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L’origine de la vie pourrait provenir non pas d’une, mais de plusieurs explosions survenues entre il y a 520 et 540 millions d’années avant notre ère
©MARTIN BUREAU / AFP

L’explosion cambrienne, un mythe ?

Selon une étude scientifique menée par l'Université d'Édimbourg, "plus on regarde l'explosion cambrienne, moins il y a d'explosion". Longtemps considérée comme un "big bang" biologique, l'explosion du Cambrien suscite des débats quant à son déroulement précis. En jeu : la date et les circonstances exactes de l’apparition de la vie sur Terre.

Jean Vannier

Jean Vannier

Jean Vannier est paléobiologiste, directeur de recherche au CNRS.

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Atlantico.fr : Dans un récent article, une équipe de chercheurs dirigée par Rachel Wood de l'Université d'Édimbourg soutient qu'il n'y a pas d'explosion cambrienne à proprement parler, que celle-ci n'était qu'une "explosion au milieu d'un artifice prolongé". Pourquoi l'explosion cambrienne fait encore débat aujourd'hui ? Quels sont les nouveaux arguments à prendre en compte dans ce débat ?

Jean Vannier : Petit rappel. L’explosion cambrienne est par définition l’apparition dans les roches d’âge cambrien de fossiles entièrement nouveaux représentant les restes d’animaux inconnus au Précambrien mais par contre très semblables à ceux que nous connaissons dans la nature actuelle (par ex: les arthropodes, mollusques, chordés, etc..). Ceci a étonné beaucoup de scientifiques depuis Darwin (1859) pour lequel cette question restait mystérieuse. Ces premiers animaux du Cambrien sont anatomiquement très complexes (systèmes digestifs et sensoriels, etc) et forment des écosystèmes assez comparables à ceux de la nature actuelle. Tout le monde est d’accord là-dessus. Ces premiers animaux « modernes » sont bien représentés dès 520 Ma (ex: faune de Chengjiang). Etant donnée cette complexité il faut naturellement envisager une origine plus ancienne des animaux avant 520 Ma au cours de la transition Precambrian-Cambrien. Les données moléculaires (comparaison des génomes d’organismes actuels) indiquent une origine très ancienne (précambrienne) de nombreuses lignées animale  mais malheureusement ces prédictions ne sont pas confirmées par les fossiles (très peu de preuves). En clair, les fossiles ne nous nous permettent pas de retracer clairement l’evolution du monde animal à ses débuts.

Dans le Précambrien terminal (Ediacarien) on a essentiellement des organismes macroscopiques parfois très bien conservés (faune de la Mer Blanche) mais qui ne correspondent pas aux plans d’organisation des animaux. Récemment des bio-marqueurs typiques des animaux actuels ont été identifiés chez ces organismes de la Mer Blanche. Ce sont donc probablement des animaux mais on ne sait pas où les placer et les relier aux animaux cambriens et actuels. Ce point reste encore actuellement énigmatique. Au Précambrien terminal on voit également apparaitre des traces d’activité dans le sediment (terriers et pistes) qui indiquent la présence de possibles animaux fouisseurs sans doute vermiformes dotées d’une musculature et d’un système nerveux. Toutefois on ne sait rien des animaux eux-mêmes car seules leurs pistes sont conservées.

La réponse viendra peut-être des fossiles de la base du Cambrien (comme ceux de Kuanchuanpu en Chine datés de 535 Ma que j’étudie avec des collègues chinois). Ce sont des animaux microscopiques pour la plupart des vers et les ancêtres possibles des méduses. Mais ces assemblages sont très différents de ceux de la faune de Chengjiang (520 Ma) et encore plus des faunes précambriennes.

