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Brexit : Theresa May, la femme dont l’Europe devrait s’inspirer
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Plutôt que de s’en moquer

Suite au nouveau vote britannique refusant l'accord avec l'Union européenne, l'incertitude bat encore son plein avant la date fatidique du 29 mars.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Quel serait le risque, pour l'Union européenne, de voir le Royaume-Uni soumis à une impossibilité technique ou juridique de procéder au Brexit ? En quoi une trop grande rigidité européenne - perçue comme une impossibilité de sortir de l'UE- pourrait-elle alimenter des rébellions à venir ? 

Edouard Husson: Je crois, tout d’abord, que nous devons avoir une lecture positive de ce qui se passe au parlement britannique. On ne peut pas à la fois déplorer la coupure entre le peuple et les élites et s’apitoyer, comme le font de si nombreux commentateurs, sur les divisions du Parlement britannique. Faut-il rappeler que la souveraineté britannique se trouve d’abord dans le Parlement? Il est vraisemblable que les parlementaires, le 23 juin 2016, dans le secret de l’isoloir, ont voté à 70% ou plus contre le Brexit. Or les mêmes ont respecté ensuite le vote majoritaire du peuple britannique. On ne peut pas dire la même chose du Parlement français en 2007, qui a voté le Traité de Lisbonne, réintroduction assumée du Traité Constitutionnel Européen qui avait été rejeté deux ans plus tôt par le peuple français. 

Ensuite, il est certain que les deux grands partis ont un problème de leadership. Jeremy Corbyn a l’air de privilégier une navigation à vue. Chez Theresa May, c’est le contraire: elle sait trop bien ce qu’elle veut, depuis janvier 2017, mais ne débat pas assez de sa vision du Brexit et doit régulièrement assumer une mise en minorité, qui n’empêche pas que le parti lui ait déjà renouvelé deux fois sa confiance. On est frappé par le contraste entre le courage personnel et la ténacité du Premier ministre et son incapacité à faire ce que Margaret Thatcher ou, encore plus, Tony Blair savait si bien faire: persuader, persuader, persuader. 

Enfin, nous avons tous, et les Britanniques les premiers, un énorme problème avec l’Union Européenne. Institution imaginée par des acteurs de l’âge des hauts fourneaux et du charbon, elle est totalement inadaptée à l’âge de l’information omniprésente, des start-ups et de l’industrie 4.0. Elle est complètement incapable de vivre avec l’énorme besoin de démocratie de notre époque. Je ne crois pas que l’UE puisse durablement bloquer le jeu, même si c’est ce qu’elle essaie de faire. Mais plus elle le fera plus elle provoquera des révoltes, des votes d’opposition. 

Ne pourrait-on pas s'inquiéter de voir la séquence actuelle - une impression d'impossibilité de quitter l'UE - être perçue par les populations comme une forme de mur de Berlin virtuel ?

C’est d’abord au Parlement britannique de trouver l’issue au blocage actuel. Je crois que l’Attorney General, Geoffrey Cox, n’a pas mesuré l’impact qu’a eu la sécheresse de l’avis qu’il a rendu sur les dispositions légales obtenues par Theresa May. En écrivant qu’il ne voyait rien qui garantisse absolument une sortie unilatérale du backstop, il a fait involontairement le jeu de ceux qui veulent bloquer leBrexit. Les discussions qui ont actuellement cours entre 10 Downing Street, le DUP, le European Research Group et M. Cox auraient dû avoir lieu dans la journée de mardi, quitte à retarder le vote. Tout incite à présenter une troisième fois le texte d’accord mais on peut parler de gâchis. En l’occurrence, Theresa May a plus de sens politique qu’un certain nombre de Brexiteers intransigeants: l’accord de retrait initie une phase provisoire, en attendant un nouveau traité entre la Grande-Bretagne et l’UE. Les députés Brexiteers intransigeants ont-ils si peu confiance dans leur capacité à influencer la construction d’un accord Grande-Bretagne-UE? Il est admirable que Theresa May ne se décourage pas. 

