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Quand Nathalie Loiseau teste les nouveaux "éléments de langage" du progressisme face à Marine Le Pen sans grand succès
©François NASCIMBENI / AFP

"L'Emission poli-tique"

Marine le Pen était l'invitée de l' "Émission politique" ce jeudi soir sur France 2. Elle a fait face à la ministre des Affaires européennes Nathalie Loiseau qui s'est déclarée "prête" pour conduire la liste de la majorité aux autorités européennes et en a profité pour tester des éléments de langage.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Vous avez suivi « L’Émission politique » consacrée à Marine Le Pen. Que peut-on en tirer de ce genre de rendez-vous politique ?

Christophe Boutin : Beaucoup de choses. On est en fait rarement déçu par les émissions de Léa Salamé, qui, comme beaucoup d’émissions de ce genre, sont pensées non comme étant simplement destinées à confronter des opinions, mais bel et bien comme ayant vocation à façonner l’opinion de ceux qui la regardent. Symboliquement, chaque émission est d’ailleurs intégrée dans le catalogue « replay » de la chaîne d’État France 2 comme un « épisode » d’une « saison ». Leur structure ensuite, fragmentée (actualité, rencontre improbable en reportage, invités secondaires sur le plateau, reportage intimiste puis invités majeurs sur le plateau ou en duplex), est, d’une part, destinée à éviter la perte d’audience d’un téléspectateur endormi par les échanges en relançant son intérêt – et en gardant, lui dit-on, le meilleur pour la fin -, mais aussi et surtout, d’autre part, à fragmenter le discours de l’invité en petites séquences qui, toutes, ont leur raison d’être précise dans un plan d’ensemble. Il ne s’agit en fait que de recevoir, dans le délai imparti, la réponse que l’on attend et qui permettra, ajoutée aux autres, comme dans un tableau pointilliste, de dresser de l’invité le portrait que l’on veut en donner.

C’est en fait une véritable corrida médiatique bien rodée, qui fait succéder à la pose des banderilles le picador puis le matador, dans un spectacle dont la fin est donc largement connue d’avance. L’intérêt spécifique de Léa Salamé en meneuse de jeu est double. Parfaite représentante de la doxa progressiste d’une part, elle est incapable de cacher ses sentiments face à son invité et, très rigide, ne supporte pas que l’on s’éloigne du plan tracé. Il est effectivement délicat d’arriver à respecter le timing des réponses attendues, car les intervenants ne doivent ni oublier leur rôle, ni dépasser leur temps de parole, un problème récurrent avec l’intervention de personnes peu habituées à intervenir dans un média télévisuel très contraint par le temps. Mais Léa Salamé, qui fait certainement partie de ces femmes habituées dès leur plus tendre enfance à n’être jamais contrariée, confrontée à de tels problèmes, rappelle tout le monde à l’ordre sans grande subtilité, révélant ainsi malgré elle très clairement le travail de montage de l’émission, quand bien même aurait-il été réalisé sur les conseils des plus subtils « spins doctors ».

Les choses se sont bien passées d’abord avec ce « tour d’actualité » qui est comme un tour de chauffe et conduit à obtenir des réponses très rapides sur un mode quasi binaire, oui ou non. Avec la réapparition de la rougeole, les vaccins sont-ils nécessaires (thématique « obsurantisme médiéval ») ? Marine Le Pen répond oui, qu’elle ne s’était opposée qu’à ces 11 vaccins un temps mis en commun, mais que celui sur la rougeole était déjà obligatoire. Un coup d’épée dans l’eau, mais on se rattrapera en fin de soirée, lorsque la ministre de la Santé Agnès Buzyn twittera que ce vaccin n’était que « conseillé ». Cela permettra de montrer que l’invitée diffuse des « fake news », un des éléments de langage prévus pour la future campagne des européennes, nous y reviendrons. On aura ensuite un court passage sur les problèmes politiques actuels de l’Algérie, suggérant l’obsession xénophobe d’une invitée qui n’évoquera que la nécessité pour un politique de prévoir ce qui peut arriver ; sur son refus du retour des djihadistes, avec une intéressante lecture inversée, puisque ce refus mettrait en fait en danger la sécurité des Français, les dits djihadistes étant mieux surveillés chez nous, mais Édouard Philippe veut aussi les voir juger sur place ; sur l’adhésion encore de l’invitée à la lutte de cette ONG qui met en cause la responsabilité environnementale de la France, une lutte naturellement, si l’on ose dire, dans le camp du Bien, mais Marine Le Pen se demanda pourquoi la France, bonne élève comparée à nombre d’autres États, était cette cible privilégiée. Restaient deux thématiques spécifiques au parti de l’invitée, l’antisémitisme, avec la mise en cause d’un ex-identitaire travaillant au RN - mais Marine Le Pen liera cette montée de l’antisémitisme et le fondamentalisme islamique -, et les poursuites engagées contre des parlementaires européens de son parti à cause de leurs attachés, Marine Le Pen expliquant alors qu’ils étaient non ceux de l’Union européenne mais bien de son parti, et avaient donc vocation à travailler pour ce dernier.