Pour moi, il y a une succession d’assemblages distincts au cours de la transition Précambrien-Cambrian mais pas de preuve d’une unique radiation transitionnelle comme le propose Wood et al.  Cette transition est toutefois réelle à l’Ediacarien (succession d’assemblages; voir Wood et al.) et au passage Cambrien-Ordovicien (GOBE). Par contre le passage Ediacarien-Cambrien reste un grand mystère. On passe radicalement d’un monde à un autre sans transition. L’idée d’un remplacement (contrairement à Wood et al.) me parait plausible même si l’on ne dispose pas d’assez de preuves pour l’affirmer. Le monde précambrien est dominé par les tapis microbiens qui tapissent les fonds marins. L’apparition des premiers terriers montrent une activité a l’intérieur et sur les sédiments. Les premiers animaux sont sans doute responsables de la destruction de ces écosystèmes primitifs stratifiés. L’article de Wood et al. ne discute presque pas ce point important. Il est possible que les ancêtres des animaux qui se développeront au cours du Cambrien de façon spectaculaire, étaient pour la plupart mous et microscopiques au Précambrien (mais bien présents!). On peut imaginer que par leur nature ils n’aient pas été conservés. Je soutiens plutôt cette idée. C’est un peu comme les petits mammifères qui co-existaient avec les dinosaures. Leur développement a été rendu possible après la disparition des dinosaures.

Des découvertes récentes ont également renforcé la continuité entre les mondes pré-explosion et post-explosion. Selon ces études, il faudrait parler de cinq « grands bonds » entre l’Édiacarien et la fin du Cambrien. Évolution linéaire contre rupture géologique brutale : quelles sont les conséquences de cette nouvelle théorie biologique ?

Aucune découverte récente ne vient renforcer l’idée d’une continuité entre le monde vivant Précambrien et Cambrien. Il y a une rupture évidente. Même si je ne suis pas d’accord avec le modèle de Wood et al;, je trouve intéressant sa démarche, celle de combiner données paléontologiques et environnementales (tirées d’études géochimiques). Il est évident pour moi que des changements environnementaux ont façonné l’évolution biologique. Les variations d’oxygénation en particulier. Les épisodes d’anoxie ont provoqué des extinctions mais une fois terminés ont offert aux survivants des conditions favorables de développement (par exemple niches écologiques aisées vacantes). D’où les radiations observées. Ces changements environnementaux insufflent une dynamique certaine et ont bien sûr opéré lors de la transition Précambrien-Cambrien.

Par contre le variations isotopiques observées nous donnent une information indirecte sur ces changements et il faut être assez prudent dans les interprétations. Tout le monde est d’accord pour dire que le taux d’oxygène augmente au début du Cambrien. Un seuil est dépassé qui permet ou favorise de nouveaux métabolismes. La première radiation animale a sans doute bénéficié de cela. Mais ce seul facteur n’explique pas tout.

Je suis d’accord avec une succession de crises environnementales qui ont chaque fois donné de nouvelles possibilités d’évolution au monde vivant. Par contre je ne vois pas bien ces "cinq grands bonds" dans l’évolution biologique. Wood et al. verraient semble-il une évolution finalement linéaire marquée par une succession d’événements. C’est vrai si l’on regarde l’évolution du vivant depuis le début jusqu’à nos jours. Effectivement on pourrait en conclure qu’il y a un continuum avec une succession de crises. Mais pour moi l’Explosion Cambrienne est tout à fait exceptionnelle car c’est vraiment le début d’un monde radicalement différent dominé par les animaux.

Cette controverse entre géologues avait déjà été soulevée il y a cinq ans, lorsqu'une étude apportait des précisions sur l'explosion du Cambrien. Qu'est-ce que ce débat dit de la démarche des sciences de la vie et de la terre, telles que la géologie et la paléontologie ? Les questions qu'il soulève sont-elles seulement d'ordre scientifique ?

Je pense que l’origine du monde animal reste encore très énigmatique. De nouvelles découvertes paléontologiques pourront sans doute nous éclairer sur la chronologie exacte de cet événement qui peut avoir été soudain ou au contraire étalé sur une plus longue période de temps géologique. On reste dans le domaine de la science et de la recherche d’éléments de réponse (fossiles, proxies, etc;). Les créationnistes voient les choses très différemment et pensent que l’Explosion cambrienne est la preuve d’une création divine. Ils ont d’ailleurs utilisé sans mon accord. Certaines de mes images de fossiles cambriens pour étayer leur théorie. Heureusement je ne suis pas cité (ouf !). Pour moi leur discours est du pur délire. La religion c’est en dehors de mon champ de compétence.

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