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Google, la Chine et l’armée américaine ou les difficultés de l’Occident à arbitrer entre ses principes et ses intérêts
©SAUL LOEB / AFP

Dilemme

Sundar Pichai, PDG de Alphabet maison mère de Google, doit rencontrer le Général américain Joseph Dunford, chef d'état-major des armées, concernant la collaboration du géant du numérique avec la Chine dans le domaine de l'Intelligence artificielle.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: La semaine passée, le Général Dunford avait ainsi indiqué "Il n'est pas question de moi et de Google" (...) "Il est question du regard que nous portons aux effets de second ou de troisième ordre de nos activités commerciales en Chine, de la forme du gouvernement chinois, et de l'impact que cela peut avoir sur notre capacité de maintenir un avantage comparatif militaire". En quoi cet exemple pourrait-il être révélateur d'un changement d'approche occidental, mettant en confrontation des principes libéraux liés au commerce, et une logique plus "réaliste" de rapports de force ?

Edouard Husson: C'est fondamental parce que cela veut dire que Trump n'est plus seul. Nous savions déjà qu'il a reçu, avant son élection, le soutien d'une partie du complexe militaro-industriel soucieux de la perte éventuelle de puissance des USA. Et là, les avertissements de Trump vis-à-vis de la puissance chinoise trouvent leur traduction très directe dans la volonté du Pentagone de surveiller les possibles transferts à la Chine de technologies innovantes en intelligence artificielle. C'est très important également parce que cela vient confirmer une tendance bien observable: les GAFA sont désormais entrés dans la phase de cycle, typiquement américaine, où leur toute puissance est questionnée, leur tendance au monopole dans la ligne de mire. Aussi puissants soient-ils, les GAFA ne tiendront pas devant la volonté de l'Etat, lorsqu'elle s'exprimera, de les soumettre aux intérêts économiques nationaux. Cela va avoir, d'ici dix ou quinze ans, des répercussions sur l'Europe aussi, où l'on redécouvrira la souveraineté nationale et les intérêts économiques de chaque Etat. . 

En quoi la Chine pose-t-elle ici une question nouvelle, comparativement à une URSS, bien plus faiblement imbriquée dans les échanges commerciaux et technologiques avec l'Occident que ne l'est Pékin ? 

Je ne partage pas cette vision. On a oublié combien l'URSS fut puissante et quelle était sa capacité d'espionnage économique. La bombe atomique soviétique n'aurait pas pu être fabriquée aussi vite sans le vol des secrets technologiques américains. L'URSS a été, des années 1930 aux années 1960, un véritable compétiteur pour les Etats-Unis. Qu'ensuite le pays n'ait pas su prendre le tournant de la révolution de l'information, c'est une autre histoire. A la différence de la Russie, la Chine a su préserver son intégrité de système communiste, à parti unique. Elle a réussi le vieux rêve de l'époque de la détente: une convergence économique entre les systèmes capitaliste et socialiste. Et elle en a tiré le plus grand profit, un accroissement de puissance inouï. Les USA sont en train de se rendre compte qu'ils se sont trop concentrés sur un nouveau danger russe - c'est largement une construction occidentale puisqu'au fond Poutine n'a pas envie d'être écrasé par le voisin chinois et souhaiterait une grande alliance avec l'Occident - et pas assez sur le danger chinois, lui bien réel.  

La rapide intégration de la Chine dans la mondialisation n'a pas permis le glissement attendu du régime vers un système plus démocratique plus respectueux des droits de l'homme, sans que cette situation ne ralentisse réellement le processus. Comment expliquer que cette confrontation des principes n'ait pas eu lieu plus tôt ?  

L'argent n'a pas d'odeur. Les profits immenses réalisés, grâce à l'exploitation par le régime de fer de la Chine d'une main d'oeuvre industrielle low cost, a permis de démultiplier les produits financiers. Il y a une vingtaine d'années, au moment de l'entrée de la Chine dans l'OMC, dénoncer le pacte faustien passé entre le capitalisme occidental et le Méphisto post-communiste chinois était impossible. Les Etats-Unis, non seulement, ne voyaient pas le problème. Mais ils étaient le moteur. C'est normal, les bas salaires chinois et la menace de délocalisations encore accrues étaient le meilleur moyen d'empêcher les revendications sociales aux USA, la hausse des salaires et donc l'inflation dans un système où les USA fabriquaient de la monnaie comme cela se passe à la cour de l'Empereur dans le Second Faust: sans limites. Aujourd'hui, les Etats-Unis sont en train de changer de modèle: ils reviennent à la question des salaires nationaux, de la réindustrialisation, du protectionnisme. Et le Pentagone est en train de devenir l'allié de Trump - exonéré de toute connivence russe. Le Russiagate a fait perdre deux ans: cependant le président va pouvoir s'appuyer sur un consensus élargi au sein de l'establishment, à dix-huit mois de la présidentielle. 

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