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Petit manuel d’opposition conservatrice adressé à Laurent Wauquiez ou à tout autre aspirant, à droite, à prendre la place de Macron
©ERIC FEFERBERG / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 24 février 2019

Mon cher ami, 

Shadow Cabinet - Gouvernement décalqué

Je trouve la situation française particulièrement fascinante sur un point. Votre président est contesté comme aucun de ses prédécesseurs, par la population, après moins de deux ans passés au pouvoir. Or l’opposition n’en profite aucunement. Ou plutôt, il n’y a que des bouts d’opposition. 

Je commencerai par ce qui chez nous s’appelle « Her Majesty’s Most Loyal Opposition».  Le système anglais est fondé sur l’idée selon laquelle il doit exister, pour que le parlementarisme soit efficace, un grand parti d’opposition. Le système de scrutin uninominal à un tour contribue largement à cette bipolarisation utile. Et le deuxième parti, par le résultat, est qualifié « d’opposition officielle ». Vous savez que nous poussons même le système très loin puisque cette opposition crée un gouvernement de substitution, appelé « shadow cabinet», que vous traduisez mal, si je puis me permettre, puisque vous parlez de « fantôme », alors que l’idée est plutôt d’un «miroir», d’un décalque : siégeant au premier rang dans les séances parlementaires, du côté de l’opposition, il s’agit d’un véritable « gouvernement-miroir », d’hommes et de femmes qui collent aux ministres en exercice comme leur ombre. Le Shadow Cabinet doit prouver à l’opinion que s’il y avait un changement de majorité, l’opposition serait prête à gouverner. Après l’élection présidentielle de 1965, François Mitterrand avait créé un « contre-gouvernement ». On peut penser que celui mis en place par le Front National en 1998 a contribué à crédibiliser le parti et propulser Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002. Personne n’avait fait attention à la nomination de Jean-Marc Ayrault comme chef d’un contre-gouvernement socialiste en 2007; et, de fait, il fut le premier des Premier ministres de François Hollande.  Vos partis connaissent donc un peu cette tradition mais votre système politique n’en a pas récupéré la dimension « officielle »: le Shadow Cabinet  est un contre-gouvernement décalqué sur le gouvernement en place, dont les contre-ministres interrogent systématiquement le ministre au portefeuille duquel ils correspondent. 

Dans l’actuelle configuration politique de la France, le premier parti d’opposition, ce sont Les Républicains. C’est ce parti qui est donc apte à proposer un tel « Gouvernement Décalqué ». Et c’est bien ce que Laurent Wauquiez a entrepris de faire au mois de novembre dernier. Il a nommé son contre-gouvernement, dont les contre-ministres sont connus et souvent de grande qualité, plus compétents que leurs homologues du gouvernement, pour autant que je puisse suivre dans le détail la vie politique française. Eh bien ! Comment expliquer, alors que Les Républicains se voient promettre par les sondeurs un très médiocre score aux prochaines élections européennes? Comment comprendre que le débat public français tout au long de la crise des Gilets Jaunes, depuis bientôt quatre mois, conduisent essentiellement à l’affrontement de La République en Marche et du Rassemblement National? 


Quand Les Républicains oublient d’être l’opposition. 

Tout simplement parce que le président des Républicains, Laurent Wauquiez, et tous les cadres de son parti avec lui, refusent d’assumer le rôle de « l’Opposition Officielle ». Prenons le cas d’Eric Ciotti, contre-ministre de l’Intérieur: l’avez-vous entendu développer une argumentation solide contre la politique répressive de votre gouvernement? Christophe Castaner est une cible pourtant assez évidente pour l’opposition. Mais celui qui devrait être son premier opposant est resté discret et a fini, il y a quelques jours par déclarer qu’il fallait que les manifestations cessent. C’est-à-dire qu’il ne s’en prend pas à ceux qui sont les premiers responsables du désordre par la brutalité des ordres donnés à la police et à la gendarmerie: le président, le gouvernement et la majorité parlementaire. Prenons un autre exemple: le traité d’Aix-La-Chapelle; que l’on soit de la tradition gaulliste ou du courant historiquement giscardien, il y a mille raisons de critiquer ce traité, vague et impuissant à souhait. Comme au sein du Parti Tory, vous trouvez chez Les Républicains, des eurosceptiques et des fédéralistes européens; il aurait été assez astucieux de la part de Laurent Wauquiez, de faire monter au créneau les uns pour rappeler le caractère sacré de l’héritage gaullien et critiquer le soutien à une candidature allemande au rang de membre permanent du Conseil de Sécurité, les autres pour fustiger l’inefficacité d’Emmanuel Macron dans la négociation avec l’Allemagne depuis deux ans: il n’a rien obtenu de ce qu’il demandait à Madame Merkel, à commencer par une plus forte fédéralisation de l’euro. Pour autant, on n’a entendu sur tous ces sujets aucun des membres de l’actuel contre-gouvernement des Républicains. Autre exemple, la politique en faveur de la préservation de l’environnement: la crise des Gilets Jaunes offrait une occasion unique de montrer l’inefficacité d’une écologie définie top down, sans rapport avec la réalité du terrain et la capacité des acteurs locaux de s’engager dans un développement écologiquement responsable. Martial Saddier, contre-ministre en charge de l’écologie et du développement durable, largement inconnu du public mais bien enraciné localement, en Haute-Savoie, avait l’occasion de tailler des croupières au gouvernement, en montrant qu’il est possible d’imaginer une politique écologique sans augmenter les impôts - et même de faire de l’incitation fiscale aux individus et aux entreprises une arme de transformation des pratiques. Eh bien, rien de tel ne s’est produit. Je pourrais multiplier les exemples, mon cher ami. J’arriverais toujours au même constat. Sauf peut-être pour le secteur de l’éducation ou votre actuel ministre, Jean-Michel Blanquer, a trouvé un efficace et redoutable adversaire en la personne de Patrick Hetzel, député de Saverne et contre-ministre de l’Education.

