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Cette impression tenace que Benoît XVI est encore un peu pape et que François ne l’est pas complètement
©Reuters

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle. Il recvient aujourd'hui sur le texte de Benoît XVI.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Ontario,

Le 14 avril 2019. 

Mon cher ami, 
Visite à Michael O’Brien
Me voici au Canada, près d’Ontario. J’ai la chance d’être reçu par l’un des plus remarquables mais aussi plus méconnus écrivains de notre temps. Je veux parler de Michael O’Brien. Connaissez-vous l’auteur de Père Elijah, d’Une île au coeur du monde ou de L’Odyssée du père ? Je mets ces fictions au rang des plus grands romans écrits ces dernières années. Mais leur auteur n’a rien fait pour qu’ils soient connus. Il vit, avec de longues phases sans utiliser internet. Ses livres sont goûtés par de nombreux catholiques à travers le monde - aux Etats-Unis, pays de ses plus gros succès, il est même apprécié indifféremment par catholiques et protestants conservateurs. Mais l’auteur n’a jamais bénéficié de grands réseaux de distributions. Vous n’imaginez pas, un romancier qui, non seulement, croit qu’il existe le bien et le mal, une loi naturelle et qui, en plus écrit des romans que vous n’avez jamais envie de lâcher une fois commencés; des romans qui renouvellent les genres de la littérature occidentale: roman picaresque, roman historique, thriller, science-fiction ! 
Michael O’Brien, peintre avant d’être romancier, a fait le choix, très tôt, de n’entrer dans aucun réseau mondain pour diffuser son oeuvre. Avec son épouse, ils ont choisi de vivre, le plus souvent, loin des grandes villes, avec peu de moyens, en assurant eux-mêmes une grande partie de la formation scolaire de leurs six enfants. L’écrivain et sa femme témoignent du profond renouveau de l’Eglise durant le pontificat de Jean-Paul II. En passant quatre jours chez eux, j’ai retrouvé le rayonnement, la foi tranquille, la confiance dans la  force de la prière qui caractérisent à mes yeux le pontificat du grand pape polonais. L’Anglican que je suis n’a jamais rencontré de tels profils chrétiens dans son Eglise. 
Crise de l’Eglise
La force qui anime Michael O’Brien est d’autant plus frappante, lorsque l’on se coupe quelques jours du monde pour habiter chez lui, que l’Eglise, moins de quinze ans après le décès de Jean-Paul II, est plongée dans une crise profonde. Lorsque le Pape Benoît XVI avait été élu, beaucoup s’étaient réjouis, attendant un approfondissement du retour aux sources amorcé par le pape polonais. Certains murmuraient même qu’on allait voir un peu plus de rigueur par rapport au pontificat de Karol Wojtyla, marqué par des initiatives quelquefois déroutantes, telles le rassemblement de représentants de toutes les religions à Assise. Las ! Huit ans après son élection, Benoit XVI démissionnait. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’en a élucidé les raisons. Joseph Ratzinger était certes fatigué - mais rien comparé à la souffrance portée par Pie XII ou Jean-Paul II durant les dernières années de leurs pontificats respectifs. Si la raison officiellement invoquée ne tient pas la route, certains ont imaginé - travers de l’esprit humain - des complots. On est même allé jusqu’à raconter qu’il y avait eu une manipulation montée par Barack Obama et Hillary Clinton pour renverser ce pape conservateur. Vous me permettrez de sourire quand on voit qu’ils ont été incapables d’arrêter Donald Trump dans sa marche à la présidence alors qu’on était sur le sol américain et qu’ils avaient l’appareil d’Etat à leur disposition ! J’ai pour ma part une explication beaucoup plus simple: être pape, c’est une fonction éminemment politique en même temps que religieuse; pour reprendre la formule de l’Evangile, les successeurs de Pierre doivent être “candides comme les colombes et prudents comme les serpents”.  Benoît XVI, s’il avait la candeur, n’avait pas la prudence, la ruse, l’endurcissement extérieur nécessaires à la fonction. Il n’a pas la tête politique comme il l’a théologique. Il n’a pas calculé, non plus, l’effet à long terme de sa démission. 
Le successeur, François, premier du nom dans la lignée des papes, est exactement le contraire: on en vient à se demander s’il est théologien, certains jours; en revanche, il est animé par le goût immodéré du pouvoir, la libido dominandi. Je vous parle plus librement que je ne l’ai fait devant mon hôte canadien. Je sais, pour l’avoir constaté à de nombreuses reprises ces dernières années, que de nombreux catholiques souffrent de la situation actuelle. Le malaise s’est accru lorsque l’on s’est aperçu que le pape François avait rappelé à des fonctions ou des missions importantes des prélats écartés par Benoît XVI pour cause de scandales de moeurs. En particulier, le Cardinal McCarrick: alors que Benoît XVI l’avait mis hors circuit, François l’a rappelé et lui a confié la mission, importante entre toutes, de négocier un accord avec le gouvernement de la Chine populaire. Avant de devoir, grâce aux interventions courageuses de l’ancien nonce à Washington, appliquer à McCarrick la sanction suprême pour un prêtre: la réduction à l’état laïque. En fait, on comprend bien qu’il existe des réseaux progressistes au sein de l’Eglise, en particulier suscités par le défunt cardinal Martini, qui ont été trop heureux de profiter de la démission de Benoît XVI pour placer un homme à eux. Je n’irai pas jusqu’à dire l’un des leurs car François est trop inconsistant théologiquement parlant pour vraiment se dire progressiste; et il est trop politique pour se laisser enfermer par une faction. Mais il est porteur de toute l’ambiguïté de ces Jésuites qui, depuis cinquante ans,  ont préféré la philosophie allemande à l’étude de la loi naturelle.  
