner un visage plus riant au pays. Même si aucun candidat britannique n’a remporté la compétition depuis 1976, Michael Rice a des atouts. C’est d’abord un chanteur confirmé par le public britannique : en effet, la sélection très rude a été opérée par le biais de la compétition organisée par la BCC en 2018. Comme la télévision suédoise et ou la télévision irlandaise, la BBC a mobilisé des téléspectateurs autour de son candidat. Après tout, le titre même de sa chance Bigger than Us (plus grand que nous) ne peut-il pas être interprété comme un appel à dépasser le strict cadre national britannique ?

Florent Parmentier : dans un ouvrage publié pour la première fois à la fin des années 1970, intitulé Bruits, Jacques Attali a proposé une économie politique de la musique dans laquelle il montre comment la musique précède les grandes évolutions de la société. Il y prédit alors que la musique sera diffusée gratuitement par ordinateur – ce qui paraissait une thèse audacieuse au moment où le Minitel est encore promis à un bel avenir ! On peut de même avancer que la musique est géopolitique et qu’elle permet d’anticiper des grandes tendances du monde. Le monde ne doit pas seulement être vu, il doit être écouté !

De fait, alors que les Britanniques étaient compétitifs lorsqu’ils souhaitaient se rapprocher de l’UE (5 victoires de 1967 à 1997), ils ont terminé derniers en 2003, 2008 et 2010. C’est également le pays qui a terminé le plus souvent sur la 2ème place du podium, la dernière fois en 1998. Paradoxalement, cette deuxième place obtenue à Londres aura eu lieu un 9 mai, fête de l’Europe ! Vingt ans plus tard, on se souvient qu’en 2018, la chanteuse SuRie est interrompue par un homme qui souhaitait protester contre la présence du Royaume-Uni au concours de l’Eurovision malgré le Brexit. Cette année comme à l’avenir, les Britanniques vont tenter de faire passer le message suivant : nous quittons l’Union européenne, mais nous ne quittons pas l’Europe. Pour cela, le candidat britannique doit montrer un visage positif !

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