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Comment les smartphones sauvent de plus en plus de vies
©YOSHIKAZU TSUNO / AFP

Tech

Avec un smartphone et un capteur, il est aujourd'hui possible de réaliser des diagnostics médicaux (de l’hypertension au paludisme...) via des analyses de sang ou d’urine et aussi de suivre des pathologies chroniques.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

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Atlantico: Comment ces innovations peuvent-elles améliorer la prise en charge des pathologies ? Quels sont les enjeux économiques de ces innovations ?

Bernard Benhamou : Dans le domaine des technologies, le nom que l’on donne parfois à ces nouvelles générations d’objets médicaux connectés est le Tricorder, du nom de l'appareil mobile, qui, dans Star Trek, permet à Spock de faire des diagnostics à main levée. En 2014, la fondation X-Prize et la société Qualcomm, ont ainsi lancé un concours afin de concevoir un Tricorder connecté au smartphone qui permettrait de diagnostiquer des pathologies courantes. Actuellement, on utilise déjà des capteurs connectés au smartphone pour détecter le paludisme ou encore réaliser des analyses d'urine, des analyses sanguines, mais nous n’en sommes qu’au tout début. L'objectif,  au-delà du suivi de certaines pathologies, est de créer un outil de diagnostic universel pour des pathologies comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires et respiratoire afin de faire émerger un segment industriel liés au diagnostic mais aussi à la prévention et au suivi des pathologies.

En plus de pouvoir transmettre des données à distance, le smartphone est en effet doté de capacités de traitement et de mémoires considérables, c'est un « cerveau » qui est utilisé par plusieurs milliards de personnes (on parle parfois d'« exo-cerveau »). Auparavant, lorsqu’il s’agissait de créer un équipement médical, il fallait créer et assembler des capteurs,  un processeur un écran et une interface; ce qui représentait des couts très élevés ainsi qu’un temps d’apprentissage important. Dans un smartphone, il y a déjà des dizaines de capteurs dont les prix ne cessent de baisser, et si l'on doit y connecter un petit capteur supplémentaire, cela ne représente qu’un surcout marginal.

Ainsi,  beaucoup de diabétiques effectuent déjà le suivi de leur glycémie grâce au smartphone, mais à terme, l’intérêt des entreprises technologiques mais aussi des assurances consistera à couvrir l’ensemble des pathologies les plus fréquentes dans la population. Ces pathologies qui ont un impact massif en terme d'économie de la santé : pathologies cardio-vasculaires, asthme, maladie d'Alzheimer, voire même cancer… Du point de vue des GAFA, le marché du smartphone traditionnel atteint la saturation donc ces sociétés ont besoin de créer de nouveaux secteurs d’activités, celui de la santé connectée est l’un de leurs objectifs stratégiques prioritaires. Les GAFA sont donc les premiers intéressés par ces technologies, notamment Apple (on peut déjà réaliser un électrocardiogramme directement depuis l'Apple Watch), Google s'intéresse aussi à la gestion des dossiers médicaux. Cela représente un enjeu économique majeur pour les secteur des technologies ainsi que pour le secteur prudentiel (banques et assurances) qui  va s'orienter massivement vers ces technologies dans les toutes prochaines années afin d’effectuer des économies sur les soins.

Ces technologies peuvent-elles constituer une solution pour améliorer le fonctionnement des systèmes de santé et mettre fin aux déserts médicaux ?

Ces technologies de la santé connectée au smartphone permettront en effet un diagnostic précoce, donc un traitement précoce, voire des mesures personnalisées de prévention ; selon une étude de la société Goldman Sachs, ces technologies des objets connectés de santé permettraient d'économiser 300 milliards de dollars par an, soit 10% de l’ensemble des dépenses de santé aux États-Unis. La prévention, comme le notent tous les économistes, est le parent pauvre du système de santé actuel. Avec ces technologies des objets connectés de santés il deviendra possible de suivre minute par minute l'activité d'une personne, et donc d’anticiper à partir des premiers signes par exemple des problèmes cardio-circulatoires si par exemple une personne modifie son activité ou diminue son périmètre de marche.

