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Quand Instagram et autres réseaux sociaux poussent un nombre grandissant de gens à dépenser plus que de raison
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Foule (pas) sentimentale

Instagram, parmi d'autres réseaux sociaux, pousserait plus que de raison à la consommation. Pas étonnant notamment quand on pense aux nombreux influencers dont le rôle est de promouvoir des articles diverses et variés sur les réseaux. Seulement, ils ne seraient pas les seuls à blâmer... A l’occasion de l’été, Atlantico remet en avant certains des articles publiés pendant l’année dont cet article initialement publié le 29 mars 2019.

Benoît Heilbrunn

Benoît Heilbrunn

Benoît Heilbrunn est professeur de marketing à l’ESCP Europe. Il enseigne également à l’IFM et au CELSA. Consultant en stratégie de marque, il est notamment l’auteur de "Je consomme donc je suis?" (Nathan, 2013).

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Atlantico : Une récente étude réalisée par l'université de Californie et l'université de Toronto montre que les réseaux sociaux, notamment Instagram, poussent à la consommation. L'étude parle de "Biais de visibilité", comment fonctionne ce mécanisme ?


Benoit Heilbrunn : Le biais de visibilité est un phénomène qui a été mis en évidence par les économistes pour essayer d'expliquer des arbitrages que peuvent opérer les individus entre des décisions d'épargne ou de dépense via notamment la consommation. Le bais de visibilité est l'une des influences possibles du milieu social sur nos décisions de consommer ou pas tel ou tel type d'objet. L'idée principale est que la saillance d'un objet de consommation dans notre environnement social attire davantage notre attention que son absence et peut donc participer à la contagion d'une pratique de consommation. En d'autres termes, cela signifie que le fait de voir un voisin porter une Rolex va rendre beaucoup plus saillante la présence de cet objet que s'il n'en portait pas et que nous allons avoir tendance à détecter davantage la présence des objets et pratiques de consommation que leur absence. Ainsi le fait de voir des amis revenir de vacances aux Caraïbes va susciter chez moi des émotions beaucoup plus fortes que le fait de pas aller en vacances si mes amis n'étaient jamais partis au Caraïbes. J'aurais donc tendance a associer des bénéfices hédoniques beaucoup plus forts à des objets de consommation qui sont visibles socialement que les coûts hédoniques et émotionnels que pourraient susciter la privation de ces biens si je n'y avais pas été exposé.
Ce biais de perception induit donc que nous avons tendance à survaloriser les pratiques d'achats que nous observons dans notre environnement social car nous induisons que cela apporte une plus grande satisfaction de posséder ces objets que nous voyons chez d'autres que de ne pas les posséder. 
Ce biais influence positivement notre désir de se procurer les objet que nous voyons cicruler dans notre environnement social. Du coup, le fait de prêter attention à ce que les autres consomment a tendance à renforcer un mécanisme de surconsommation. 

Comment les marques utilisent-elles ce concept pour pousser à la consommation ?

Les marques ont donc intérêt à faire circuler leurs produits dans l'espace social, ce qui explique par exemple le placement de produits ou bien le fait de demander à des célébrités d'exhiber socialement leurs produits. Apple a compris depuis bien longtemps que le fait de mettre à disposition des ordinateurs et iphone pour le tournage des films de certains cinéastes renforce davantage le désir pour ces objets que n'importe quelle campagne publicitaire. Mais il fait évidemment que ces produits apparaissent dans un contexte qui est socialement valorisant et qui renvoie l'image des valeurs clés de la marque : la coolitude, la créativité, la jeunesse d'esprit, etc. C'est d'ailleurs de cette façon que des produits comme le jean ou le tabac ont acquis dès les années 50 leur statut d'icônes culturelles. Le fait de voir certains acteurs comme John Wayne ou Jams Dean porter systématiquement un blue jean et fumer à l'écran a largement contribué à renforcer la visibilité et la désirabilité sociale de ces biens de consommation. 

Est-ce-que l'algorithme des différents réseaux, qui nous met en contact avec des groupes sociaux par affinités, ne nous poussent pas à vouloir leur ressembler, et donc à consommer davantage ? 

La consommation s'appuie effectivement sur un double mécanisme de conformité et de singularité. Il s'agit de faire comme les autres tout en essayant de se convaincre que l'on est différent, d'où l'importance de la customisation qui permet de résoudre ce dilemme. L'un des tours de passe-passe de l'économie des marques est justement la singularisation du commun : il s'agit de nous faire croire que nous consommons des objets singuliers alors que ce sont justement des objets communs. 
Il va de soi que le biais de perception affecte positivement l'adoption de comportements mimétiques. Mais il est important que bien rappeler la différence entre d'une part le groupe d'appartenance et de l'autre le groupe de référence. Le groupe d'appartenance est celui auquel nous appartenons et donc nous partageons les codes et les pratiques. La force des réseaux sociaux est de nous exposer davantage à des groupes de références, c'est-à-dire des individus auxquels nous souhaiterions ressembler socialement et dont nous voudrions intégrer les pratiques de consommation. C'est dans ce sans que le biais de perception a tendance à jouer dans le cadre des réseau sociaux un effet aspirationnel sur les pratiques de consommation. L'instagrammisation des pratiques  signifie clairement que les individus scénarisent leur existence de façon avantageuse en s'entourant de possessions à fortes dimension émotionnelle et sociale, ce qui contribue à créer un effet d'entraînement ui est l'un des principaux moteurs de la société d'hyperconsommation. L'instagrammisation expose des individus consommant des biens dont ils n'ont pas besoin mais que nous ne pouvons finalement pas ne pas posséder par le seul fait que nous les voyons exhibés dans un environnement social engageant et aspirationnel qui va nous servir de référence. La visibilité crée le désir si elle s'inscrit dans un forme de vie à laquelle j'ai envie d'adhérer. Ce à quoi s'emploient justement les réseaux sociaux et les algorithmes.

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