Il y avait aussi une question posant sur les réformes fiscales nécessaires pour répondre aux attentes des Français…

J’y viens, car ce point me semble dépasser nettement le classique poser de banderilles que je viens d’évoquer, au résultat somme toute assez moyen. On demandait en effet à la présidente du Rassemblement National de répondre, par oui ou non, à quatre questions touchant à la fiscalité et au pouvoir d’achat. Souhaitait-elle d’abord augmenter le smic ? Non répondit-elle, les salaires oui mais pas le smic car cela entraînerait une augmentation des charges et pénaliserait les PME/PMI. Souhait-elle alors faire disparaître les « niches fiscales des riches » ? Pas plus, car certaines seraient utiles. Entendrait-elle mettre en place la dégressivité des allocations en fonction des revenus ? Non, pas spécialement. Alourdir enfin les impôts sur les successions des plus aisés ? Toujours non. Cqfd, ce n’est donc pas, contrairement à ce que l’on entend parfois, Emmanuel Macron qui serait le « président des riches », mais bien Marine Le Pen leur candidate.

Ce qui est intéressant ici, c’est qu’au-delà de la tentative visant à délégitimer celle qui prétend représenter le peuple, on dévoile une tactique du pouvoir sur la manière dont il entend, pour sortir de la crise et trouver des mesures à présenter aux Français après le « Grand débat », canaliser la colère des « Gilets jaunes », en dirigeant leur sentiment d’injustice vers les Csp+, cadres et fonctionnaires. Parce qu’il est toujours facile de jouer sur les aigreurs, et que l’on n’envie jamais que celui qui est assez proche de soi pour qu’on puisse le connaître. Parce que ces catégories ne pourront pas, contrairement aux vrais bénéficiaires du système, les super-riches, échapper à ces coups de rabot spoliateurs. Et l’on retrouve aussi, en arrière plan, la détestation présidentielle quasi-obsessionnelle pour la propriété foncière et la transmission familiale. On a très certainement ici un élément clef des politiques à venir.

L’émission vit ensuite intervenir trois invités…

Oui, après un court reportage avec des « Gilets jaunes » rassemblés… au « Bourbon », devant l’Assemblée nationale, on eut droit à trois intervenants « thématiques ». Jacques Attali, venu expliquer les « trois mondialisations », sur la thématique rodée du « c’est plus compliqué que cela », prôna un « état de droit mondial » - c’est-à-dire un « gouvernement des juges » mondial, perspective très révélatrice d’un mondialisme qui entend de nos jours se réaliser par le droit et non plus par le politique. Hugo Travers, de « HugoDécrypte », revint lui sur la thématique de lutte contre les fake news déjà rencontrée, mais, empêtré sur ce que devait être une information « vraie », eût bien besoin du soutien de Léa Salamé et Jacques Attali pour s’en sortir.

Mais l’invitée la plus intéressante fut sans doute la maire communiste d’Aubervilliers, Meriem Derkaoui. Elle était censée présenter une thématique chère aux « spins doctors » élyséens pour sortir de la crise des « Gilets jaunes » : ajouter les revendications des banlieues à celles d’une France périphérique qui n’a strictement rien à voir avec elles, pour noyer les revendications identitaires de cette dernière. Las ! Dans un discours aussi convenu que virulent, elle partait en vrille et oubliait son texte, malgré les louables efforts de Léa Salamé pour la recadrer à grands coups de : « Oui… enfin… ce que vous voulez dire, c’est que… ». Et tandis que Marine Le Pen appelait de ses vœux le rétablissement de l’ordre républicain dans ces zones, il fallut couper la parole à l’élue des banlieues Nord par un bref reportage faussement intimiste, pour permettre de rétablir, justement, un peu d’ordre sur le plateau de France 2.

Mais ce dont tout le monde parle ce matin, c’est du débat avec Nathalie Loiseau.

