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Comment les islamistes se sont emparés de l’attentat de Christchurch dans leur stratégie pour sanctionner les critiques sur l’islam sous couvert de lutte contre l’islamophobie
©Tessa BURROWS / AFP

Massacre

Le délit d'islamophobie est l'occasion du siècle dans le rêve hégémonique des islamistes.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

L'attentat commis contre deux mosquées à Christchurch (Nouvelle-Zélande), le 15 mars 2019, a fait 50 morts et plusieurs dizaines de blessés. C'est l'acte terroriste le plus meurtrier commis contre des musulmans en Occident. Comme disent les musulmans à la perte d'Êtres chers : Allah yarhamhoum (que Dieu leur accorde la miséricorde).

Que ce soit dans un café, une mosquée, une église, une salle de concert ou la rédaction d'un journal, les terroristes des deux bords veulent mettre nos valeurs à genoux par le sang versé. Les terroristes d'extrême droite "blanche" ne représentent pas plus les "blancs" que les terroristes d'extrême droite musulmane ne représentent les musulmans. D'ailleurs, les djihadistes doivent se réjouir de ce carnage tant espéré. Ils regrettent même sans doute que cela ait pris autant de temps à se réaliser. Ils se sentaient bien seuls dans la surenchère de violence pour créer le chaos.

Le monde entier a fait preuve de solidarité avec les proches des victimes et le peuple néo-zélandais en général. Les islamistes politiques jouant sur la fibre victimaire depuis toujours pour avancer, ce drame et l'émoi suscités sont pour eux une aubaine. Ils ont enfin un massacre anti musulmans commis par un extrémiste "blanc". Dès le jour du drame j'alertais sur la récupération rapide que ne manqueront pas de faire les islamistes et leurs soutiens. C'est ce qui s'est produit. Le corps des victimes n'étaient pas encore froids que, tels des charognards, ils ont surfé sur leur sang pour encore mieux consolider le terme "islamophobie".

L'islamophobie est la peur, la crainte de l'islam. L'exprimer, critiquer, déclarer ne pas aimer cette religion, la caricaturer ou s'en moquer relèvent de la liberté d'expression, tout comme l'islamophilie.

Or, pour une partie des musulmans, mais aussi une partie de la population de façon plus générale, seule l'islamophilie aurait droit de cité. Créer des sites internet, des pages Facebook et des comptes Twitter à la gloire de l'islam, déclarer que c'est une religion de paix et d'amour, twitter toute la journée des versets du Coran, professer constamment les "bienfaits" du sexisme du voile pour amener au "libre choix", ne posent pas de problèmes aux commerçants religieux ni à leurs soutiens. En tant que démocrate et militant laïque, je n'y vois aucun problème non plus. Leur liberté d'expression est garantie par les lois républicaines.

En revanche, l'islamophobie est condamnée par ces mêmes commerçants et soutiens. Déclarer que l'islam est une religion de haine et belliciste, dénoncer les versets violents envers les femmes et les non musulmans, le sexisme du voile, se moquer de l'islam et caricaturer le Prophète devraient être un délit puni par la loi, selon eux. Ces personnes sont anti démocrates par définition.

Pour les partisans du terme "islamophobie", l'islam devrait donc avoir un statut particulier, un privilège d'intouchabilité. Tout obstacle à l'expression de cette religion, même à ses dérives, serait un délit "d'islamophobie". Mais pour la délictualiser, il faut en détourner le sens pour en faire une forme de racisme. On transforme alors l'islam en race, génétiquement incluse en chaque musulman "de naissance". Le musulman, fidèle d'une religion censée être choisie, devient le Musulman, membre assigné à un peuple imaginaire. Ainsi, toute critique ou moquerie du dogme est déclarée être une attaque contre les croyants. De plus, les intégristes musulmans seraient des musulmans lambda. Toute critique de l'islamisme devient alors une attaque contre l'ensemble des musulmans, donc de "l'islamophobie", donc du racisme... même si ces critiques et moqueries émanent d'autres musulmans.

Au départ, les islamistes en France furent trop directs. Ils brandissaient l'islamophobie comme une atteinte à la religion et un "manque de respect envers les croyants", qu'ils mélangeaient avec les actes et propos anti musulmans qui eux sont condamnables par la loi. Confondre tout cela permet de faire croire que "l'islamophobie" serait un délit et ainsi de protéger l'islam (et surtout l'islamisme) de toute critique. Mais la liberté d'expression et l'anti cléricalisme sont bien trop ancrés en France. Les échecs judiciaires de l'UOIF et autres contre les caricatures du Prophète publiées dans Charlie Hebdo (la peine de mort fut quand même appliquée par des terroristes, le 7 janvier 2015) finirent par les pousser à adopter une stratégie plus fine. Ils déclarent à présent ne pas avoir de problèmes avec la libre critique de l'islam (ils esquivent la moquerie). Mais ils estiment que cette libre critique amène à la haine des musulmans. Ainsi, ils ne sont pas contre la critique mais hurlent à "l'islamophobie" dès qu'elle se pointe, surtout lorsque cette critique est en direction de l'islamisme. Par exemple, la critique du voilement est considérée comme une attaque contre les musulmanes voilées. Ce type de raisonnement, qui revient à réintroduire le délit de blasphème, est un danger pour la démocratie.

