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Fumer du cannabis à forte concentration de THC augmenterait les risques de développer une grave maladie mentale
©CHAIDEER MAHYUDDIN / AFP

Santé

C'est une des conclusions d'une étude publiée dans la très sérieuse revue The Lancet.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon une étude dont les résultats ont été publiés dans la revue The Lancet, la consommation quotidienne de variétés fortes de cannabis favoriserait l'apparition de troubles mentaux chez les utilisateurs. Les personnes consommant quotidiennement du cannabis seraient trois fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic d'un premier épisode de psychose (5 en cas de forte concentration). Comment expliquer ce phénomène ?

Stéphane Gayet : Les résultats de cette étude sont une nouvelle occasion de parler de la toxicité cérébrale du cannabis et de la causalité des troubles psychiques ou mentaux et particulièrement des psychoses.
Le cannabis est l’une des substances psychoactives qui ont suscité le plus de controverses, tant au sein de la communauté scientifique que dans les milieux politiques. Car il est en cause dans les accidents de la voie publique et très probablement dans certains accidents du travail, mais aussi bien sûr dans la délinquance et le trafic de stupéfiants. Par ailleurs, au cours des deux dernières décennies, les liens très vraisemblables du cannabis avec les troubles psychotiques et particulièrement avec la schizophrénie, ont été largement débattus et le sont encore. Toutes ces questions sont pleines d’intérêt aujourd’hui étant donné que la consommation de cannabis est considérable et qu’elle continue, semble-t-il, à augmenter.
En raison de sa richesse en tétrahydrocannabinol (THC), son principal principe actif, le cannabis est un produit stupéfiant, classiquement considéré comme une « drogue douce », ce qui n’est pas ou plus vrai si l’on considère les procédés actuels de fabrication de dérivés concentrés en THC qui sont de plus en plus souvent consommés (tels que l’huile et surtout la résine de cannabis). Comme la plupart des stupéfiants, il a un effet antalgique (antidouleur) qui est utilisé en thérapeutique.
Les experts qui se sont intéressés à la composition du cannabis au cours de ces deux dernières décennies ont constaté une évolution importante de la concentration des deux principaux cannabinoïdes que sont le delta-9 tétrahydrocannabinol ou THC et le cannabidiol ou CBD. Le THC provoque des épisodes psychotiques transitoires, y compris chez les sujets sains. On peut rappeler que, schématiquement, un état psychotique se distingue d’un état névrotique par un décrochage évident de la réalité. Les épisodes psychotiques transitoires sous cannabis sont plus fréquents lorsque les doses sont élevées et cèdent après son élimination de l’organisme.
La schizophrénie est une psychose chronique se traduisant par des délires (typiquement, des délires paranoïdes (appelés ainsi parce que moins structurés que les délires paranoïaques), des hallucinations, un comportement aberrant et parfois d'allure automatique, un langage pauvre et parfois incompréhensible, une perte de contact avec la réalité, un repli sur soi (repli autistique) et souvent une régression intellectuelle et mnésique. La schizophrénie évoluée peut générer un handicap mental et social majeur. Le risque de schizophrénie (maladie appelée communément « la folie ») est d’autant plus haut que la consommation de cannabis est précoce (adolescents) et importante.
Les risques élevés de psychose chronique avec les formes récentes, concentrées, de cannabis sont liés à la toxicité cérébrale importante du THC et aux fortes concentrations en THC, notamment présentes dans le skunk et le superskunk (ce sont les deux principales formes très concentrées). C'est hautement préoccupant, étant donné la forte consommation de cannabis en France et particulièrement chez les jeunes (la France est en tête des pays de la Communauté européenne sur ce point).
Mais bien avant l'évolution vers une schizophrénie, le cannabis produit des altérations de la mémoire. Il s'agit de troubles de la mémoire à court terme (mémoire non durable, qui conditionne cependant la mémoire à long terme, donc également affectée). Ce déficit mnésique est réversible au début de la toxicomanie au cannabis, puis devient moins réversible avec les mois et les années, constituant à la longue un handicap plus ou moins sévère.
Mais il tout aussi essentiel de parler du causalisme des maladies psychiques ou mentales : elles sont polyfactorielles, ce qui est en réalité le cas de la plupart des maladies. La survenue d’une psychose chronique dépend de facteurs génétiques (une prédisposition héréditaire), de facteurs environnementaux (mode de vie, alimentation) et d’éventuels facteurs toxiques (alcool, stupéfiants…).
Les personnes ayant des antécédents familiaux de psychose ont une vulnérabilité particulière vis-à-vis des effets appelés « psychoto-mimétiques » du cannabis (survenue d’épisodes psychotiques aigus et transitoires). Mais le cannabis n’est bien sûr ni nécessaire ni suffisant dans la genèse de la schizophrénie : il ne fait que la favoriser.
Sur le plan histopathologique (modifications cellulaires observées au microscope), le tétrahydrocannabinol provoque une réduction de l’arborescence dendritique, ce qui est un élément explicatif clef. En d’autres termes, le THC est responsable de la diminution des connexions entre neurones ; or, le développement cérébral continu (tout au long de la vie) est en grande partie lié à la formation de nouvelles connexions ou dendrites.