On en arrivait effectivement alors à la confrontation dont avaient parlé tous les médias comme devant être le point d’orgue de la soirée, le face-à-face entre Marine Le Pen et Nathalie Loiseau, diplomate jupéiste et ministre des Affaires européennes. L’auteure de « La démocratie en BD » allait, disait-on, gagner là ses galons de tête de liste LaREM-MoDEM aux élections européennes, et avait effectivement préparé son oral sur le bout des doigts. On eut ainsi l’impression d’être devant l’un de ces pitoyables « concours d’éloquence » où de malheureux étudiants ânonnent leurs recettes : anaphore en entrant en scène («vous… pas moi… »), jeux de mots « subtils » au sens de Le Gendre (« vous auriez du garder comme nom de votre parti FN, comme Fake-News »)… mais on n’était pas surpris, ayant lu dans la journée qu’elle avait été « coachée » avant le débat par une dream-team composée de Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, et Benjamin Griveaux. 

Reste que si la tâche semblait facile, au vu des évolutions parfois peu lisibles de Marine Le Pen sur la question européenne, Nathalie Loiseau se vit très rapidement sérieusement accrochée. Elle tenta bien de rebondir sur les chiffres des smic nationaux avancés par sa rivale (« par heure ? par jour ? »), mais, face à ce « réveil des peuples » et à ce « vent démocratique » qui, selon Marine Le Pen, secouaient maintenant l’Europe, les mots lui manquaient. Confrontée au naufrage, Léa Salamé fut obligée d’utiliser son joker, un Mattéo Renzi dont elle nous dit alors qu’en direct de Londres il « s’impatientait ». Mais quelle déception là encore pour la meneuse de jeu de France 2. Certes, l’ancien dirigeant italien évoqua bien le « chaos » qui régnait à Londres, et mit en garde des Français contre la ruine qui les attendait s’ils succombaient à l’euroscepticisme, mais c’est la présentatrice qui dut lui rappeler qu’il « voulait parler de la question de l’immigration ». Ainsi rappelé à son devoir, Matteo Renzi expliqua qu’il avait préféré perdre son poste que laisser des migrants se noyer, et qu’il fallait pour lutter contre l’immigration aider financièrement l’Afrique… et les banlieues.

Restaient les mots de conclusion. Renzi fit un court mais solennel et vibrant hommage à Emmanuel Macron, « seul leader de l’Europe ». Vint ensuite le tour de Nathalie Loiseau. « Vous m’avez fait changer d’avis » - déclara alors la ministre la ministre à sa vis-à-vis - « j’ai décidé, à cause de vous, d’être candidate à la tête de liste. Contre les nationalistes ultra-libéraux. » Et tandis que Léa Salamé, pétrifiée par le peu de naturel de l’annonce, tentait, courageusement il faut le dire, de jouer le jeu de la surprise, Marine Le Pen se tenait les côtes.

On entend bien que vous avez apprécié le spectacle. Un bilan en quelques mots ?

Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas la question de la performance ou non de Nathalie Loiseau. Ce n’est même pas le fait que Léa Salamé hier soir, et certains médias ce matin,  semblent ne retenir comme évènement de la soirée que cette « candidature surprise » alors pourtant que le sondage final donnait d’intéressants résultats : 48% des Français (et 63%d’électeurs des Républicains) se disaient convaincus par la prestation de Marine Le Pen ; 43% l’étaient quand elle parlait de cette Europe sur laquelle elle est parfois peu lisible ; et 54% quand elle évoquait la lutte contre l’immigration (74% chez les électeurs de LR).

Mais plus intéressant encore sont les éléments de langage du pouvoir, à la fois face au RN, dans lutte pour la première place aux élections européennes, mais aussi pour sortir de la crise des « Gilets jaunes ». Très révélateur par exemple est le fait que Nathalie Loiseau prétende lutter contre « le nationalisme » mais aussi « l’ultra-libéralisme » de Marine Le Pen, quand cette dernière a toujours dénoncé l’ultra-libéralisme… du camp progressiste d’Emmanuel Macron – et, de manière significative, Nathalie Loiseau se servit notamment, pour étayer son attaque, de ces réponses données par Marine Le Pen en introduction aux projets fiscaux dirigés contre les CSP+. Le pouvoir est donc en train de tenter de détacher ce sparadrap qui, décidément, colle trop à l’ancien banquier devenu Président. Une tentative sans doute vouée à l’échec, l’ultra-libéralisme dont il est question supposant un mondialisme financier qui, par définition, s’oppose au nationalisme, mais dont on en reparlera certainement.

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