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Pourquoi est-ce qu’accoucher de son petit-fils (conçus avec les gamètes de son gendre et de sa fille) pose de sérieux problèmes en tout genre
©Reuters

Deux papas, une maman

Dans un article du Parisien paru ce mardi, on apprend qu'une Américaine a donné naissance le 25 mars dernier... à son petit-fils. En effet, elle a porté l'embryon constitué des gamètes de son fils et de la sœur du conjoint de son fils, les deux souhaitant faire une GPA pour avoir un enfant.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : L'article du Parisien s'émerveille d'une telle prouesse (la mère avait 61 ans) mais ne s'interroge pas sur l'aspect éthique d'une telle GPA. Une telle pratique n'est elle pas incestueuse ?

Aude Mirkovic : Tout d’abord, cette pratique est une GPA : cet enfant a été conçu par éprouvettes interposées, conçu de l’ovule d’une femme, porté par une autre, remis à sa naissance à ceux qui l’ont « commandé ». L’amour promis à l’enfant ne change pas la réalité du processus de GPA qui fait de l’enfant l’objet de ce contrat, de cette commande. Les termes de gestation pour autrui sont en effet trompeurs : l’utilisation d’une femme pour porter un enfant est déjà problématique, mais la gestation n’est pas l’objet principal du contrat. L’objet du contrat est l’enfant lui-même. Imaginez qu’une mère porteuse déclare à ses clients : j’ai porté l’enfant, j’ai accouché, j’ai rempli ma part du contrat, maintenant payez-moi. Il est évident que les clients ne considéreront le contrat rempli qu’avec la remise de l’enfant, la gestation n’étant que le moyen de réaliser cette disposition de l’enfant qu’ils ont entre eux convenue.

En plus d’être une GPA, le cas dont nous parlons est une GPA dite intra-familiale, puisque les différents protagonistes sont liés par des liens de parenté ou d’alliance : une femme (66 ans), porte un enfant conçu des gamètes de son fils et de la sœur du conjoint de ce dernier. Peut-on parler d’inceste ? L’inceste n’est pas avant tout un interdit biologique mais un interdit social, c’est pourquoi il concerne les membres d’une même famille y compris non reliés biologiquement comme en cas d’adoption. Dans le cas présent, l’enfant a pour mère de naissance une femme qui est biologiquement et aussi légalement sa grand-mère puisqu’elle est la mère du père. En outre, la mère biologique de cette enfant, qui est la sœur du deuxième père, est aussi sa tante. Son deuxième père légal est donc en réalité son oncle biologique puisque l’ovule vient de sa sœur… Si la prohibition de l’inceste vise à bannir cet enchevêtrement des liens qui empêche l’enfant de se situer clairement dans la chaîne des générations, alors en effet ici la conception de cet enfant est multi-incestueuse. Le nouveau mot servant à désigner un rapport incestueux non sexuel est semble-t-il « incestuel ». En effet, il n’y a pas eu de rapport sexuel physique entre les protagonistes mais l’imbroglio qui en résulte est encore plus compliqué car multi « incestuel »: les statuts des différents membres de la famille, père, mère, grands-parents, oncles et tantes, sont brouillés et privent l’enfant d’une généalogie lisible le situant dans la succession des générations.

De telles dérives seraient-elles envisageables si la GPA venait à être légalisée en France ?

La GPA elle-même est une dérive, et la légalisation ne pourrait y remédier car une dérive encadrée demeure une dérive. La légalisation de la GPA ne la rend pas plus éthique que l’encadrement de l’esclavage n’est susceptible de rendre ce dernier éthique. D’ailleurs, la GPA est légale aux Etats Unis et visiblement la légalisation rend possible des cas comme celui dont nous parlons dans cette affaire. Quand bien même on tenterait d’encadrer la GPA, chaque point est en soi un problème insoluble. Pour ne citer que quelques exemples, comment définir les critères de sélection des gestatrices ? Quel genre de lien faut-il prévoir entre elle et l’enfant, et faut-il prévoir ce lien ou au contraire effacer la gestatrice de la vie de l’enfant ? Comment trancher les litiges concernant les décisions relatives à la grossesse, le contrôle des parents d’intention sur le comportement de la gestatrice, sans oublier la question de la possibilité de rétractation de la gestatrice et de son délai ? Faut-il laisser toutes ces questions dans le champ contractuel, ou bien prévoir un statut fait de droits et d’obligations pour les gestatrices et les clients ? Que faire lorsque la GPA ne respectera pas les conditions prévues ? L’imbroglio familial provoqué par l’affaire commentée suggère une difficulté de plus : faudrait-il privilégier le choix d’une mère porteuse et, le cas échéant, d’une donneuse d’ovocyte dans la famille ? Au contraire, conviendrait-il d’exclure cette possibilité et d’exiger que la mère porteuse ne connaisse pas les demandeurs, et que le don d’ovule soit anonyme ? Mais alors, ne prive-t-on pas l’enfant de la possibilité de mettre des visages sur les différents protagonistes intervenus dans sa venue au monde ? On voit bien que chaque question est en soi insoluble, ce qui est bien normal car comment encadrer correctement une pratique qui organise la mise à disposition d’une femme, la disposition d’un enfant et le bricolage de sa filiation ? Mission impossible.

Quels autres problèmes de telles situations peuvent-elles poser ?

Nous percevons de mieux en mieux l’importance pour la construction intime de chacun de l’ascendance, de la généalogie. La GPA a programmé la venue au monde de cet enfant dans un cadre généalogique illisible, ce qui ne peut pas lui rendre service. Il est vrai que les difficultés de la vie, tout le monde en a, et qu’il appartient à chacun de les affronter et de les surmonter. La grande différence ici est que ces difficultés ne résultent pas des malheurs et aléas de la vie : elles ont été programmées délibérément. Non pas voulues comme telles bien sûr, mais acceptées comme moyen de réaliser un projet. L’enfant sert de variable d’ajustement pour réaliser ce projet. L’égoïsme des adultes est un fait, mais la complicité de la loi qui donne un cadre soi-disant légal à la réalisation de ces désirs égoïstes est une démission collective : c’est le retour à la loi du plus fort. Avec des allures civilisées sous couvert de technologie, fécondation in vitro and co, c’est la loi de la jungle.

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