On disposera d’outils nouveaux, de moins en moins chers et disponibles massivement, qui donneront la possibilité d'éviter que les pathologies ne se développent dans leurs stades les plus avancés. En effet, ce qui coûte le plus cher aux systèmes de santé, ce sont justement les personnes atteintes de plusieurs pathologies, notamment en fin de vie, avec des journée d'hospitalisation extrêmement coûteuses ou la nécessité de recourir à des thérapeutiques onéreuses comme la dialyse pour les insuffisants rénaux.

On parle souvent du télédiagnostic et de la téléconsultation, mais plus encore, je pense que les smartphones et les objets médicaux qui leur seront connectés vont devenir des outils, non seulement de diagnostic mais de suivi auprès du patient. Beaucoup de pays africains ont ainsi développé, en raison de contraintes économiques,, des technologies « frugales » qui permettent d’effectuer la détection de masse avec peu de moyens techniques (c’est le cas du paludisme que l’on peut détecter avec une goutte de sang posée sur une lentille connectée aux smartphone). Beaucoup de ces technologies médicales qui ont d’abord été développées au « Sud » pourraient ainsi s’exporter vers le « Nord ».

Une nouvelle catégorie des technologies de santé mobiles correspondra aussi à utiliser le smartphone à des fins de traitement et plus seulement de diagnostic : ainsi des applications de surveillance du sommeil permettent par exemple de conseiller le malade et de lui éviter d'avoir à prendre des somnifères. On appelle ça les « Digiceuticals », c'est le mélange entre technologies numériques et pharmaceutiques, ça pourrait à terme remplacer un certain nombre de médicaments, notamment diminuer le recours aux benzodiazépines…

Le développement de ces technologies ne présente-t-il pas un risque en ce qui concerne la protection des données personnelles (en l'occurrence, médicales) ?

C’est déjà l’un des risques majeurs des technologies de santé et la maîtrise des risques de dispersion des données de santé deviendra une priorité pour les autorité européennes. A terme,  l’ensemble des dispositifs connectées pourraient en effet participer aux démarche de prévention et de soin; qu’il s’agisse des enceintes intelligentes ou encore des automobiles  connectées qui seront massivement dotés de capteurs et pourraient devenir une extension du cabinet médical. Ford est déjà en train de travailler sur des système de capteurs cardiovasculaires et respiratoires intégrés à leurs voitures. Dans la Skoda Fabia, il existe déjà un système de détection de la vigilance – donc limité à la sécurité de conduite - [mais à l'avenir, ce type de système pourra être utilisé pour effectuer le suivi de pathologies neurologiques.

On a déjà vu que Facebook collectait de manière massive des données médicales, y compris des personnes qui ne sont pas sur Facebook via les « shadow profiles ». Il faudra rendre encore plus stricts les règles de protection sur les données médicales, sachant qu'il est possible de déduire de nombreuses données médicales à partir de l'utilisation des smartphones.

Nous sommes obligés d'envisager un futur où les risques de dispersion des données médicales seront infiniment plus élevés. Le métier même de « data broker » ces sociétés qui rassemblent des centaines voire des milliers de paramètres sur plusieurs millions d’utilisateurs devrait à terme être remis en cause. Les données médicales sont en effet considérées comme « sensibles » dans notre droit. Il faudra concevoir un niveau de protection juridique et technique encore plus élevé pour ces données (y compris pour les données non médicales qui permettent de déduire, d' « inférer » des données médicales).  En ce qui concerne les équipements médicaux connectés, je pense qu’il nous faudra créer de nouvelles normes de sécurité (et de nouveaux processus de certification européens) sur la protection des données et la sécurité des objets médiaux connectés.  En effet les objets médicaux connectés sont parmi les moins bien protégés actuellement. Pirater des pacemakers à distance est déjà techniquement possible aujourd'hui. Le développement de ces technologies ne pourra donc se faire que si l’on est capables d’instaurer un niveau de confiance nettement plus élevé pour ces objets. En effet, la protection des données et la sécurité des patients constituera la pierre angulaire du développement de ce secteur stratégique pour l’économie et l’industrie européenne mais aussi pour notre système de protection sociale…

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