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 La baisse de la croyance en dieu peut elle venir à bout du clivage droite gauche ?
©Reuters

Panne de grâce

Un sondage IFOP pour Sud Radio/Cnews publié ce 19 avril révélait une baisse de la croyance en Dieu des Français. Pour la première fois, les non croyants sont majoritaires dans le pays (52%), et, sans que de lourds clivages sociologiques ne puissent être relevés. Seul le clivage entre le Parti socialiste ( 43%) et les Républicains (69%) apparaît comme structurant.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Au regard de ces chiffres, ne pourrait-on pas considérer que la baisse de la croyance des Français comme un puissant moteur de l'érosion du clivage gauche-droite en France ?

Bruno Cautres : Les données de ce sondage s’inscrivent dans ce que l’on sait des tendances en France à la baisse des appartenances religieuses catholiques et la baisse de la pratique religieuse : c’est aujourd’hui moins de la moitié des Français qui également déclarent appartenir à une religion. La croyance en Dieu est également en repli si l’on compare aux décennies précédentes. Dans l’enquête de l’IFOP que vous citez, on constate que si les clivages sociologiques ne sont pas absents (c’est plus âgés, les retraités notamment, déclarent davantage croire en Dieu) ce sont les clivages politiques qui sont les plus importants. Cela n’est pas surprenant : même s’il existe des « effets de composition » sur le groupe de ceux qui déclarent appartenir à une religion ou la pratiquer (les croyants et les pratiquants sont plus âgés, par exemple beaucoup de femmes âgées parmi les catholiques pratiquants réguliers), la religion se situe dans le domaine des croyances et du monde « idéel » plutôt que « matériel ».

Il n’est donc pas étonnant que les appartenances idéologiques, elles-mêmes situées dans le monde des idées, fassent apparaître des clivages importants : ici, on constate un très gros écart dans les pourcentages de croyance en Dieu chez les sympathisants PS et LR. On retrouve ici la trame classique du clivage gauche/droite et de son lien étroit avec la religion : en France, le clivage gauche/droite s’est entremêlé tout au long des deux derniers siècles avec le clivage « laïcs / cléricaux », c’est la matrice historique de la politique française. En revanche, ce qui est surprenant c’est que ce sont les sympathies pour ces deux formations politiques plus que tout autre sympathie au sein de la gauche et au sein de la droite qui montre un lien fort avec la religion. Une explication possible est qu’en perdant des sympathisants par rapport à leur étiage d’avant la présidentielle de 2017, les sympathisants de ces deux formations politiques sont devenus plus homogènes entre eux et représentent davantage les noyaux durs de leurs formations politiques.

Quels sont encore les facteurs qui pourraient encore maintenir le clivage gauche droite dans ce contexte ? 

Il faut déjà partir de l’idée que le clivage gauche/droite n’est pas « mort ». Les clivages politiques sont des éléments historiques, inscrits dans la longue durée et les profondeurs des mémoires politiques. Ce sont les organisations politiques qui ont incarné ce clivage qui sont en période de crise et de recomposition mais les courants d’idée de la gauche et de la droite sont toujours vivants. Le contenu idéologique de la gauche et de la droite peut évoluer, et sans doute sommes-nous dans une période d’évolution en ce moment, mais la dimension principale de ce clivage se maintient : on voit bien, par exemple, que la crise des gilets jaunes peut s’interpréter comme une colère anti-capitaliste par bien des aspects. Ce n’est plus l’anti-capitalisme du mouvement ouvrier du 19ème siècle ou celui de la gauche communiste du 20ème siècle, mais cette dimension est très forte et explique en partie le dialogue de sourds entre les gilets jaunes et le gouvernement.

Le clivage gauche/droite comporte toujours une dimension qui a aussi à voir avec le monde « idéel », celui de la religion. On voit qu’une formation politique comme les LR tente toujours de s’attirer les sympathies des catholiques. La famille politique de la droite entretient avec les questions religieuses, notamment tout ce qui touche à la défense des valeurs chrétiennes, une relation inscrite dans l’histoire et la longue durée. Tout en s’inscrivant dans le cadre de la laïcité, ses dirigeants sont souvent issus de milieux catholiques ou entretiennent avec l’église catholique des liens de sympathie. Lors de la présidentielle de 2017 François Fillon avait su mobiliser les réseaux de la « manif pour tous », opposés au mariage pour tous. Une importante figure de la droite aujourd’hui, Bruno Retailleau, élu d’une région très catholique, représente bien cette tradition d’une relation entre le droite et le catholicisme. La situation n’est pas symétrique pour la gauche car le groupe des Français qui se déclarent « sans religion » s’est beaucoup diversifié sociologiquement et idéologiquement au cours des dernières décennies, en s’élargissant : si la gauche continue de fortement soutenir la laïcité et les valeurs républicaines au titre de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la question religieuse est moins fortement investie idéologiquement pour elle qu’au début-milieu du 20ème siècle.

Comment le contexte politique actuel, de l'incendie de Notre Dame de Paris, aux prochaines élections européennes peut-il s'analyser au travers de ce prisme de la religion, et de la croyance ? 

Le dramatique incendie de Notre Dame de Paris ne devrait pas avoir d’incidence forte sur les élections européennes. Les Français créditent sans aucun doute Emmanuel Macron de son attitude présidentielle face à ce drame pour l’histoire de notre patrimoine national, mais cela ne va pas obscurcir leurs motivations de vote aux européennes, pour ceux qui iront voter : une partie du vote sanction aura bien lieu. Habituellement on constate que les catholiques pratiquants sont participationnistes et il faudra donc regarder si le choc qu’ils ont ressenti en voyant Notre Dame brûler les conduira à vouloir s’exprimer dans les urnes plus que les autres. Pour le reste, si l'on voit que les intentions de vote en faveur de la liste LR, avec une tête de liste qui incarne une droite des valeurs, sont en légère hausse, il est trop tôt pour dire que cela est en partie lié à l'évocation des valeurs catholiques suite à l'incendie de Notre Dame. 

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