Thérapies géniques : petits repères pour distinguer celles qui pourront nous guérir de celles qui affecteront la nature même de l’Homme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Thérapies géniques : petits repères pour distinguer celles qui pourront nous guérir  de celles qui affecteront la nature même de l’Homme
©Anthony WALLACE / AFP

CRISPR

Les bébés chinois dont le patrimoine génétique a été modifié, prétendument pour lutter contre le virus du Sida, pourraient voir leurs capacités cognitives augmenter. Un "effet secondaire" qui ne semble pas gêner la population chinoise, bien au contraire.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Les jumelles, Lulu et Nana, deux fillettes chinoises nées en novembre dernier auraient vu leurs gènes modifiés avant la naissance par le biologiste Jiankui He de l’Université de Shenzhen en utilisant l’outil CRISPR. L’objectif était de rendre ces enfants immunisées contre l’infection par le VIH et donc le SIDA (leur père étant porteur de la maladie) en supprimant le gène CCR5. Il se trouve que cette suppression du gène CCR5 chez la souris les rend plus intelligentes et chez l’humain améliore la récupération du cerveau après un accident vasculaire cérébral ou pourrait être associée à de meilleurs résultats scolaires. Une question est désormais omniprésente: dans ce cas la thérapie génique a-t-elle été le faux nez d’un tout premier humain génétiquement augmenté? 

Maladie et gêne

Note de l'auteur : Un gène code une protéine qui a une fonction cellulaire, il y a environ 20 000 gènes. Mais l’ADN des gènes ne représente que 1,2% de l’ADN, le reste c’est à dire plus de 98% est appelé non codant. Il est assez mal connu qu’il s’agisse de restes de l’évolution ou de parties régulatrices des gènes codants. Il y a environ 10 000 maladies génétiques monogéniques (qui implique un seul gène) et encore plus de maladies polygéniques (qui impliquent plusieurs gènes) susceptibles de bénéficier de la thérapie génique. Les gènes sont redondants c’est à dire qu’un gène dont il existe un ou des équivalents dans le génome et qui, inactivé par mutation, est remplacé dans sa fonction par un ou plusieurs de ses équivalents. Les gènes sont souvent pléiotropes c’est à dire qu’un gène détermine plusieurs caractères phénotypiques.

Le théorème de Gabor

“Tout ce qui est techniquement faisable, possible, sera fait un jour, tôt ou tard”

Dennis Gabor.

En l’occurrence il s’agit de modifier ou de réécrire ce qui est à l’origine de la vie, probablement de l’évolution, c’est pourquoi les interrogations ou les craintes à propos de la thérapie génique sont nombreuses. Il faut être franc toutes les interrogations ne trouveront pas de réponse avant les essais cliniques et un suivi de longue durée. Par exemple les conséquences sur d’autres fonctions géniques, sur la descendance puisqu’il s’agit, dans le cas des jeunes filles chinoises, des cellules germinales (cellules qui par fusion avec l’autre sexe permettent la procréation, à la différence des cellules somatiques c’est à dire celles des organes. Ces dernières ont des fonctions spécialisées dans le développement et la vie de l’individu) ou bien encore les conséquences sociétales ou économiques. Nous sommes donc condamnés à naviguer prudemment sans être paralysés par le risque. Toutes choses étant inégales par ailleurs ce fut le chemin de toutes les innovations en médecine, il suffit de penser à Jenner, à Pasteur, à Fleming ou aux pionniers de la chirurgie. C’est pourquoi l’annonce de la suppression du gène CCR5 pour rendre résistants des ovocytes humains au VIH, mais aussi à la variole et au choléra a fait grand bruit . D’une manière générale il y a une large réprobation dans la communauté scientifique car cette thérapie génique s’adresse aux cellules germinales; on notera pourtant la voix dissonante de George Church. "Cet événement pourrait être analogue à Louise Brown en 1978", a écrit George Church, généticien à Harvard (Louise Brown est connue pour avoir été la première personne au monde née d’une fertilisation in vitro, elle est née le 25 juillet 1978). Un autre généticien envisage le rapport bénéfice/risque: "Bien que je mesure la menace mondiale posée par le VIH, à ce stade, les risques liés à l'édition d'embryons pour éliminer le CCR5 semblent l'emporter sur les avantages potentiels", a écrit Feng Zhang, un pionnier de CRISPR au MIT. Zhang a noté, aussi, que l'inactivation du gène CCR5 "rendra probablement la personne beaucoup plus susceptible au virus du Nil occidental" . Si la suppression du gène CCR5 est vérifiée et pérenne dans le temps, les enfants de ces deux fillettes devraient porter sur le chromosome de leur mère la modification. Ce serait alors une modification définitive du pool génétique de la population humaine à l’initiative de l’homme. La revue Cell nous apprend le 21 février que cette suppression a probablement une autre conséquence: celle d’améliorer la mémoire et probablement certaines fonctions cognitives. Voilà justement la réalité de la vie de deux fillettes jumelles au centre du débat éthique. Le passage à l’acte des chercheurs chinois est il contraire à l’éthique ou bien simplement la vérification du théorème de Gabor?

