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Petit bras de fer Juppé / Macron sur les finances publiques : qui des collectivités locales ou de l’Etat s’est le plus mal comporté ces dernières années ?
©Caroline BLUMBERG / POOL / AFP

L’œuf ou la poule ?

Lors du grand débat qui s'est tenu vendredi 1er mars à Bordeaux, le désormais ancien maire de la ville a interpellé le Président sur la situation précaire des collectivités locales. Mais selon le Président, le mal ne viendrait pas de l'Etat, mais des collectivités elles-mêmes.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Alain Juppé et Emmanuel Macron étaient réunis ce 1er mars, dans le cadre du Grand Débat National. A cette occasion, les deux hommes ont échangé sur la question des dotations. Alain Juppé a ainsi déclaré : "La part des dotations reçues de l’Etat est passée en moins de dix ans de 39 % à 17 %, c’est un séisme budgétaire (...) Nous nous y sommes adaptés, un certain nombre d’entre nous ont contractualisé comme vous nous l’avez proposé. A une condition : que la règle du jeu soit respectée par tout le monde, et qu’on ne continue pas à nous transférer des responsabilités et des charges, sans nous transférer les recettes qui vont avec, et ce n’est pas toujours le cas il faut le dire. »", ce à quoi Emmanuel Macron a répondu : " Durant plusieurs années il a fallu baisser les dotations, reconnaît-il, en 2010, puis sur la période 2013-2017. Sur cette dernière période, les dotations ont baissé pour les collectivités de près de 12 milliards d’euros, mais en parallèle, il y a eu 18 milliards d’euros d’augmentation de fiscalité, toutes collectivités confondues. Et cela a plutôt favorisé les grosses collectivités, celles qui avaient la possibilité d’augmenter les impôts pour compenser la baisse." Entre ces deux visions, comment faire la part des choses ? 

Jean-Luc Boeuf : Comptablement tout d'abord, les chiffres évoqués par l'ancien maire de Bordeaux ne sont pas exacts. Au niveau macro, les dotations de l'Etat n'ont pas été divisées par deux. Il convient de savoir de quoi l'on parle : s'agit il uniquement de la dotation globale de fonctionnement  - DGF - ou dr toutes les dotations ? A quelle collectivité on l'applique-t-on : ville ou intercommunalité ? Prend-on en compte le fait que, lorsqu'une collectivité prend son essor (en l'occurrence la métropole), il n'est pas illogique que la collectivité de base (la commune) voit son champ se rétracter. Et sur combien d'années : uniquement le quinquennat 2002-17 ou bien depuis 2014 ? Les propos du  chef de l'Etat présentent une partie seulement de la corbeille de la mariée, en évoquant "la" fiscalité, mais en se gardant bien de préciser ce que cela comporte : ne s'agit-il que de la fiscalité directe ? Ou bien de la fiscalité directe et indirecte ? Cela comprend-il les compensations fiscales de l'Etat qu'il décide lui-même, rappelons le ! Les montants évoqués par le président de la République prennent en compte les recettes que l'État octroie aux collectivités pour s'occuper à sa place d'actions dont il ne veut plus : transport ferroviaire notamment, cartes d'identité, mineurs non accompagnés...

Comment évaluer les parts de responsabilité dans la problématique rencontrée, entre une baisse rapide des dotations accompagnée d'un transfert de prérogatives de la part de l'Etat d'une part, et les différences façons dont les collectivités s'y sont adaptées, d'autre part ? 

Les collectivités locales ont découvert ou plus exactement ont mis en place les règles de l'économie de marché... sous le quinquennat de François Hollande (2012-2017). En effet,  la principale dotation des collectivités locales, la dotation globale de fonctionnement ou DGF, a connu une forte baisse, passant de 40 à 30 milliards d'euros par an. Cela a concerné tous les niveaux de collectivités locales (communes, intercommunalités, départements et régions) sauf les communes nouvelles (CN) et, pour la derniere année du quinquennat seulement, les communes. De ce fait, le monde local a du s'adapter en inversant le mécanisme : au lieu s'adapter les recettes aux dépenses et en augmentant la fiscalité et l'emprunt, les collectivités ont maîtrisé leurs dépenses dont, au premier rang desquelles les dépenses de personnel. Le résultat a été spectaculaire : En 2016 et 2017, pour la premiere fois de leur histoire, les dépenses du bloc local ont baissé. Cela mérite d'être salué car cela infirme l'idée selon laquelle les collectivités ne font que dépenser. 

Quelle serait la marche à suivre, eu égard à la situation actuelle, pour rétablir un équilibre satisfaisant ? 

On pourrait plaquer aux relations entre l'Etat et les collectivités locales la phrase qu'André Fontaine appliquait aux relations entre l'Union Soviétique et les États Unis selon laquelle ils dorment dans le même lit mais ne font pas les mêmes rêves. Dit autrement, l'Etat veut contrôler les collectivités depuis que l'Etat est en construction.Et puis, quelques petits rappels historiques permettent de remettre les choses en place. Tout d'abord, la principale des dotations aux collectivités a été créée en 1979. Les collectivités votent l'impôt depuis 1980, une année où la formation politique de l'ancien maire de Bordeaux avait voté... contre le budget de la majorité parlementaire à laquelle elle appartenait. Cette même dotation globale de fonctionnement a été réformée en 1986-88, dans un sens restreignant le pouvoir des collectivités, et alors que le ministre du budget s'appelait Alain Juppé. Cette toujours même dotation globale de fonctionnement a été refondue en 1994, sous le gouvernement d'Edouard Balladur dont l'un des piliers était ministre des affaires étrangères, quelques mois avant de devenir maire de Bordeaux. Pour prendre en compte le poids grandissant de l'intercommunalité. Quant au président de la République, il a souhaité que les collectivités s'engagent dans la maîtrise  des dépenses, en limitant la hausse des dépenses de fonctionnement à 1,2% par an. Certes. Mais il ne faut pas oublier que les collectivités concernées représentent  80% des budgets locaux. Seules les deux tiers ont signé. Et celles qui ont signé font des pieds et des mains pour retirer de l'assiette éligible... les depenses faites pour le compte de l'Etat. La boucle est bouclée : l'Etat demande de respecter une consigne tout en sachant qu'elle ne peut être respectée à la seule condition .... de ne pas prendre en compte les dépenses que le même État impose aux collectivités... en résumé, plus bel l'avis... de réforme de la fiscalité locale. Pour rétablir l'équilibre, l'Etat devrait arrêter de considérer les collectivités comme ses supplétifs. Et les collectivités doivent accepter qu'une réforme des finances locales qui concerne 60.000 acteurs locaux ne peut pas faire que des gagnants, dans le contexte de raréfaction  de l'argent public.

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