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Pourquoi le libéral-progressisme macronien n’est en fait ni l’un ni l’autre
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Politique économique

Son socle idéologique, social-libéral, aurait fait merveille il y a trente ans, alors qu’il se révèle aujourd’hui impuissant.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors qu’Emmanuel Macron et le gouvernement se revendiquent du libéralisme, comme le disait le Président dès 2015 : « J’assume qu’il y ait un libéralisme », comment peut-on,près deux années de présidence, évaluer cette revendication à la réalité d’un point de vue économique ?

Michel Ruimy : Bien qu’ils soient sincères, l’exécutif et la majorité continent de penser que les Français demandent des réformes, qu’ils sont impatients, et donc que le programme du président va finir par satisfaire cette attente. Ils pensent vraiment que la libération des énergies va leur permettre d’aider les plus faibles Il semble qu’ils aient du mal à comprendre que les Français ont désormais vu le président à l’œuvre, qu’ils ont compris quelle était la teneur de son programme et que les réformes qu’il propose et qu’il s’efforce de mettre en œuvre, ils n’en veulent pas !

En d’autres termes, si les Français sont divisés sur les politiques à mener, ils sont, en revanche, d’accord sur celles dont ils ne veulent pas. C’est là, le long de cet accord populaire, que se dessine la ligne de fracture de la politique macronienne. Les Français conspuent, à la fois, la pratique présidentielle et le contenu des réformes et disqualifient, à la fois, la forme et le fond. Le libéral-progressisme macronien n’est, en fait, ni l’un, ni l’autre.

Son socle idéologique, social-libéral, aurait fait merveille il y a trente ans, alors qu’il se révèle aujourd’hui impuissant. Il avait, en effet, appelé à bâtir un « socle social européen » dès son discours de la Sorbonne, en septembre 2017, plaidant, par exemple, pour la convergence des salaires minimum et des cotisations mais aussi pour une réforme - limitée - de la directive sur les travailleurs détachés. Mais la tonalité de sa politique économique, avec des mesures qui profitent surtout, jusqu’à présent, aux « riches » laisse songeur sur ce désir soudain de combattre les dérives néolibérales de la construction européenne.

En outre, alors qu’il s’est fait élire sur un programme libéral, Emmanuel Macron, dix-huit mois après son accession à la présidence de la République, reste prisonnier des dogmes étatistes et de la place de l’Etat au sein de l’économie, comme Nicolas Sarkozy en son temps.

Au final, il ne s’agit pas d’une impatience de la part des Français. Il s’agit d’un rejet. Aucun président et aucun gouvernement n’ont été, dans l’histoire de la Vème République, aussi aveugles à la réalité politique qui se dessine sous leurs yeux, aussi sourds aux revendications populaires.

En appliquant des mesures ayant pour objet de « flexibiliser » le marché du travail, ou en incitant fiscalement les « plus riches » à investir, et ce, dans un contexte macroéconomique dégradé, le président ne participe-t-il pas à renforcer les plus gros acteurs plutôt qu’à un véritable libéralisme ? D’autres exemples peuvent-ils être soulignés, dans cette politique, pour faire la distinction entre un capitalisme de rente et le libéralisme ?

Concrètement, le libéralisme macronien est, à ce jour, au service de l’intérêt de quelques-uns plus que favorable à l’intérêt général. Même l’entourage d’Emmanuel Macron s’en inquiète et a même laissé percer son inquiétude il y a quelques mois, bien avant les « gilets jaunes » : François Bayrou lui avait demandé de redevenir « un président juste » tandis que la présidente de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée, Brigitte Bourguignon (LREM), l’avait invité à « faire plus pour ceux qui ont moins ».

Depuis qu’il a mis en œuvre ses réformes, le chef de l’Etat n’a pas complètement délaissé les classes moyennes et les ménages modestes. Il a fait passer le minimum vieillesse de 803 à 833 euros par mois, il a accordé à tous les salariés une baisse des cotisations sociales qui fait plus que compenser la hausse de la CSG, et a programmé la disparition progressive de la taxe d’habitation, sauf pour les résidences secondaires.

