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Pourquoi le résultat des élections européennes aura vraisemblablement un impact limité sur l’avenir de l’Union
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Allez voter quand même

Alors que les élections européennes se tiendront le 26 mai prochain, plusieurs nominations pour des postes de première importance dans la hiérarchie européenne devraient être décidées dans les semaines et mois à venir, dont la présidence de la Commission, de la BCE, ou du Conseil européen.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Comment mesurer l'impact qu'auront les résultats des européennes, et la majorité / coalition qui s'en dégagera, pour ces nominations à la présidence de la Commission, de la BCE, ou du Conseil européen ?

Christophe Bouillaud : Au vu des derniers sondages disponibles compilés à l’échelle des 27 ou 28 membres de l’Union européenne, les rapports de force entre les grands groupes du Parlement européen évolueront en réalité peu. Les forces historiques de la construction européenne (conservateurs et démocrates-chrétiens du PPE, socialistes et socio-démocrates du PSE, libéraux de droite et de gauche de l’ALDE) seront affaiblies, mais elles resteront dominantes au sein du futur Parlement européen. Le groupe PPE et le groupe S&D (PSE) auront certes selon toutes les prévisions publiées du mal à avoir à eux seuls la majorité, il leur faudra faire appel au groupe ALDE, mais, au final, la majorité au sein du Parlement européen restera celle du « grande coalition » des européistes de droite, du centre et de gauche contre deux ailes rétives à cette convergence des « modérés » : les héritiers du communisme d’un côté, les partisans des nationalismes d’hier et d’aujourd’hui de l’autre. Le renforcement à droite du vaste camp nationaliste, eurosceptique, souverainiste, lui-même divisé en plusieurs chapelles, devrait faire les gros titres des journaux européens le 27 mai, mais cela ne changera guère les équilibres bien établis au sein de ce Parlement européen qui n’a jamais connu d’alternance et qui ne devrait pas en connaître non plus en 2019.

Par ailleurs, les seuls postes qui dépendent directement du résultat des européennes sont en principe la future Présidence de la Commission et les futurs Commissaires européens. Il faut en effet une majorité au sein du Parlement européen pour les confirmer après qu’ils aient été choisis par les gouvernements des 27 ou 28 pays. Le choix de la présidence de la BCE ne dépend par contre que de la volonté des exécutifs des Etats membres, tout comme celui du Président du Conseil européen. Le résultat global des élections européennes peut évidemment jouer sur le contexte de ces deux nominations.

Pour ce qui concerne le Président de la Commission, lors de l’élection parlementaire de 2014, une règle, non inscrite directement dans les Traités mais partagée par tous les grands partis européens (PPE, PSE, ALDE, PVE, et même Gue), avait semblé devoir émerger : le Président de la Commission serait le candidat à ce poste présenté par le parti européen arrivé en tête des sièges. Cette règle semble être toujours en vigueur : tous les grands partis européens ont présenté leur « Spitzcandidaten » (en allemand – car la règle a d’abord émergé en copiant la situation allemande). Donc, comme le PPE devrait arriver en tête encore cette fois-ci (même si Viktor Orban retire son appui au candidat du PPE), son candidat, l’allemand Manfred Weber devrait être le futur Président de la Commission. Or rien n’est moins sûr. Manfred Weber est en effet le pur produit d’une carrière entièrement jouée au sein même du Parlement européen. Il est complètement inconnu du grand public européen,  même en Allemagne, c’est un illustre inconnu. Surtout, il y a quelques mois déjà, les exécutifs des pays membres, dont celui de la France, ont laissé entendre que, dans les Traités, c’est uniquement le Conseil européen qui choisit le Président de la Commission  en tenant certes compte des résultats des élections comme le précise les textes, qu’ensuite le Parlement n’a le choix que d’approuver ou pas ce choix du Conseil européen.

De plus, choisir Manfred Weber reviendrait à nommer à la tête de la Commission un « poids plume » du point de vue de l’expérience exécutive. Or, depuis la fin des années 1990, tous les Présidents de la Commission ont été avant de l’être Premier Ministre dans leur propre pays (Santer au Luxembourg, Prodi en Italie, Barroso au Portugal, et enfin Juncker au Luxembourg). Cela correspond au fait que les exécutifs des Etats veulent quelqu’un à la tête de l’institution communautaire  qui sache de l’intérieur ce qu’est réellement un Etat membre – en particulier, un refus de toute délégation de souveraineté trop gênante. Cette attente semble aussi valable pour la Présidence du Conseil occupé par deux ex-Premiers Ministres (Von Rompuy, un ancien Premier Ministre belge, puis Donald Tusk, un ancien Premier ministre polonais). Il faut descendre dans l’ordre protocolaire au Haut Représentant de l’Union pour les Affaires Etrangères et la Politique de sécurité (actuellement Federica Mogherini), Vice-Président de la Commission, pour trouver des personnes n’ayant eu qu’une responsabilité de Ministre dans leur pays.