Le rituel parlementaire n’est pas qu’un formalisme

Il faut se demander d’où vient cette incapacité de la première force de l’opposition à assumer son rôle. Certains incrimineront la faible personnalité du président du parti, Laurent Wauquiez, qui confond fermeté politique et propos outranciers. Mais ce serait personnaliser inutilement un problème beaucoup plus profond. Les Républicains sont les héritiers d’une longue dérive qui a commencé lorsque Jacques Chirac appela à voter Giscard contre Chaban-Delmas puis fit dériver, lentement le parti gaulliste vers des positions centristes. Le rêve de Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il était président, était de rassembler une grande force centrale, sociologiquement et politiquement parlant. Le macronisme est-il autre chose que l’aboutissement tardif de ce rêve? C’est justement ce qui paralyse Les Républicains. Prisonniers de la dérive vers le centre, ils ne savent pas comment se dépétrer du macronisme qui ressemble comme un frère au juppéisme. Entendons-nous bien, ce n’est pas seulement le fait d’avoir une vision centriste qui est en cause; c’est le fait de refuser d’assumer que même dans un système où règne une proximité des élites il doit y avoir une différence entre un parti de droite et un parti de gauche. C’est vital pour la démocratie. 

Voilà quelque chose d’absolument essentiel, mon cher ami, que la classe politique britannique ou américaine possède bien mieux que la vôtre. La démocratie n’est pas seulement une question de contenu. Il y a toute une part de formalisme à respecter, qu’il s’agisse de la démocratie directe ou de la démocratie représentative. Cela remonte aux origines religieuses, sacrificielles, de tous les régimes politiques, dont la première mission est de canaliser la violence sociale, pour empêcher qu’elle dégénère en guerre civile. Dans plusieurs des pays qui ont été influencés par notre Parlement, vous remarquerez la disposition particulière qui veut que les parlementaires de la majorité et de l’opposition soient les uns en face des autres. C’est une façon de rappeler que la vie publique est toujours faite d’affrontements mais ils sont canalisés, formalisés, encadrés par l’état de droit. L’un ne va pas sans l’autre. Mais il est essentiel de comprendre que la vie parlementaire s’effondre sans cet affrontement ritualisé et réel à la fois. 

Cet affrontement ne se déroule pas arbitrairement, ni dans l’abstrait. Premièrement, il y a une action réelle du gouvernement et c’est le devoir de l’opposition de la scruter et de la critiquer, en toute objectivité. Deuxièmement, l’action du gouvernement comme les critiques formulées par l’opposition s’enracinent dans la réalité d’une nation démocratique, dont il s’agit de défendre les intérêts, avant toute chose. La crise des Gilets Jaunes a moins fait ressortir une crise de la démocratie en tant que telle qu’une crise née de l’incapacité de l’opposition à se déployer comme opposition. Quand bien même la majorité des députés et des cadres issus des Républicains seraient du « parti de l’ordre », il est essentiel, pour mettre fin à la crise politique, qu’ils critiquent le gouvernement: pour son incapacité à mettre fin au mouvement; pour la brutalité dans le maintien de l’ordre; pour les hausses d’impôts; pour l’incapacité à tenir nos engagements européens tout comme à infléchir certains aspects de l’Union Européenne qui vont contre nos intérêts etc.... 

La droite française à la croisée des chemins

C’est parce qu’une telle critique n’est pas déployée que le Rassemblement National est aussi fort et joue le rôle de première opposition au gouvernement. Cependant, vous voyez bien ce qui empêche, là aussi, le Rassemblement National de fonctionner comme opposition complète au gouvernement: ce parti n’est jamais sorti, malgré ses gains électoraux considérables, d’une opposition frontale au système, renvoyant dos-à-dos le centre-droit et le centre-gauche. L’inconvénient d’une telle attitude, c’est qu’elle rend impossible l’entrée du Rassemblement National dans la construction d’une possible alternance au service de la démocratie. Votre pays est largement dans une impasse, parce que la Première opposition au Parlement ne joue pas son rôle et parce que la principale force politique alternative ne réussit pas à se couler dans le moule du système politique. 

Telle est, mon cher ami, la leçon que la droite française devrait tirer de la crise des Gilets Jaunes. Celle-ci est largement rendue possible, dans sa durée, non seulement par l’inepte politique économique de votre gouvernement mais aussi parce que deux forces politiques théoriquement complémentaires, Les Républicains et le Rassemblement National, sont incapables de rassembler une partie significative de l’électorat opposé à la politique d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Parti comme c’est, votre pays s’installe durablement dans une crise politique où une animosité impuissante habitera la France des métropoles envers une France périphérique s’obstinant à manifester sans pouvoir compter sur des relais efficaces pour être représentée au pouvoir. Il est donc encore temps, aussi bien pour Les Républicains que pour le Rassemblement National de changer de méthode - voire de converger les uns vers les autres. 

Bien fidèlement

Benjamin Disraëli

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