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Taxe française sur les GAFA : comment Bruno Le Maire court-circuite le travail de l’OCDE tout en cherchant à s’attribuer les fruits politiques d’une initiative américaine
©DAMIEN MEYER / AFP

Court-terme

Alors que Bruno Le Maire a pu présenter le projet de loi d'une taxe sur les GAFA, l'OCDE avait annoncé en janvier dernier que La communauté internationale cherchait à "trouver une solution coordonnée au débat grandissant sur la manière la plus adaptée d’imposer des entreprises multinationales dans le cadre d’une économie qui se numérise rapidement".

Pascal Saint-Amans

Pascal Saint-Amans

Pascal Saint-Amans a été l’architecte de la réforme de la fiscalité internationale au cours des 15 dernières années en tant que Directeur fiscal de l’OCDE. Ancien élève de l’ENA, il est aujourd’hui Professeur de politique fiscale à l’université de Lausanne.

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Atlantico: Dans quelle mesure l’initiative française peut-elle venir troubler l'effort de l'OCDE ?

Pascal Saint-Amans Les questions des conséquences fiscales de la numérisation de l’économie sont sur la table depuis 2012. L’OCDE a travaillé sur cette question et a produit un rapport en 2015 qui n’était pas très concluant, ce qui a conduit beaucoup de pays à se dire que puisque les Etats-Unis ne veulent pas négocier une solution, il faudra prendre des mesures unilatérales. C’est ainsi que beaucoup de pays se sont mis à réfléchir à de telles mesures unilatérales en 2017 et en 2018. Le projet de directive européenne réalisé par la Commission a été mis sur la table en mars 2018. Mais du fait de la complexité du processus de décision, de l’hétérogénéité des acteurs et du droit de veto en matière fiscale, cette directive a été en échec. Cela a conduit la France à se dire que puisque cela ne fonctionnerait pas pour l’Europe, elle allait le faire seule. Reste à savoir comment cette position s’accorde dans le contexte international. Dans la perspective d’une impossibilité d’accord, si les mesures unilatérales ne plaisent pas à tout le monde, elles restent logiques.

Mais aujourd’hui, il faut se rendre compte qu'il y a une dynamique différence à l’OCDE, c’est que les Etats-Unis -et cela est très paradoxal - de Donald Trump, contrairement aux Etats-Unis de Barack Obama, sont favorables à une discussion et ont même fait une proposition très ambitieuse. Ce qui rend la perspective d’une solution globale possible.

Si on veut comprendre pourquoi ce revirement a eu lieu, il faut revenir à la réforme fiscale américaine. Elle a abouti à réduire le taux d’imposition des sociétés américaines de 35% à 21%, mais pour financer cette réforme, ils ont été obligés d’élargir les bases fiscales. Dans un premier temps, l’élargissement des bases fiscales a largement consisté à mettre en place les mesures "BEPS" développées par l’OCDE. Et dans un second temps, les Etats-Unis se sont dit qu’ils voulaient encore aller au delà, en donnant plus de droits aux pays de marchés pour prélever les impôts. (C’est à dire les pays consommateurs, dont font partie les Etats-Unis, cela est donc à leur avantage). Les Etats-Unis validaient alors l'idée que quand d'autres pays veulent taxer Google, c’est parce qu’ils sont un marché pour Google, et justifiaient ainsi cette position de vouloir taxer dans les pays de marché. A ce moment, les Etats-Unis ont montré qu’ils étaient prêts à débloquer la discussion en donnant le droit de taxer Google, mais en indiquant que cela ne pouvait avoir lieu qu’en élargissant la réflexion au delà du numérique, parce que le problème vaut pour toutes les entreprises multinationales. Et c’est cette proposition qui est aujourd’hui sur la table et qui fait réfléchir les européens. Parce que jusqu'à présent, les européens veulent bien taxer Google mais se demandent si cela est bien raisonnable de faire taxer Louis Vuitton ou Mercedes par d'autres pays qui en consomment les biens et services, ce qui serait la conséquence de la position américaine. Dans ce contexte, la position française est un peu en décalage, parce qu’il y a une vraie volonté globale de négocier une solution. On ne sait pas encore quelle sera la solution globale, nous avons simplement un accord pour travailler sur cette question. Cela étant, la France pourrait justifier une telle mesure française en disant que si l’OCDE doit aboutir en 2020, et qu’il est possible que cela prenne un peu plus de temps, alors elle se couvre en attendant parce que l’opinion a besoin d’un message politique fort. Cette décision ne crée pas réellement de troubles dans la négociation, mais cela ne facilite pas non plus la conversation.