La fulgurante irruption de CRISPR dans la thérapie génique

Corriger le fonctionnement de la double hélice ou la réécrire?

La thérapie génique est une technique expérimentale utilisant les gènes pour traiter ou prévenir une maladie. Ce n’est pas simple même si cela peut être compris comme tel. En effet sans schématiser on peut dire que l’organisme au cours de l’évolution a perfectionné son génome et qu’il y a souvent plusieurs gènes pour une même fonction et à l’inverse plusieurs fonctions pour un gène. C’est exactement le contraire de ce que l’on imagine de manière par trop mécaniste. De nombreuses techniques permettent de modifier l’anomalie génétique à l’origine de la maladie. Il est possible de modifier, diminuer voire d’annuler l’expression d’un gène sans modifier le capital génétique de l’individu, par exemple à l’aide d’un court brin d’acide nucléique qui bloque sa lecture.  À l’inverse on peut augmenter l’activité d’un gène qui vient suppléer le gène déficient. Ensuite on peut modifier le capital génétique en utilisant  un vecteur qui va insérer un gène dans le génome de cellules de différents tissus. Ce vecteur est le plus souvent un virus. Récemment il est devenu possible de réécrire le code génétique, grâce à la découverte (ce n’est pas une invention) de CRISPR-Cas9 le système de suppression ou de remplacement d’un gène par un autre, sur l’ADN à un endroit précis.

La technique CRISPR outil de grandes disruptions

La découverte d'un très ancien outil du système immunitaire des bactéries a permis aux chercheurs de développer le plus puissant outil d'édition de gènes à ce jour CRISPR/Cas9. Tout ceci en quelques années puisque la première caractérisation date de 1993. La possibilité de modifier le génome avec une précision chirurgicale n'a jamais été aussi facile et la possibilité de guérir une maladie génétique n'a jamais été aussi proche. Cependant, le rythme accéléré auquel les technologies CRISPR/Cas9 ont évolué nécessite des procédures d’évaluation de risques inédits.L’histoire fantastique du patient Berlin et du gène CCR5

Timothy Ray Brown est le patient Berlin . En 1995 il contracte le VIH et commence un traitement par zidovudine et ensuite par des inhibiteurs des protéases. Il mène une vie normale jusqu’en 2005. Après une intense fatigue, on découvre une profonde anémie et malheureusement la cause est une leucémie aiguë myéloïde. La chimiothérapie se complique et son médecin envisage une greffe de moëlle. Il se trouve qu'il a de nombreux donneurs compatibles. De ce fait son médecin a l’idée de rechercher un donneur porteur d’une mutation appelée CCR5 Delta 32 sur les cellules CD4, ce qui les rend immunes au VIH . CCR5 est une protéine à la surface de la cellule CD4 qui agit comme une porte d'entrée du virus VIH dans la cellule. Cette entrée supprimée, les cellules CD4 ne sont pas infectées. Il refuse dans un premier temps la greffe car sa leucémie est en rémission mais fin 2006 la leucémie récidive et il est greffé en février 2007 puis une deuxième fois avec le même donneur qui porte cette mutation du gène CCR5. Timothy stoppe son traitement antiviral en accord avec son médecin pour vérifier l’efficacité de la procédure; les examens démontrent qu’il n’est plus porteur du VIH.  Ces derniers jours il a été rapporté qu’un autre patient porteur du VIH a bénéficié d’une greffe de moëlle d’un donneur CCR5(-) et serait guéri du VIH.

