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Nouveauté à tout prix : pourquoi on sous-estime beaucoup trop souvent le plaisir de refaire les mêmes choses
©Charles Platiau / Reuters

Week-end prolongé

Relire, les mêmes livres ou revoir les mêmes films est une activité souvent peu considérée. Pourtant une étude de l'American Psychological Association révèle que la répétition d'activités ludiques serait pourtant une pratique bien plus gratifiante que prévue.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Comment expliquer le caractère ludique d'un loisir pourtant déjà pratiqué ou connu ?

Pascal Neveu : Beaucoup de personnes pensent ne pas pouvoir ressentir un moment de plaisir aussi important que la première fois en le vivant une seconde fois. Or une étude menée par un chercheur de l’Université de Chicago nous amène à repenser cet apriori.

Lors d’une expérience, les chercheurs ont questionné les visiteurs d’une exposition sur la génétique au Musée de la science et de l’industrie de Chicago. Ils leur ont demandé d’évaluer à quel point ils avaient apprécié l’exposition et si, à leur avis, ils aimeraient la voir à nouveau. Alors qu’un grand nombre répondait que l’exposition serait moins amusante la seconde fois, ceux qui ont fait une autre visite à la demande des chercheurs l’ont finalement jugée aussi agréable que la première fois ! Plus précisément, les visiteurs du musée ont sous-estimé à quel point ils aimeraient faire deux fois la même chose. Il s’agit donc de repenser notre rapport à la nouveauté face au familier.

En effet, dans l’exemple caractéristique d’un musée, le fait de déjà connaître un lieu peut sembler moins satisfaisant, moins attractif. C’est le syndrome du déjà vu, du déjà connu. Or, les chercheurs ont découvert que revisiter une exposition nous permet de découvrir d’autres aspects, d’autres « objets », que la première visite ne nous avait pas permis de voir. Pour une raison cognitive simple : toute première visite demande une concentration cérébrale et psychique finalement fatigante (reconnaissance des lieux, contact avec de très nombreuses œuvres, premiers ressentis…). Une seconde visite permet, elle, au cerveau et à nos sens de voir et percevoir bien d’autres choses qui étaient « cachées » par le 1er contact.

Et c’est ce qui ressort de cette étude : les visiteurs décrivent avoir sous-estimé une « nouveauté » insoupçonnée, pensant avoir pleinement vécu la première visite. Et ces impressions se retrouvent à travers une autre expérience. Les chercheurs ont demandé à un échantillon de personnes de regarder un film qu’ils n’avaient jamais vu auparavant et qu’ils pensaient apriori apprécier. Puis, la nuit suivante, certains spectateurs ont visionné à nouveau le même film.

Le groupe qui ne l'a pas regardé une deuxième nuit de suite a estimé par la suite que le plaisir qu'il aurait pu en retirer était d'environ 3,5 en moyenne sur une échelle de sept points, ce qui était inférieur au 5,3 qu'il avait accordé au visionnage du film le premier jour. temps. Mais, découverte intéressante, le groupe qui a regardé le film une deuxième fois a attribué une note moyenne de 4,5.

Autrement dit, nous pensons de manière erronée que l’acte répétitif  diminue le plaisir.

D'où nous vient cette attirance quasi-forcenée pour la nouveauté ?

Nous l’avons vu, nous avons tendance à sous-estimer combien il est amusant de faire la même chose deux fois. Alors que revisiter le familier peut offrir des plaisirs inattendus, notamment dans les activités de loisirs. Par exemple, un couple veut choisir un film à regarder, mais l’un des deux l’a déjà vu. Ce film aura très peu de chances d’être regardé. L'idée qu'avoir déjà vu un film, lu un livre, visité un musée ou une exposition nous pousse systématiquement à privilégier la nouveauté, afin de nous épargner un ennui possible.