Il est tout à fait nécessaire que le Parlement britannique trouve une solution avec le Premier ministre; car la sortie de crise ne viendra pas de l’Union Européenne: ni la Commission, ni les deux principaux gouvernements qui devraient s’attacher à trouver une solution - l’Allemagne et la France - n’ont la volonté ou l’imagination pour construire un avenir commun avec la Grande-Bretagne. Il y a effectivement une rigidification des structures d’une institution, l’UE, complètement dépassée par son époque. En l’occurrence, nous autres Français devons constater qu’Emmanuel Macron ne comprend pas ce qui est en jeu. Il tape à bras raccourcis sur les Britanniques, dès qu’il le peut. Je comprends qu’il ait besoin d’assouvir la frustration qu’engendre en lui le refus de Berlin d’accéder à ses propres demandes. Mais lui-même ou son successeur ont toutes les chances, bientôt, de se faire rosser par les Britanniques, dès qu’ils auront résolu le Brexit. Et une fois de plus le peuple français trinquera pour le comportement erratique de ses dirigeants. 

Qu'est ce que l'Europe aurait à gagner d'une plus grande flexibilité de ses structures ? La flexibilité d'un tel ensemble ne serait-elle pas un renforcement comparativement à sa structure actuelle ? 

Nous ferions bien de ne pas trop nous moquer des Britanniques car nous avons devant nous la transformation de l’Union Européenne. A l’âge de la révolution de l’information, il est totalement absurde d’attribuer autant de domaines au niveau européen. De même que les Etats nationaux ont intérêt à réduire le champ de leurs interventions au profit d’instances régionales ou municipales, il va falloir procéder à un inventaire politique de la subsidiarité européenne, réduire considérablement le nombre de secteurs qui relèvent de décisions au niveau de l’Union et se demander si on les rend au niveau national ou infranational. Il y aura des points durs. En particulier, la gestion de la monnaie: l’idée de gérer de manière centralisée la monnaie pour une zone aussi hétérogène est totalement contraire aux besoins de l’économie moderne. Cependant, nous avons affaire à une croyance complètement irrationnelle des responsables économiques et politiques dans les vertus de l’euro. Il est probable que l’on ne va pas pouvoir réformer de sitôt la politique monétaire européenne. Il va falloir pour cette raison, gagner en flexibilité, de manière radicale, dans plusieurs domaines: l’espace Schengen est devenu totalement inadapté pour contrôler l’immigration; et il nous empêche de choisir notre immigration, en fonction de nos réels besoins économiques. Il est donc certain que nous devons rendre au niveau national le contrôle de la circulation des personnes. L’industrie 4.0 fait de moins en moins la différence entre industrie et services puisque la force des industrie du futur, c’est la quantité de service fournie avec le produit; il faut commencer à revoir complètement la politique commerciale de l’UE, en commençant par protéger - éventuellement reprendre au niveau national - les échanges de services, ce qui nous donnera le contrôle de l’innovation industrielle. Nous devons reprendre le contrôle de notre agriculture: non seulement nous débarrasser d’une PAC obsolète mais protéger nos agriculteurs de décisions de marché prises à des milliuers de kilomètres, encourager les nouveaux circuits de production et de commerce locaux pour régénérer nos territoires abîmés par l’agriculture industrielle. Les flux financiers échappent eux aussi largement au contrôle de l’UE, parce qu’ils obéissent à une logique mondiale; nous devons pouvoir nous battre, comme nation, à armes égales avec les autres quand ils s’agit d’attirer des investissements étrangers. 

Ce sont quelques domaines, d’une liste non exhaustive. Mais vous voyez que, naturellement, j’ai identifié les domaines clé de l’accord de Brexit négocié par Theresa May: immigration, agriculture, services, finance.  Ce n’est pas un hasard. Les Britanniques ont plusieurs années d’avance sur l’Europe continentale en matière de compréhension des mutations du monde. Ils n’ont pas eu les contraintes de l’euro - heureusement pour eux. Mais ils ont subi encore plus de pression que nous due à l’ouverture à la mondialisation de leur économie. Nos situations sont donc très semblables, au bout du compte. Nous devons non seulement souhaiter que le Brexit aboutisse vite mais nous référer à lui pour penser notre avenir. 

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