Pourrait-on imaginer que la France, en ciblant exclusivement des entreprises américaines, chercherait à restreindre le champ d'application d'une telle refonte de la fiscalité des multinationales pour éviter que les grandes entreprises françaises ne soient concernées ?

C’est toute la différence entre des mesures de court-terme et des mesures de long terme. La directive européenne, ou la mesure française en question, sont des mesures de court terme, c’est à dire qu’elles cherchent, dans le cadre fiscal international qui ne permet pas vraiment de taxer ces entreprises, à combler le vide de façon temporaire.  Mais le fait qu’elle soit ciblée sur certaines sociétés n’est pas absurde et ne signifie pas que les européens veulent cibler exclusivement ces compagnies sur le long terme. Maintenant il y a une autre question discutée à l’OCDE qui est de savoir à quoi devrait ressembler une solution de long terme. Et ici, il y a deux positions. La première position est celle des Etats-Unis qui disent que cela ne peut en aucun cas être limité au numérique parce que le problème est global et qu’il n’y a rien de spécifique concernant les entreprises numériques. Parce qu’un fois qu’un volume de profits est rattaché à un marché alors le problème est le même que cela soit dans le cas de Google, Mcdonald's ou Louis Vuitton. Toute les entreprises doivent être concernées. La seconde position est celle des européens qui sont eux-mêmes partagés. D’une part, le Royaume Uni ne veut changer les règles que dans les cas où les utilisateurs fournissent des données, en considérant que c’est cette donnée qui crée de la valeur. Par exemple, Google regroupe des données en échange d’un service gratuit au Royaume Uni et va ensuite monétiser de la donnée par de la publicité qui est enregistrée en Irlande. Le Royaume Uni veut récupérer une partie de ce profit  en considérant qu’il reflète la valeur des utilisateurs qui sont situés au Royaume Uni. On voit qu’une telle proposition est très limitée, parce qu’elle ne se limite même pas qu’au digital, mais simplement à quelques entreprises numériques. Cela ne concerne pas Amazon par exemple, ni Apple ou Netflix. C’est donc une solution très limitée. Puis, la France et l’Allemagne qui ont soutenu cette approche pour les mesures de court terme parce que cela était plus facile à identifier et que cela ne mettait pas en cause les fondamentaux de la fiscalité internationale, semblent prêts pour les mesures de long terme. Même s’ils n’aiment pas vraiment les conséquences pour leurs entreprises, ils semblent prêts à discuter sur une approche large.

Qu'est ce que les recettes fiscales françaises auraient à perdre avec une telle refonte de la fiscalité des multinationales ?

Il faudrait faire des études d’impact pour en évaluer les conséquences. Si les valeurs intangibles (marketing intangibles) sont touchées par cette nouvelle approche, cela pourrait pénaliser davantage les grandes marques (françaises) que les grandes industries (allemandes) par exemple. Ainsi, avec une telle approche “marketing intangibles” et en dépit de son déficit commercial, la France pourrait peut-être perdre plus de revenus fiscaux que l’Allemagne. Mais  fondamentalement, une telle refonte de la fiscalité basée sur le marché, devrait favoriser les pays qui consomment plus qu’ils ne produisent (comme la France qui affiche un déficit commercial). La France peut y gagner tout ce qui est numérique, ce qui est déjà important. Un pays comme l’Allemagne, a priori, serait perdant net en raison de ses excédents commerciaux. Et peut être de façon plus importante, des petites économies ouvertes, mais qui taxent lourdement, comme le Danemark, la Suède ou la Finlande, auraient sans doute encore plus à perdre parce qu’ils n’ont qu’un petit marché. .    

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