C'est dans ce cadre que se manifestent, suite à l'attentat de Nouvelle Zélande, les réactions des islamistes à travers le monde. Eux si prompts à s'en prendre aux interprétations coraniques et aux musulmans qui ne leur conviennent pas, et se rendent ainsi coupables d'islamophobie (peur de l'islam) et très souvent de propos (et parfois d'actes) anti musulmans, hurlent à "l'islamophobie" à la moindre occasion. Celle-ci est pour eux l'occasion du siècle.

La plus retentissante réaction vient de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI). Créée en 1969 sous l'appellation "Organisation de la conférence islamique" jusqu'en 2011, elle est "la deuxième plus grande organisation intergouvernementale après les Nations unies avec 57 États membres", selon son site internet. Ses domaines ne sont pas uniquement religieux mais aussi politiques, économiques, sociaux et culturels. Elle a pour ambition d’être "le porte-voix du monde musulman dont elle assure la sauvegarde et la protection des intérêts" (1). C'est suffisamment vague et consensuel pour être présentable en vitrine. Pour connaître les détails, il faut se rendre dans l'arrière-cour. En 1983, l'"Organisation islamique pour l'éducation, les sciences et la culture", émanation de l’OCI, publia le premier numéro de sa revue "L'islam aujourd'hui". En voici un extrait :

La Oumma islamique, entière, a commencé comme une minorité réduite à une seule personne, le Prophète. Elle s’est ensuite élargie à quelques centaines de personnes (...).Le succès d'une minorité musulmane est de devenir un jourune majorité. Ce phénomène se fait par un effet d'assimilation réciproque entre la majorité non-islamique et la minorité islamique, la majorité acceptant petit à petit la morale et la religion islamiques et finissant par s'identifier à l'islam (...). Le but est d’établir un plan commun des pays musulmans qui aiderait chaque minorité musulmane à établir les conditions nécessaires à lui donner une dynamique de minorité réussie. Plus ces communautés seront fortes et acceptées dans leur pays, plus elles défendront les intérêts du monde musulman puisque la Oumma est une et indivisible, chaque fraction de cette Oumma est d'une importance primordiale. (2)

Nous retrouvons cette vision du monde dans tous les discours islamistes. Voilà pourquoi, par exemple, un islamiste français sera plus touché par le drame palestinien et les attentats en Nouvelle Zélande situés à 20 000 km plutôt que par les attentats qui touchent le pays dont il est citoyen (sauf s'il y a des musulmans parmi les victimes).

L'OCI soutient ainsi des organisations et associations dans les pays musulmans mais aussi non musulmans pour mieux y installer (sa vision de) l’islam. Elle exerce parallèlement des pressions sur les États afin de les faire plier à sa vision de la liberté et du respect (limiter la liberté d’expression, rétablir le délit de blasphème, accepter un retour en arrière pour les droits des femmes, lutter contre le droit à l’IVG, contre les mouvements LGBT, pour le port du voile, etc.). Tout ceci sous couvert de défense de la liberté religieuse et du droit à la différence. Des éléments de langage utilisés pour culpabiliser les pays non musulmans.

Un des outils dont l'OCI dispose est la "Déclaration des droits de l’homme en islam" (4), adoptée en 1990 : "Décoloniale" avant l'heure, elle considère l'universalisme comme une forme de colonialisme. L'égalité de tous les Êtres humains ne peut pas être islamique selon elle. Cela doit passer par le prisme de la charia pour rendre cette égalité compatible avec l'islamisme politique. Autrement dit, réduire certains droits humains pour respecter son archaïsme.

L'article 1 pose le cadre. Voici celui de la Déclaration universelle des droits de l'Homme :Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience (…).

Voici celui de la Déclaration des droits de l’Homme en islam : Tous les êtres humains forment une famille dont les membres sont unis par leur soumission à Dieu, et par le fait qu'ils descendent d'Adam. (…)

Le premier considère que chaque Être humain né libre, à égalité avec tous, et reconnaît sa capacité à raisonner et sa liberté de conscience. Le second, soumet chacun à un groupe, lui-même soumis à un Dieu, et leur impose une ascendance supposée. La liberté de conscience est niée. L'athéisme n'est pas reconnu. Pour donner bonne figure, la suite de l'article est plus consensuelle en affirmant que "tous les hommes sont égaux". Une bonne part  de cette Déclaration des droits est construite sur des contradictions au sein de ses articles. Mais il en ressort bien la volonté de prendre ses distances avec l'universalité des droits pour les réduire afin de les soumettre à la charia.

L'article 6 en est un autre exemple. Elle commence par affirmer une fausse égalité femme-homme :

a) La femme est l'égale de l'homme dans la dignité humaine ; ses droits sont équivalents à ses devoirs. Elle a une personnalité civile, une responsabilité financière indépendante, et le droit de conserver son nom patronyme et ses liens de famille.

Ainsi, la femme n'est pas l'égale de l'homme dans l'absolu. Elle l'est seulement dans la "dignité humaine". Ses droits et devoirs ne sont pas égaux à ceux des hommes. Ils lui sont spécifiques et équivalents entre eux. La suite de l'article entérine ce patriarcat : Le mari a la charge de l'entretien de la famille et la responsabilité de sa protection.

L'aspect totalitaire de cette déclaration transparaît surtout à l'article 10 :

L’Islam est la religion naturelle de l'homme. Il n'est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l'athéisme.

Il n'y rien de nouveau. Les islamistes ont décrété que l'islam relève de la nature. Tout choix différent serait donc contre nature. Chacun est assigné à l'islam sans avoir la possibilité d'en sortir. Si cette déclaration interdit le prosélytisme des autres religions (l'athéisme n'est pas prosélyte, contrairement à ce qu'elle affirme), elle n'interdit pas le prosélytisme dans l'autre sens pour convertir "l'homme" à l'islam.

Ainsi, cette déclaration alterne entre des articles qui semblent tolérants et d'autres franchement rétrogrades et totalitaires.

Pour arriver à ses fins, l'OCI fait notamment du lobbying à l’ONU où elle possède une délégation permanente. En 2016 par exemple, dans sa vision des droits humains et de la "dignité humaine", elle demanda l'exclusion de 11 ONG LGBT d'une conférence consacrée à la lutte contre la pandémie du VIH (3). Elle entrava ainsi la lutte contre ces maladies uniquement en raison de son homophobie motivée par sa foi.

Elle tente aussi depuis des années de faire reconnaître au niveau mondial ce que ses membres appliquent chez eux : la "diffamation de l'islam" pour toute critique du dogme (et de ses représentants), appelée aussi "islamophobie". Pour rendre cette demande moins communautariste et plus présentable à l'international, une autre formule est aussi utilisée en parallèle : la "diffamation des religions". Là encore, l'ONU sert de levier.

Ce cadre étant posé, nous pouvons mieux interpréter la réaction de l'OCI face à l'attentat en Nouvelle Zélande. Le 22 mars 2019, les représentants des pays membres de l’Organisation ont déclaré que "le massacre de Christchurch, et plus généralement les attaques visant des mosquées ou des musulmans, sont "des conséquences brutales, inhumaines et horribles" de l’islamophobie" (5). Ils ont également proposé de créer une "Journée mondiale de la solidarité contre l’islamophobie". La date choisie est le 15 mars, jour de l'attentat. Le président autoritaire turc Recep Tayyip Erdogan a même appelé à combattre l’islamophobie au même titre que "l’antisémitisme après l’Holocauste". Nous avons ici un concentré de toute la stratégie victimaire des islamistes : s'appuyer sur un drame humain, celui tant attendu, pour justifier le délit de blasphème au niveau mondial en amalgamant critique d'une idéologie et actes contre des individus. La comparaison avec la Shoah arrive à la rescousse, carte premium de la victimisation pour tenter de hisser l'islamophobie (peur d'une idéologie) au niveau de l'antisémitisme (haine contre des individus). Cela n'a aucun rapport, mais c'est très efficace dans la stratégie victimaire des Frères musulmans, comme je l'avais démontré dans un article précédent (5).


Les islamistes français ne sont pas en reste. Du MuslimPost au CCIF en passant par Al Kanz et Islam&info, l'ensemble des Frères musulmans et salafistes s'agitent comme un seul homme depuis le 15 mars. Leurs réactions face à un attentat qui a eu lieu à 20 000 km de chez nous contrastent avec leur mollesse et déclarations de circonstance lors des multiples attentats sur notre sol. Je les aborderai dans la deuxième partie.

(1) Organisation de la Coopération Islamique, histoire

(2) L’Islam aujourd’hui, N°1, avril 1983, p. 105.

(3) Les pays musulmans font exclure les ONG LGBT d’une conférence de l’ONU consacrée au SIDA

(4) Déclaration des droits de l'homme en islam

(5) Attentats à Christchurch: Les pays musulmans demandent des mesures concrètes contre l'islamophobie

(6) Le CCIF et sa référence à l’Allemagne des années 30, l’arroseur arrosé

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