Car les recherches en économie psychologique et comportementale ont montré que, lorsque les gens prennent des décisions concernant ce qui leur plaira, ils accordent souvent la priorité à des expériences inconnues, comme un nouveau livre ou un nouveau film, ou encore un voyage dans un lieu inédit. Ils n'ont pas totalement tort de le faire, car nous apprécions généralement moins les choses auxquelles nous sommes habitués.

En effet, le plaisir est une sensation agréable, très recherchée, mais de courte durée. Le plaisir est étudié depuis de nombreuses décennies. Et entre la dopamine, hormone sécrétée, les scientifiques ont pu localiser des zones cérébrales spécifiques, activées lors nouveautés et dans la relation avec le plaisir (complexe hypothalamus latéral, amygdales baso-latérales, région septale, cervelet, cortex frontal et pointes antérieures des lobes temporaux).

Le plaisir fait donc appel à la chimie du cerveau mais aussi à des mécanismes psychiques plus inconscients. Le principe de plaisir décrit en psychanalyse s’oppose au principe de réalité… Il existe donc une certaine forme de jouissance, « d’orgasme » lié à la découverte, au nouveau.

Mais la recherche du même plaisir se joue également dans la redécouverte de « l’objet » qui nous a procuré ce plaisir.

Freud base ainsi toute sa théorie des pulsions : il existe des activités, des objets qui nous procurent des plaisirs différents, et nous aurons tendance à vouloir revivre ce lien avec ces « activités », et les découvrir encore plus profondément, différemment afin de continuer à en jouir avec la même intensité, voire même une intensité plus grande.

La sexualité est l’exemple le plus parlant, d’où notre ambivalence face à l’infidélité, en dehors des conditions morales et d’engagement.

Crainte de l’ennui, angoisse de la répétition, désir d’être heureux et de toucher le plaisir dans la vie, sans entrer dans l’hédonisme nous amènent à sans cesse être dans une quête vaine du bonheur… qui n’est pas le plaisir.

L'étude fait le parallèle avec le comportement des jeunes enfants qui aiment souvent regarder les mêmes films ou écouter les mêmes chansons. Quand se construit cette distinction comportementale entre adultes et enfants ? 

L’enfant est davantage dans la répétition que l’adulte, se contentant d’un monde de plaisir plus restreint, étant dépendant de l’environnement au sein duquel il évolue, les « objets » de plaisirs lui étant quasi exclusivement apportés par les adultes, ses parents. Ce qui ne l’empêche de fantasmer d’autres formes de plaisirs.

L’objectif du plaisir reste en quelque sorte de se détendre un peu, et d’apaiser des moments de frustrations. Aussi, l’enfant est plus susceptible d’envisager de passer son temps à tendre vers des activités qu’il sait déjà aimer, plutôt que de perdre du temps à chercher quelque chose de nouveau, voire vivre une frustration.

L’enfant a également besoin de développer ses aptitudes cognitives, d’affiner son propre monde du plaisir de se confronter aux interdits… Tout se met en place de manière progressive, au fil des années, avec des paliers d’assimilations.

Aussi, alors que la complexité sera pour l’adulte un facteur menant à une redécouverte d’un film, d’un livre, d’une œuvre d’art… stimulant la recherche de nouveaux plaisirs, l’enfant vivra plus facilement le 100ème visionnage de son dessin animé préféré, l’écoute pluriquotidienne de sa chanson préférée…

En ce sens les enfants restent finalement ceux qui peuvent aider les adultes à aller chercher dans d’autres recoins ce que nous pensions avoir déjà perçu, analysé, ressenti… Le familier lié à la répétition n’est pas forcément symbole de stagnation et de monotonie. Sans doute l’adolescence est-elle la période de pseudo autonomie et de liberté de surfer entre nouveau et répétition qui mène à se vivre et se penser dans son monde de plaisirs. Même si enfants et adultes vont s’apprendre mutuellement. Sans doute ne faut-il pas se satisfaire uniquement des premières impressions, d’une seul et unique ressenti, mais le revisiter en renouvelant l’acte.

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