Au final que vient confirmer cette étude ?

Cette étude confirme l’existence d’une forte corrélation entre des consommations élevées et régulières de cannabis – qui sont permises aujourd’hui par la fabrication et une sorte de banalisation de produits hautement concentrés en THC – et la survenue de troubles psychotiques, transitoires dans un premier temps, mais susceptibles de devenir chroniques.
Plusieurs groupes de consommateurs de cannabis ont été suivis sur de longues périodes. Le risque est d’autant plus élevé que la consommation commence tôt dans la vie (adolescence), qu’elle concerne des produits hautement concentrés, qu’elle est régulière et se prolonge sur des années. Si une corrélation ne permet pas d’affirmer qu’il existe un lien de cause à effet, la toxicité du THC sur les neurones (notamment sur leurs connexions) a déjà été établie par ailleurs. Il convient de préciser que le THC a une affinité toute particulière pour le cerveau en raison de la richesse de celui-ci en lipides (graisses).
Si la notion de « drogue douce » pouvait à la rigueur se justifier avec la consommation de cannabis naturel (herbe séchée), elle n'est plus adaptée aux formes concentrées actuelles qui sont réellement dangereuses.
En fin de compte, le cannabis est sans conteste toxique pour le cerveau, comme la plupart des stupéfiants du reste. Cette toxicité se manifeste plus souvent aujourd’hui en raison de la mise à disposition de formes très concentrées en THC et de la tendance à consommer du cannabis dans l’adolescence, phénomène pratiquement mondial et extrêmement préoccupant.
Si le cannabis est un facteur de risque avéré d’épisode psychotique aigu transitoire, il ne suffit pas à générer une psychose chronique qui nécessite d’autres facteurs favorisants dont l’hérédité ; mais il altère certainement les capacités psychiques.
Mais il faut bien avoir à l’esprit que cette toxicité liée à la prise régulière, prolongée et précoce de formes très concentrées de cannabis n’a pas de commune mesure avec l’utilisation médicale de formes pharmaceutiques de cannabis pour traiter certains états douloureux.

La docteure Marta Di Forti et ses collègues du King's College de Londres à l'origine de cette étude vont jusqu'à expliquer que "Si ces cannabis très puissants n'étaient plus disponibles, 12% des cas d'un premier épisode de psychose pourraient être prévenus en Europe". Mais le lien de causalité n'est-il aps difficile à prouver ?

Une consommation précoce, régulière et prolongée de cannabis très concentré n’est qu’un facteur de risque de survenue d’un épisode psychotique aigu transitoire parmi d’autres. La puissance de cette étude qui porte sur d’importants effectifs de sujets suivis sur de longues périodes est un apport décisif dans la compréhension de la toxicité cérébrale du cannabis.
Il n’en reste pas moins vrai que, comme c’est le cas général des études épidémiologiques, cette étude ne fait que confirmer la forte corrélation entre une consommation précoce et prolongée de cannabis et la survenue de psychose chronique et de façon plus particulière de schizophrénie. Si la toxicité neuronale du THC est établie, cela ne suffit pas à affirmer que cette substance peut produire à la longue une schizophrénie. Le cannabis comporte plusieurs molécules, son action ne peut pas se résumer au THC. Des études neuropathologiques complémentaires devraient permettre de préciser s’il existe réellement un lien de cause à effet entre le cannabis et la schizophrénie.
Car on ne peut pas exclure l’hypothèse selon laquelle ce serait un terrain psychique particulier, génétiquement déterminé et prédisposant à la schizophrénie, qui favoriserait du même coup la toxicomanie au cannabis. Selon cette hypothèse qui est souvent émise, ce ne serait donc pas le cannabis qui provoquerait la schizophrénie, mais le terrain prédisposant à cette psychose qui pousserait en même temps à la consommation de cannabis.
Toujours est-il que la toxicité cérébrale du cannabis est indéniable. Elle est réversible dans un premier temps, puis devient souvent irréversible après une consommation prolongée. Parmi les effets psychiques délétères (défavorables, maladifs) du cannabis), il faut retenir les troubles de la mémoire et les épisodes psychotiques aigus (délires, hallucinations). Et le moins que l’on puisse dire est que ce stupéfiant n’est pas une solution au mal-être. Mais son marché clandestin est très lucratif.

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