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“Toujours voisins” : mais que veulent vraiment de nous les Britanniques ?
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25 ans d’Eurotunnel

Une affiche apposée sur la façade de l'ambassade du Royaume-Uni rappelle les liens de "voisinage" de la France et de la Grande-Bretagne.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : 25 ans après l'inauguration du tunnel sous la Manche qui est un emblème des bonnes relations entre la France et le Royaume-Uni, et dans une période de tension liée au Brexit et aux déclarations d'Emmanuel Macron, pensez-vous que ces bonnes relations entre nos pays pourraient en pâtir ?

Christophe Bouillaud : En dehors de conflits sectoriels et sectorisés éventuels autour de la définition des zones et périodes de pêche, ou de la gestion des flux migratoires entre le continent et les îles britanniques, je n’arrive pas à imaginer des raisons fortes qui amèneraient les relations entre la France et le Royaume-Uni à se détériorer vraiment. Il faudrait vraiment un événement impensable, un événement historique au sens fort du terme, pour que tout d’un coup deux siècles de paix depuis Waterloo dérivent vers quelque chose comme un réel conflit.

Il faut noter par ailleurs une asymétrie dans les sentiments exprimés par des minorités xénophobes dans chaque pays. Il existe effectivement au Royaume-Uni, surtout dans une partie de la presse eurosceptique, un fantasme anti-Jacobin, anti-Napoléonien. Cette presse voit parfois « l’Europe » comme un complot français contre l’indépendance et la liberté des îles britanniques. Ce sentiment contre les « mangeurs de grenouille » me parait tout de même largement sur-joué, presque ludique en fait, même dans ce camp-là. Il suffit de voir que les partisans du Brexit sont bien contents d’avoir la visite et l’appui des partisans du Frexit. Les eurosceptiques britanniques savent bien que tous les Français ne sont pas des « napoléoniens ».  Par contre, le sentiment vraiment antibritannique n’a plus aucune consistance du côté de nos propres nationalistes ou xénophobes. Qui, aujourd’hui, sera assez « vichyste » en France pour se référer sérieusement à « Fachoda » ou à « Mers-el-Kebir » ?  Je ne suis même pas sûr que 1% des Français connaissent ces symboles d’un autre temps.

Bref, en dehors de rivalités sportives, pour le grand public des deux côtés de la Manche,  il n’y a rien pour alimenter la détestation de part et d’autre. Il faut d’ailleurs noter qu’il existe parallèlement un antiaméricanisme bien vivace en France, mais il ne se confond pas avec la détestation de « la Perfide Albion » - dont tout l’épisode du Brexit démontre d’ailleurs qu’elle n’est plus guère « perfide », mais plutôt égarée.

Concrètement si le Brexit se vérifie, quelles pourraient être les clés de la préservation des bonnes relations entre la France et l'Angleterre ?

Trois éléments majeurs : tout d’abord, les liens économiques. Il ne faut pas oublier que le premier traité de libre-échange est signé entre la France de Napoléon III et le Royaume-Uni de la reine Victoria. Ces liens sont anciens et n’ont cessé de s’approfondir. D’ailleurs, en suivant les craintes exprimées autour du Brexit, tout le monde a plutôt craint un ralentissement, une gêne, pour les échanges, plutôt qu’un blocage complet. Il faut d’ailleurs se rappeler qu’au pire du pire, la France et le Royaume-Uni restent tous deux membres de l’OMC. Dans ce cadre, je vois mal les Britanniques renoncer de bonne grâce à la manne que représente le tourisme français à Londres et ailleurs dans les îles de Sa Gracieuse Majesté.

Ensuite, les liens humains. Il y a de très nombreux Français installés au Royaume-Uni et de très nombreux Britanniques sur le territoire français. Je ne vois pas une grande expulsion réciproque se faire. Et même si cette expulsion devait avoir lieu, je ne doute pas que, du côté français tout au moins, la France accepte comme citoyens français des Britanniques en rupture de ban avec leur pays choisissant de s’isoler. L’histoire franco-anglaise est de fait tellement longue et intriquée qu’un Britannique peut facilement adopter une identité française, et inversement d’ailleurs.

Enfin, les liens stratégiques, militaires. Même en cas de Brexit, la France et le Royaume-Uni resteront de vieux alliés. Certes chacun étale désormais plus ses faiblesses que ses forces, mais, tout de même, ce sont les deux pays du continent européen qui disposent de l'arme nucléaire et de forces conventionnelles à peu près en état de combattre si nécessaire.

N'a-t-on pas trop tendance à surestimer le "couple franco-allemand" d'un côté et à sous-estimer le couple « franco-britannique » de l'autre ?

Oui, mais si j’ose dire, c’est un peu la différence entre le mariage et l’amitié. Le « couple franco-allemand » fait partie du cœur même de la construction européenne dès les années 1950. C’est l’une des raisons d’être de toutes ces institutions communautaires que d’étouffer dans l’œuf les futurs conflits entre une Allemagne de l’Ouest qui se rebâtit et les autres pays ouest-européens dont la France. Aujourd’hui, ce mariage de raison est miné par la divergence de vue sur la manière de gérer la zone Euro : les Français veulent plus de communautaire et les Allemands veulent rester chacun avec son budget.

Au contraire, le couple « franco-britannique » n’a jamais eu une grande importance pour impulser les avancées européenne, parce que les Britanniques se sont trouvés souvent seuls contre tous les autres Européens dont la France,  ou inversement ont réussi à dégager une majorité contre les idées françaises. Mais, comme les Britanniques ont eu l’immense sagesse de ne pas rentrer dans la zone Euro, suite à la crise de change de 1992, ils s’épargnent tous les conflits possibles à ce sujet avec les autres pays, dont la France. L’amitié peut donc se renforcer. C’est un peu triste à dire, mais l’absence de conflit de fond, et donc l’amitié franco-britannique, tient en effet  largement à cette bonne idée des Britanniques de ne pas être dans l’Euro. S’ils avaient été dans l’Euro, ces mêmes Britanniques auraient exigé de tous les autres pays de la zone Euro, dont la France, que l’on gère la zone Euro en fonction des nécessités de la City. Cela aurait été sans doute difficile. David Cameron, le Premier Ministre britannique, pendant la crise de la zone Euro, s’est en plus bien gardé de jeter de l’huile sur le feu aux moments cruciaux. Il aurait sans doute pu, avec l’aide de la City, faire chavirer le navire de l’Euro, mais il s’est montré au final bon camarade.

La raison pour laquelle le couple « franco-britannique » n’a jamais eu l’importance qu’il aurait pu avoir dans l’histoire européenne est que dès le départ les gouvernants britanniques ont été beaucoup plus prudents dans leur approche de l’intégration européenne, parce qu’ils ont toujours été dans une réflexion pessimiste sur les possibilités réelles d’un fédéralisme européen.  Ils se sont ralliés dans les années 1970 à un projet qui n’était pas le leur, et le Brexit s’explique largement par cette réticence initiale qui est restée inscrite dans les esprits.

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