Benoît XVI a-t-il oublié de transmettre l’infaillibilité pontificale à son successeur? 
Par contraste, le document que le pape émérite, Benoît XVI, vient de publier sur la crise morale qui traverse l’Eglise suite à de nombreux scandales de pédophilie, est d’une vigueur et d’une clarté sans pareilles. L’ancien souverain pontife souligne comme le fait d’avoir abandonné la philosophie morale classique, l’étude de la loi naturelle, a fait perdre tout repère éthique. Il insiste sur la perte du sens, qui a pu mener jusqu’aux comportements pédophiles les plus abjects de la part de membres du clergé. Il fait le lien entre la perte du sens de la prière, de la vie intérieure, d’une part, l’activisme social, d’autre part, et le dévoiement moral, enfin. L’ancien pape raconte comment la perte des critères de recrutement dans les séminaires, à partir des années 1960/70, a conduit à une multiplication de scandales à partir de la seconde moitié des années 1980. Il raconte comment le pape Jean-Paul II et lui-même ont fait évoluer le droit canon pour pouvoir attribuer les sanctions appropriées. Et il est bien vrai que, devenu pape, le cardinal Ratzinger a été sans compromis dans la volonté d’éradiquer le scandale du coeur de l’Eglise. La lettre de Benoît XVI a la tenue d’un document pontifical.  
L’impression que l’on a, en ressortant de ce document, c’est que le cardinal Ratzinger est toujours un peu pape. Et l’on se demande si son successeur, rarement capable de clarté doctrinale, l’est complètement. D’ailleurs, Benoît XVI, en quittant la fonction, s’est fait appelé pape émérite; et il a gardé la soutane blanche. Et, sans se rendre compte de la portée symbolique de son geste, François a refusé d’habiter les appartements pontificaux comme si, derrière le prétexte de vivre humblement, il avait signifié tout autre chose: l’appartement pontifical est vide. 
Voilà les pensées que je développe devant vous, mon cher ami. Je ne suis pas allé jusque-là avec mon hôte Michael O’Brien. Lorsque je suis arrivé chez lui, il venait de lire le document de Benoît XVI et se réjouissait de son existence. Tout au long des conversations que nous avons eues, je me suis demandé dans quelle mesure un pape peut démissionner. Le pape émérite a-t-il vraiment cessé d’être pape? Son successeur l’est-il vraiment devenu? Quand bien même vous êtes héritier d’une double tradition d’opposition à l’Eglise comme je le suis, descendant d’une famille juive convertie à l’anglicanisme, il n’est pas interdit de reconnaître la cohérence du catholicisme, quand il parle de l’infaillibilité pontificale. La primauté de Pierre, de ses successeurs, au sein du collège des évêques, n’a de sens que s’il est, sur le plan doctrinal, une boussole. Du coup, le conservateur que je suis ne peut s’empêcher de se demander ce que signifie les approximations théologiques et philosophiques de François. Cela voudrait-il dire qu’il n’est pas complètement pape? Cela signifierait-il que Benoît XVI l’est toujours quand bien même il a refusé de continuer à exercer la fonction? J’avoue que ces pensées sont des divagations, vraisemblablement, dignes de Benjamin l’Ancien dans ses romans. Si une majorité de catholiques se mettaient à penser comme moi, on se retrouverait dans une sorte de nouveau XIVè siècle, avec deux papes, ou plutôt un pape et un antipape. Sans doute est-ce une position très déraisonnable et faut-il faire comme le Cardinal Sarah, qui ne cesse de rappeler à la juste doctrine et au sens moral, sans jamais attaquer le titulaire de la Chaire de Saint Pierre. 
J’ai surtout été frappé, lors de mes échanges avec Michael O’Brien, par la manière dont il n’a cessé de me parler d’avenir, de se tourner vers l’avenir. L’Eglise a toujours deux prises possibles, dans son escalade du Sinaï éternel: elle doit, en alternance, s’accrocher au passé et à l’avenir: l’espérance n’est pas moins importante que la foi; la fidélité à la transmission du message évangélique intact éclairé par la tradition amène à attendre impatiemment l’avènement, dans toute sa splendeur, de la création parachevée. Michael O’Brien n’est pas de ces chrétiens qui se laissent impressionner dans les tempêtes. Il s’accroche d’autant plus fort au gouvernail, convaincu que le navire ne peut pas couler. 
Bien fidèlement à vous 
Benjamin Disraëli

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