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Hijab de Decathlon : petits éléments pour départager ce qui relève de l’hystérie et ce qui relève de la réaction légitime
©KHALED DESOUKI / AFP

Sport national

Si le débat et les arguments déployés sont légitimes, la polémique relève de l'hystérie.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Depuis 1989, la polémique sur le voile est récurrente en France. L'épisode Décathlon n'est sans doute pas le dernier du genre. On retrouve à chaque fois les mêmes arguments, bons ou mauvais. Abstraction faite des extrêmes des deux camps (les islamistes vs les nationalistes identitaires), se font face deux argumentations légitimes et de bon niveau. 
L'argumentation pro-voile se fonde sur le principe de la liberté individuelle, laquelle consiste à "pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" L'argument du féminisme universaliste illibéral, qui dénonce l'aliénation ou les pressions dont sont victimes les femmes voilées n'est à cet égard pas recevable : le droit libéral (qui est aussi celui de la laïcité) exige le respect des choix formellement libres, quand bien même on jugerait ceux-ci aliénés ou aliénants en eux-mêmes, à la condition bien sûr qu'ils n'enfreignent pas la loi ni ne nuisent à autrui. Il faut être de pure mauvaise foi ou totalement imbécile pour considérer le port du voile islamique comme relevant d'une liberté vestimentaire insignifiante; il n'en demeure pas moins qu'exhiber une conviction religieuse ou politique illibérale est une liberté fondamentale au sein d'un Etat démocratique et libéral. 
Cette argumentation libérale est juste sur le plan des principes juridiques et tout à fait estimable sur le plan moral, dans la mesure où elle plaide pour la tolérance envers des concitoyens dont on ne partage pas les convictions. Si elle ne me convainc pas, ou pas totalement, c'est qu'elle me paraît enfermée dans un ethnocentrisme occidental (le prisme de l'individualisme libéral) qui conduit à une forme d'aveuglement politique. Un minimum d'information historique suffit en effet pour comprendre que le voile ne tombe pas du ciel, n'émane pas d'une volonté divine explicite et atemporelle mais constitue l'un des instruments du projet islamiste de "réislamisation" des musulmans. Les libéraux musulmans, ou de culture musulmane, ne s'y trompent d'ailleurs pas, qui savent fort bien que le progrès du voile se confond avec celui de l'islamisme, une idéologie politico-religieuse pour laquelle l'appartenance à l'islam est une identité complète et exclusive, pour laquelle tout musulman est d'abord et toujours musulman, du matin jusqu'au soir, dans chacune de ses activités, y compris donc quand il fait du sport, pour laquelle le musulman qui s'affranchit des pratiques extérieures auxquelles l'islamiste l'identifie est un mauvais musulman. La nature intrinsèque de l'islamisme ne peut être ignorée : né il y a près d'un siècle du combat contre l'occident, il en nie explicitement les valeurs. Minoritaire ou dans l'opposition, il défend la liberté et la démocratie, afin de pouvoir mieux les annihiler une fois arrivé au pouvoir. Il n'y a pas, dans la logique de l'islamisme, de distinction des ordres ni de limites aux prétentions de la religion : la conquête sociale ou culturelle est le préalable de la conquête politique. L'histoire, jusqu'à présent, a donné tort à ceux qui estimaient possible la transformation de cette idéologie intrinsèquement totalitaire en une pensée conservatrice modérée telle qu'il en existe dans les démocraties occidentales. 
Connaître l'ennemi ne doit évidemment pas conduire à en surestimer l'importance. Une minorité ne met pas la République en danger et on est même en droit d'espérer que l'islamisme sera à terme vaincu par l'individualisme libéral au sein du monde musulman. En attendant, il faut être d'une niaiserie insensée pour considérer le port du "Hijab de running" comme un moyen d'émanciper les femmes par le sport ! Le sport en tenue islamiquement correcte ne fait pas davantage progresser la cause de la liberté dans la population musulmane que les jeux olympiques de Berlin n'annonçaient, en 1936, le règne de la paix universelle. 
Le défi pour nous est de concilier la fidélité à nos principes (le respect de la liberté) et la lutte, pas seulement en France, contre cet ennemi de la liberté qu'est l'islamisme. Pour cela, il importe bien entendu de ne pas diaboliser les femmes voilées ni de leur faire porter tout le poids du projet islamiste. A l'échelle de l'individu, les raisons de porter le voile sont diverses, souvent superficielles. Elles n'ont d'ailleurs pas à être jugées. Qu'elle soit aliénée ou souveraine, la femme voilée peut et doit être envisagée à la fois comme un agent conscient ou inconscient de la propagation de l'islamisme et comme l'ayant droit à une liberté inviolable d'exprimer son identité et ses convictions. Dans l'affaire Décathlon, ce n'est pas la demande de "hijab de course" qui fait problème : celle-ci est l'expression d'un choix individuel qui doit être en tant que tel respecté. L'offre en revanche peut être légitimement interprétée comme une trahison morale, dans la mesure où il s'agit d'une entreprise française qui, dans le cadre d'une démarche purement mercantile en elle-même indifférente aux valeurs, contribue de fait à promouvoir une norme islamiste (pas seulement en France, la commercialisation du "Hijab de running" étant, si elle doit l'être, tout aussi condamnable, à mes yeux même davantage, au Maroc qu'en France). On peut bien entendu avancer l'argument de la liberté du commerce, de sa nécessaire indépendance à l'égard des critères de la morale et de la politique. Pourquoi, après tout, serait-il plus condamnable de vendre des hijabs de courses au Maroc que des armes à l'Arabie Saoudite ? 
Si, en revanche, on estime qu'il existe une responsabilité morale, sociale ou politique des entreprises, l'acte de commercialiser ces hijabs ne peut être ni justifié, ni considéré comme neutre : il s'agit bien d'une intervention dans l'espace public qui favorise l'islamisme et dessert la cause de la liberté, non seulement en France mais partout dans le monde où vivent des musulmans. La réaction de l'opinion publique française est donc globalement compréhensible et saine. C'est la polémique qui, de part et d'autre, confine parfois à l'hystérie, pas la critique de Décathlon et de son hijab en tant que telle.

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