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Les vagues scélérates sont moins fréquentes mais quand elles déferlent, elles sont de plus en plus “extrêmes”
©Capture d'écran Iceland

Monstre des océans

Des analyses faites sur la côte ouest américaine suggèrent que les "vagues scélérates" sont de plus en plus violentes.

Mansour Ioualalen

Mansour Ioualalen

Mansour Ioualalen est chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), dans l'unité Géoazur.

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Atlantico : Des analyses faites sur la côte ouest américaine suggèrent que les "vagues scélérates" sont moins fréquentes mais de plus en plus violentes. Qu'est-ce qu'une vague scélérate?

Mansour Ioualalen : Dans cette terminologie le terme important est le mot « scélérates », c’est à dire « qui ne préviennent pas » ou encore « ce à quoi l’on n’est pas préparé ». Arbitrairement, on les définit comme des vagues isolées dont la hauteur est au moins le double de la hauteur significative du champ de vagues avoisinant. Elles sont donc implicitement sporadiques sinon elles contribueraient significativement à cette hauteur ambiante de vagues.

Dans cette terminologie, une vague scélérate est-elle obligatoirement extrême ?

Pas nécessairement: elle est simplement inattendue et in-anticipée par le navigateur. Une forte houle, à laquelle un navigateur est préparé peut causer beaucoup moins de dégâts qu’une vague scélérate de bien moindre hauteur. Il faut ainsi les distinguer des vagues extrêmes issues de conditions météorologiques anormales ou encore des vagues pouvant être importantes issues de la confluence de courants marins. Pour ces deux occurrences les hauteurs de vagues sont statistiquement régulières et donc « non scélérates ».

Et comment se déclenche t'elle ?

Tout d’abord faisons une brève description de ce qu’est un champ de vagues. Depuis bientôt deux siècles, les scientifiques se penchent sur les mécanismes de formation des vagues, leur évolution dans le temps et leur propagation dans l’espace après leur génération (sous l’effet du vent). Plus exactement depuis qu’un physicien anglais, G. B. Airy, a montré qu’une surface libre, e.g., la surface des océans, est un oscillateur naturel et donc une onde marine. Dans un champ de vagues coexistent différentes classes de vagues : par exemple la houle qui se maintient sous l’effetde la force de gravité, les vagues de vent qui sont générées par la force du vent. Ces dernières sont en général plus « jeunes » que les composantes de la houle. Il a été montré, par exemple, il y a près d’un demi-siècle, qu’une instabilité particulière, module une champ de vagues, i.e., certaines crêtes sont plus hautes que d’autres. On observe communément cette propriété lorsque l’on se trouve à la plage. Cette instabilité (modulationnelle), lorsqu’elle est conjuguée avec le phénomène naturel d’atténuation de la houle (dissipation par frottement des particules d’eau entre elles), explique aussi comment  des vagues de vent (qui oscillent très rapidement) se transforment peu à peu en houle qui oscille beaucoup plus lentement. Pour résumer, un champ de vagues accueille des composantes d’ondes d’âges variables, dont les oscillations sont plus ou moins rapides (leur fréquence physique diffère), la distance entre deux crêtes sont plus ou moins longues (leur longueur d’onde), leurs hauteurs sont plus ou moins importantes, et leurs vitesse de propagation varie (ce que l’on appelle la dispersion). Ces composantes interagissent entre-elles et nous avons une bonne connaissance de la plupart des processus mécaniques mis en jeu dans l’évolution d’un champ de vagues.

Pour ce qui concerne les mécanismes de déclenchement des vagues scélérates : avec le temps les observations sont de plus en plus nombreuses, aussi bien par les professionnels de mer (navigateurs ou les occupants de plateformes marines) que par les scientifiques qui installent des instruments de mesure en mer ou en laboratoire en tentant de les reproduire). L’accumulation de ces observations permet de tester et de confronter certains mécanismes cités connus, cités plus haut, de les revisiter en quelque sorte sous la lorgnette « vagues scélérates ». Par exemple il a été montré que la confluence de deux champs de vagues, sous l’effet de l’instabilité modulationnelle, pourrait générer une crête de hauteur décuplée, sous certaines conditions de synchronisation des deux trains initiaux. Egalement, Les différences de vitesse entre plusieurs composantes du champ de vagues peuvent créer une accumulation soudaine de crêtes et une amplification brusque. On appelle cela la focalisation.

Pendant longtemps les vagues scélérates ont été le cauchemar des marins, de nos jours y a-t-il des moyens efficaces pour mieux sécuriser les bateaux ou prévenir le danger ?

L’étude des mécanismes de génération des vagues scélérates (VS), les tentatives de reproduction en laboratoire, et leur modélisation numérique,  sont nécessaire mais elle ne sont pas à ce jour suffisante pour développer des systèmes d’observation et de prédiction des vagues scélérates. Ceci parce que leurs échelles spatio-temporelles (ST) sont trop fines (car sporadiques) pour être modélisées avec précision à l’échelle d’un domaine marin. Une approche statistique (analyse de l’occurrence de VS dans un domaine ST) pourrait être plus abordable mais on dégraderait considérablement la précision ST de leur occurrence, précisément parce que les observations des VS sont rares. Tout au plus pourrait-on donner une cartographie des zones de forte occurrence, si celles-ci existent réellement. Mais à quoi servirait une telle cartographie pour un phénomène si sporadique ? Reste leur possible détection. Les altimètres embarqués sur satellites ne permettent pas de détecter uniformément des phénomènes si ponctuels et de si petite échelle ST. Peut-être des radars embarqués sur navires pourraient-ils détecter ces anomalies de hauteur de vagues à condition de développer des logiciels cohérents d’interprétation des signaux rétrodiffusés. Les choses progressent néanmoins et les efforts pour tenter d’anticiper les VS sont réels.

Parce que les VS sont de plus en plus reportées et étudiées, les marins sont de plus en plus conscients de ce risque. Nous savons qu’un navigateur professionnel et expérimenté peut s’adapter spontanément à des champs de houles extrêmes. Cependant, les VS étant sporadiques et soudaines, elles échappent naturellement à toute vigilance. Contrairement à l’aléa tsunami ou les temps d’arrivée peuvent être suffisants pour se préparer à l’imprévu, la seule préparation possible aux VS, pour le moment, est le respect scrupuleux, à tous les instants, des règles de sécurité en mer.

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