Mais, en comparaison des avantages offerts aux foyers les plus fortunés, ces « cadeaux » font maigre figure. Prenons les deux mesures les plus emblématiques du budget 2018, la réduction de la taxe d’habitation et la transformation de l’ISF en Impôt sur la fortune immobilière. Les ordres de grandeur sont comparables (3 milliards d’euros par an pour la première, 3,2 milliards pour la seconde) mais pas le nombre de personnes concernée ! Alors que 17,7 millions de ménages se partageront les bénéfices de la baisse de la taxe d’habitation, ils seront à peine 330 000 à bénéficier les avantages de la réforme de l’ISF. Résultat, le gain annuel moyen sera d’environ 200 euros pour les premiers mais de plus de 9 000 euros pour les seconds. En outre, la création d’un prélèvement forfaitaire unique - taux uniforme de 30% - sur les revenus du capital est un système plus avantageux que les taxations précédentes. C’est à une véritable fête qu’Emmanuel Macron a convié les gros patrimoines. En 2018, le choix de la réduction de la fiscalité sur le capital a clairement primé sur le pouvoir d’achat. Selon l’OFCE, fin 2019, les 2% de Français les plus aisés devraient avoir capté à eux seuls 42% des gains générés par la politique macronienne !

Dans un pays où la fortune reste traditionnellement « diabolisée », ce genre d’équation passe mal. En France, il y a une inimitié des individus qui réussissent. Ce n’est pas le cas dans les autres pays. Il est vrai que la proportion d’héritiers parmi les possédants est bien plus importante en France qu’aux Etats-Unis ou qu’au Royaume-Uni et celle des « self made men » nettement plus faible.

En réalité, la politique d’Emmanuel Macron - baisse de l’impôt sur les sociétés, réforme du marché du travail, remise à plat de la formation professionnelle… - fait partie d’un jeu beaucoup plus large visant à provoquer un choc de confiance dans le pays et à doper son attractivité en libérant ses énergies. Il s’agit clairement d’augmenter le taux d’emploi. Le chef de l'État s’inscrit dans la logique blairiste, dont le but était d’attirer les plus riches, afin d’augmenter les recettes fiscales, pour ensuite financer des services aux plus pauvres. Après avoir fait avaler des couleuvres aux Français, il distribuera les cadeaux, juste avant l’élection ! Un pari très risqué, car, en cas de faux pas, il y a peu de chances que les Français lui pardonnent dans les urnes…

Dans quelle mesure le discours relatif à la formation perçue comme l’outil le plus efficace à la lutte contre le chômage peut-il également se heurter à la réalité du libéralisme, aussi bien du point de vue macroéconomique, du point de vue de la responsabilité présumée de ceux qui se trouvent exclues de l’emploi, que du point de vue d’une capacité présumée de tous à accéder aux plus hautes formations ?

Il y a environ 6 mois, le projet de loi avenir professionnel, qui réforme la formation, l’apprentissage et l’assurance-chômage, a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale réunie en session extraordinaire. L’objectif de l’exécutif est connu : mener un véritable « big bang » des systèmes de formation professionnelle et d’apprentissage en vue de favoriser la montée en qualification des individus, accroître leur employabilité et, à terme, faire baisser le chômage. Il ne faudra plus compter sur les subventions de tout genre des politiques de l’emploi, comme ce fut le cas avec les contrats aidés.

En outre, dans un monde en pleine mutation, avec un marché du travail qui évolue extrêmement vite, chacun doit pouvoir choisir de se former, être acteur de sa vie professionnelle et non plus la subir. Si la compétence est la meilleure des protections, le défi est toutefois extrêmement ambitieux.

Cependant, ces réformes structurelles, qui visent à impulser un changement de paradigme, n’auront pas d’effets immédiats et rien n’est encore gagné. D’une part, la réussite de ces réformes dépendra, en grande partie, de leur mise en œuvre opérationnelle, qui s’étalera sur plusieurs mois. D’autre part, le « big bang » tant attendu n’aura pas lieu si les acteurs ne s’en emparent pas. Comme il s’agit de transformations culturelles, c’est un pari. Il va falloir aller au-delà des décrets et continuer à marteler les messages.

Changer les mentalités et les habitudes n’est évidemment pas une mince affaire. Concrètement, pour encourager les individus à acquérir des compétences, le gouvernement mise sur la refonte du compte personnel de formation. Encore faut-il que les personnes se l’approprient, qu’elles l’utilisent et qu’elles choisissent des formations adaptées pour améliorer leur employabilité… Dans ce contexte, la capacité des entreprises à anticiper la transformation des métiers et les besoins en compétences s'annonce cruciale.

Sur l’apprentissage, l’exécutif s’est fixé le pari audacieux de faire décoller cette filière encore souvent perçue comme une voie de garage alors même qu’elle a fait ses preuves. Le gouvernement a ainsi procédé à une transformation radicale du système : l’apprentissage ne sera plus administré par les régions mais piloté par le monde professionnel, de façon plus souple, afin de coller davantage aux besoins des entreprises.

Reste à voir si les mentalités évolueront suffisamment chez les enfants, les parents, les entreprises et surtout à l’Éducation nationale, qui a pour habitude de privilégier les parcours scolaires traditionnels.

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