Le gène CCR5 Delta 32 et les capacités cognitives

CCR5 est une protéine qui joue un rôle important de récepteur pour des messagers dans les réponses inflammatoires. Il a aussi d’autres fonctions.

L'enjeu de l'intelligence

Les capacités cognitives sont le moteur de la survie mais aussi de la santé et de la richesse à la fois sur le plan individuel et collectif, dans une entreprise, une nation. Les recherches récentes ont bien démontré qu’il y a un puzzle très complexe de gènes qui ont un rôle déterminant dans l’intelligence générale. L’héritabilité de l’intelligence varie de 0,4 à 0,8 ce qui signifie que la génétique joue un rôle très important dans les capacités cognitives. Ces faits scientifiques sont très bien décrits dans les travaux de Robert Plomin. Dès lors, ces faits n’étant pas ignorés les généticiens, les modifications du gène CCR5 prennent une autre dimension.

Le cerveau

Des recherches récentes indiquent que CCR5 Δ32 (le gène muté qui ne produit pas de protéine fonctionnelle) améliore la cognition et la mémoire. Déjà en 2016 , des chercheurs ont montré que la suppression du gène CCR5 chez la souris améliorait considérablement leur mémoire. A l’inverse, CCR5 (le gène non muté) est un puissant suppresseur de la plasticité neuronale, de l’apprentissage et de la mémoire; une suractivation de CCR5 pourrait ainsi expliquer les déficits cognitifs des patients porteurs du VIH. Par ailleurs, la suppression de CCR5 dans une zone cérébrale donnée en particulier l'hippocampe adulte ou le cortex somato-sensoriel, entraîne une amélioration de l'apprentissage et de la mémoire ainsi qu'une plasticité dépendant de l'expérience, démontrant que les effets de la suppression du gène CCR5 ne surviennent pas pendant le développement. Étant donné ces faits, le CCR5 constitue une nouvelle cible pour l’amélioration cognitive et le développement de traitements pour les déficits cognitifs.

Le cancer

L'expression de CCR5 est induite dans les cellules épithéliales du sein et de la prostate lors de la transformation cancéreuse. L'induction de l'expression de CCR5 favorise la malignité: invasion cellulaire, migration et métastases. Il a été démontré que les inhibiteurs de CCR5 bloquaient les métastases pulmonaires des lignées cellulaires de cancer du sein chez l’homme. Dans des études expérimentales chez la souris, les inhibiteurs de CCR5 ont bloqué les métastases osseuses et cérébrales. 

D'où vient le gène CCR5 delta 32?

L'allèle CCR5 Δ32 est récent (entre 700 et 2000 ans), il semble issu d’une seule mutation et a été soumis à une forte pression de sélection positive. Ce qui signifie que les individus qui le portaient dans la niche où il est apparu avaient de meilleures chances de survie.

En Europe, la fréquence des allèles CCR5 delta 32 la plus élevée a été enregistrée dans les pays nordiques et la fréquence des allèles la plus faible dans le sud de l'Europe. Étant donné que les Vikings ont historiquement occupé ces pays, il est possible que l'allèle se soit répandu dans toute l'Europe en raison de la dispersion des Vikings du 8ème au 10ème siècle. Le VIH-1 a été initialement transmis par les chimpanzés (Pan troglodytes) à l'homme au début des années 1900 dans le sud-est du Cameroun, par exposition à du sang et à des fluides corporels infectés lors de la découpe de viande de brousse. Ce n’est donc pas lui qui est responsable de cette pression sélective positive.  Par conséquent, d'autres agents pathogènes ont été suggérés en tant qu'agents de sélection positive pour CCR5 Δ32, notamment la peste bubonique (Yersinia pestis) mais surtout la variole (Variola major).

Nous avons campé brièvement le paysage mondialisé de la thérapie génique à travers quelques évènements saillants et récents. Ce puzzle est complexe car chaque mois, chaque semaine une pièce est ajoutée. Dans ce contexte où les recherches et les résultats s’accélèrent il est particulièrement difficile d’évaluer les risques tout en restant compétitif dans la course de la thérapie génique qui représente le traitement longtemps espéré pour des milliers de maladies génétiques. Nous envisagerons ce défi dans un prochain article.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !