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La malédiction des souverainistes français
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Entretien

Dans le roman "Leurs guerres perdues" publié aux Editions du Rocher, David Desgouilles revient sur les grands bouleversements et les fractures idéologiques qui ont traversé la France ces 30 dernières années. Entretien.

David Desgouilles

David Desgouilles

David Desgouilles est chroniqueur pour Causeur.fr, au Figaro Vox et auteur de l'ouvrage Le Bruit de la douche aux éditions Michalon (2015).

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Atlantico : Après Le Bruit de la douche, et Dérapage, votre troisième roman, "Leurs guerres perdues" publié aux Editions du Rocher, raconte l'histoire de trente années traversées par trois militants aux trajectoires différentes entre meetings et soirées électorales, dans l'ombre des hommes politiques et des grands événements. Pourquoi vous êtes vous intéressé à cette frange peu visible de la vie politique ? Est-ce parce que le militant est, comme semble le montrer votre livre, un excellent personnage de roman ?

David Desgouilles : Tout du moins il l'a été, en tout cas jusqu'à qu'on lui retire son lustre avec les fameuses primaires. Comme je le raconte dans mon roman, à partir de 2005-2006 le militant n'est plus autant sollicité qu'il ne l'était avant, il perd de son importance. C'est d'abord le fait des primaires ouvertes, avec pour commencer 2006 au PS avec les adhésions à 20 euros qui ont permis à Ségolène Royal d'être candidate. Mais il y a aussi, à peu près au même moment, l'arrivée du Web, autour de 2005, qui a là aussi tout changé. A partir de ce moment-là, tout le monde pouvait agir en politique et tenter ainsi de peser sur son destin. C'est ce qui a fait notamment le succès de la campagne du non à la Constitution européenne.

Vos héros connaissent principalement l'échec, comme le signale le titre de votre roman. Mais ne peut-on pas considérer que sous la Ve République, ce ne sont finalement pas les grandes victoires mais plutôt les grandes défaites qui marquent et construisent l'histoire de notre pays ?

Oui, parce que les grandes victoires ont souvent été des victoires à la Pyrrhus. Aussi bien 1981, qui finalement voit Mitterrand défait deux après avec le tournant de la rigueur en 1983 – qui entraine la démission d'un des personnages principaux de ce roman, Jean-Pierre Chevènement. En 1995, c'est aussi une victoire à la Pyrrhus, car Jacques Chirac prend le logiciel séguiniste républicain et social uniquement pour se démarquer d'Edouard Balladur, avant de laisser la main à Alain Juppé et de faire quelque chose qui ressemble à du Balladur, ce qui est confirmé par son intervention du 26 octobre. C'est ce qui donne le mouvement de l'hiver 1995 juste après. Autre exemple de victoire à la Pyrrhus : le non en 2005, qui est effacé par Nicolas Sarkozy avec, il faut le dire, la complicité du Parti socialiste. Effacé par un traité qui  ressemble beaucoup au TCE et surtout, adopté par le Parlement et non directement par le Peuple.

Les défaites, il y en a beaucoup pour les militants que je décris, puisqu'ils représentent la frange souverainiste, ou qui devient souverainiste pour un des trois qui, au début du roman, est rocardien. La défaite de 1992 est fondatrice :  Séguin, Pasqua, Chevènement n'arrivent cependant pas à prendre leur revanche sur cette défaite alors qu'ils en ont beaucoup d'occasions. C'est là qu'il y a une frustration, et c'est cette frustration qui m'a donné envie d'écrire cette histoire.

Cependant, la défaite des défaites pour mes personnages, c'est d'avoir Marine Le Pen au second tour pour représenter le courant d'idées auquel ils appartiennent. La caricature des caricatures de ce qu'ils sont en somme. Et je crois qu'il n'y a pas pire défaite que de voir représenter ses idées par quelqu'un qui est si peu à la hauteur.

Votre roman semble retracer quelque chose comme une malédiction pour la "famille souverainiste" : en effet, alors même que vous faites le constats que "l'idée de souveraineté n'a jamais été aussi présente" alors que c'est Emmanuel Macron qui est aujourd'hui à l'Elysée. Qu'est-ce qui ne s'est pas bien passé pour que vous veniez à affirmer que "Séguin, Pasqua, Chevènement avaient raison vingt-cinq ans trop tôt" ?

Les souverainistes n'ont pas réussi à porter au pouvoir ceux qui ont eu raison trop tôt. Moi qui suis franc-comtois, je cite naturellement Edgar Faure dans mon roman, et c'est ce dernier qui affirmait "C'est souvent un grand tort d'avoir raison trop tôt". Et c'est vrai, Pasqua, Chevènement ou Séguin ont eu raison trop tôt. Mais ils ont aussi eu tout le clergé politico-médiatique contre eux, et qui ont fini par assimiler tout ce qui relevait de la souveraineté à l'extrême-droite. Ce qui est devenu à la fin un cadeau pour Marine Le Pen qui ne demandait pas mieux.

Aujourd'hui, dans le monde occidental, la souveraineté est devenue l'horizon de beaucoup de peuples. Alors bien entendu, on refait le même coup avec le populisme. Mais ce qui est essentiel, c'est qu'on voit que les peuples veulent avoir la maîtrise de leur destin. C'est ce que Séguin avait déjà dit en 1992, et c'est ce réel qui arrive aujourd'hui en pleine face de nos élites qui voient arriver des caricatures de souverainisme, aussi bien Trump dans son genre que Salvini ou d'autres.

Mais la perte de souveraineté, le fait que le véritable pouvoir s'exerce ailleurs, a aussi eu pour effet que cela a vidé notre terreau politique de ses meilleurs éléments. Les meilleurs de chaque génération ne sont plus dans la politique. Forcément, cela a des répercussions sur la qualité aussi bien du côté des souverainistes que des européistes.

Votre livre montre aussi que la remise en question du clivage gauche-droite ne date pas d'hier et que des générations d'hommes de gauche comme de droite au départ ont aboutit à l'élection d'un homme ni de gauche ni de droite (ou les deux à la fois comme se présente le Président de la République). Aujourd'hui c'est donc fait, cela ne devrait pas permettre un retour du souverainisme ?

Le problème est que ce changement s'est malheureusement fait dans les pires conditions. Cela arrive trop tard. Alors qu'on aurait pu avoir des hommes d'État qui étaient déjà passé outre ce clivage d'une certaine façon, tel Séguin ou Chevènement en 2002, on se retrouve aujourd'hui avec un second tour avec Marine Le Pen. Je ne veux pas être désobligeant avec Marine Le Pen, mais entre elle et Chevènement, sa culture, son sens de l'État… Il n'y simplement pas photo. Malheureusement, pour reprendre l'expression de Jean-Pierre Chevènement, c'est effectivement Emmanuel Macron qui a fini par faire "turbuler le système". Mais tout cela s'explique facilement : les vieux partis politiques qui se partageaient jusqu'alors le pouvoir pour faire peu ou prou la même politique européiste étaient en fait des syndicats électoraux, qui n'avaient pas intérêt à détruire la justification de leur existence. Vous avez raison, cela s'est fait au "centre" européiste, avec Emmanuel Macron. Mais c'était beaucoup plus difficile de le réaliser pour les souverainistes en 1999 ou en 2002. Et compte-tenu du paysage politique actuel, avec le RN d'un côté et LFI de l'autre, c'est toujours très difficile aujourd'hui.

Vous suivez avec passion le destin de vos personnages et décrivez les changements de trajectoires qui aboutissent à la fin à une forme de consensus souverainistes pour les trois, malgré des parcours opposés. Si vous deviez écrire le canevas du parcours d'une personne devenue LREM en 2017, cela donnerait quoi ?

Je crois qu'on ferait un livre beaucoup plus court ! On est arrivé, avec LREM, au règne du zapping. Déjà, il faut voir qu'il est totalement inédit qu'un homme arrive au plus haut poste politique alors que deux ans avant, il n'y avait pas plus de 200.000 personnes qui connaissaient son nom en France. C'est quelque chose d'américain, ce n'est pas français. En faisant ça, Macron a ouvert une nouvelle ère, et il est peut-être possible que le prochain Président de 2022 n'a pas du tout conscience de sa prochaine élection aujourd'hui !

Donc effectivement, le militant de LREM risque d'être un peu balloté. Pour avoir couvert journalistiquement des meetings de Macron, notamment près de chez moi à Besançon, mon impression est que ces militants n'ont rien à voir avec mes héros qui se lancent dans l'aventure politique dès 1988, tout juste sortis du lycée, avec l'envie de porter des convictions profondes, certes en construction, mais déjà bien ancrées en eux. Là, on est encore face à une génération marquée par le zapping politique. Pour raconter cela, je pense qu'il faudrait beaucoup, beaucoup moins de 474 pages. Le macronisme ne durera pas trente ans.

Je me rappelle des discours relativement creux, émaillés de nombreux lieux communs d'Emmanuel Macron, et de la foule militante qui hurlait et applaudissait avec enthousiasme, et de m'être dit que ces gens-là n'avaient pas une connaissance réelle de ce qu'est un meeting politique. Faire de la politique... Porter une conviction politique un temps soit peu critique... Les militants entrés en politique pendant les années 1980 étaient un peu plus armés, ou du moins cherchaient à s'armer bien plus que le militant moyen de LREM. Donc, moins armé, il souffrira peut-être davantage encore que mes personnages. Peut-être souffre-t-il d'ailleurs déjà...

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