Bref, la nomination de Manfred Weber à la tête de la Commission serait vraiment une surprise. Cela voudrait dire que les exécutifs des Etats poursuivent leur stratégie d’abaissement de cette institution engagé à la fin de la Présidence Delors (1985-1995). Cette situation explique pourquoi d’autres noms sont évoqués comme celui de Michel Barnier. Il n’a pas été Premier Ministre en France, mais Ministre, et surtout il a été Commissaire européen et il est en charge de négocier le Brexit avec les Britanniques depuis l’automne 2016. D’autres noms sortiront peut-être. Certains ont même évoqué l’arrivée d’Angela Merkel…

Quels sont les enjeux de gouvernance qui échapperont aux résultats de ces élections, et donc à la nouvelle majorité /coalition ?

Comme je viens de le dire, toutes les nominations échappent à la nouvelle majorité parlementaire, sauf la confirmation du nom du Président de la Commission et des autres membres de la Commission. Ce n’est pas rien bien sûr, mais la distribution des postes (Commission, Présidence du Conseil, BCE) se joue essentiellement entre les exécutifs des Etats membres. Le rôle des élections européennes est alors indirect : de ces élections, chaque exécutif national sortira renforcé ou affaibli, il aura ensuite à déterminer ses priorités. Il est possible  que certains exécutifs, comme le gouvernement Conte en Italie, soient achevés de fait par le résultat de l’élection européenne. De fait, lors de ce bal des nominations, chaque exécutif essaiera de défendre au mieux son intérêt.

A ce titre, comment évaluer l'importance du vote des citoyens européens lors de ce scrutin sur les enjeux de l'Union européenne ?

Tout cela pourrait laisser penser que le vote pour les élections européennes est sans grande importance. Cependant, il faut bien comprendre que, si tous les grands partis européistes tiennent et tiendront ensemble la barre de l’Union européenne, leur force respective influence légèrement l’orientation donnée par cet ensemble de barreurs au futurs directives et règlements de l’Union, et la présence au sein du Parlement européen d’opposants de droite ou de gauche n’est pas si anodine que cela, surtout si ces opposants travaillent leurs dossiers.

Bien sûr, il n’y aura pas de « révolution » au niveau des grands choix européens. L’Union européenne ne va pas abandonner son cœur de métier : le libéralisme économique, la défense des droits humains, l’aspiration sociale ou les prétentions écologiques. Il n’y aura cette année ni « Etats-Unis socialistes d’Europe », ni « l’Europe des patries », ni la « Fédération écolo ».  Par contre, dans le cadre des majorités centristes qui déterminent les politiques de l’Union européenne, les modifications de l’orientation du vote des Européens vont avoir un impact. Si les partis écologistes progressent en sièges, l’Union européenne aura une politique plus attentive aux enjeux portés par ces partis. Si les souverainistes, nationalistes, et autres extrémistes de droite, ont beaucoup plus d’élus, cela pèsera sans doute sur les politiques migratoires.

En somme, contrairement à l’image d’inanité de cette élection européenne qu’ont beaucoup de gens mal informés, un citoyen a toujours intérêt à aller voter aux élections européennes, quelle que soit par ailleurs son orientation politique. De très nombreuses décisions en matière de politique publique se prennent par un vote du Parlement européen. Le seul perdant de cette élection, c’est en fait l’abstentionniste ! Les classes populaires, en France comme ailleurs en Europe, vont sans doute s’abstenir massivement, il ne leur faudra pas s’étonner ensuite que les politiques publiques européennes continuent à oublier souvent leurs préoccupations. 

Contrairement à une élection majoritaire, où le vote stratégique peut interférer dans le choix de l’électeur (comme par exemple lors du second tour d’une présidentielle en France), c’est en plus une élection où l’on peut voter selon son cœur. Il suffit de voter pour une liste de sa couleur ou idéologie politiques, en tenant compte cependant des possibilités réelles de cette liste de dépasser le seuil des 5% pour avoir des élus. Les sondages peuvent donner une assez bonne idée de qui aura des élus dans son camp et qui n’en aura pas. Je laisse chaque électeur intéressé les lire. Par chance, en France, tous les camps (extrême-droite, droite, centre, gauche, écologistes, et extrême-gauche) peuvent avoir des élus. Contrairement à d’autres pays (plus petits, ou sans certaines idéologies représentées), la gamme du choix offerte à l’électeur français pour avoir ses idées représentées au Parlement européen est large. Il faut donc en profiter. L’idée répandue par ailleurs, selon laquelle les représentants trahissent toujours les représentés, dépend tout de même beaucoup de qui l’on a choisi comme représentant. L’électeur peut aussi apprendre de ses déceptions face à ce qu’il a perçu à tort ou à raison comme des trahisons pour aller voir ailleurs. En somme, ne pas voter aux Européennes, c’est un bien mauvais calcul.  Désolé de ce cours d’instruction civique des plus classiques, mais voter aux Européennes est le bon choix quelque que soit le choix de liste que l’on peut faire par ailleurs. 

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