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“Quitter l’Europe doit être douloureux” : Valérie Pécresse ou le gaullisme génétiquement modifié ?
©Geoffroy VAN DER HASSELT / POOL / AFP

Etrange

"Je souhaite une Europe qui ne cède pas à la pression du Royaume-Uni, car quand on la quitte, cela doit être douloureux !" a déclaré Valérie Pécresse ce mercredi 6 février lors de ses voeux à son mouvement "Libres !". Étrange pour quelqu'un membre d'un parti se revendiquant du gaullisme et pour quelqu'un s'étant rendu à Colombey-les-deux-Eglises à l'occasion du 60e anniversaire de la Ve République.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : A l'occasion de la présentation de ses vœux à son mouvement "Libres !", Valérie Pécresse a déclaré : "Je souhaite une Europe qui ne cède pas à la pression du Royaume-Uni car quand on la quitte, cela doit être douloureux !". Comment comprendre une telle déclaration -impliquant une forme de soumission de la souveraineté britannique à l'Union européenne- dans un parti se revendiquant du gaullisme ?

Maxime Tandonnet : Cette déclaration, si décevante de la part de Valérie Pécresse, s'explique par plusieurs facteurs. Elle est dans le sens du vent dominant en tout cas dans les élites françaises, qui n'aiment pas la Grande-Bretagne, éternel empêcheur de tourner en rond au regard de leur idéal fédéraliste. Par ailleurs, elle reflète la faible conscience historique d'une partie de la classe politique qui balaye d'un revers de main ce que l'Europe et la France doivent aux Britanniques, en particulier l'invention des libertés, la démocratie parlementaire et plus récemment, la victoire contre le nazisme. Elle exprime aussi le mépris croissant d'une partie des élites pour les peuples: le Brexit a été décidé par référendum. A travers ces mots, qui consistent à vouloir châtier un peuple pour son choix démocratique, Mme Pécresse, hélas, rejoint l'arrogance d'une partie de la classe dirigeante envers la voix des peuples, le suffrage universel et la démocratie – le pouvoir du peuple. Elle se conforme à une image totémique de l'Europe, réduite au système bruxellois, en négation avec la réalité d'une Europe authentique, définie comme une solidarité entre des hommes et des femmes qui partagent le même continent, la même histoire, une culture et un destin commun face aux grands périls planétaires. Quant au message du général de Gaulle, fondé sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et le culte des indépendances nationales, mieux vaut ne même plus en parler tant il est bafoué par de tels propos.

En quoi une telle déclaration peut-elle souligner, une nouvelle fois, une évolution idéologique de certains courants internes aux LR au cours de ces dernières années ? Ces mouvements peuvent-ils encore réellement se revendiquer de l'héritage de la droite française ? 

Ce qu'on appelle la droite, comme l'observait René Rémond, est en réalité un amalgame entre des courants d'opinion très divers. Il y a une droite nationaliste et anti-libérale qui a toujours détesté le Royaume-Uni, la perfide Albion, accusée de tous les maux de la création. « Je n’aime point les Anglais. Je les hais même beaucoup plus que les Allemands » écrivait le nationaliste Paul de Cassagnac à la fin du XIXe siècle. Et puis il existe un autre courant dite de droite qui méprise le peuple à l'image d'Adolphe Thiers parlant de la "vile multitude" sous la Deuxième République et obtenant le vote d'une loi qui écarte du suffrage universel les indigents ou les sans domiciles fixes, c'est-à-dire, à l'époque, une partie de la classe ouvrière et les travailleurs agricoles. La rencontre entre ces deux sensibilités se traduit par des paroles qui prônent de punir le peuple britannique pour son choix.

En quoi la question européenne est-elle fondamentalement une difficulté pour la droite française ?

La droite française est fondamentalement parcourue, sur la question européenne, par une ligne de partage entre deux courants distincts. Cela remonte au minimum au début du XXe siècle. Il y a dans les années 1920 et 1930 deux sensibilités qui se font face. L'une est nationale, autour de Clemenceau, Poincaré, Tardieu. L'autre est européenne, internationaliste et pacifiste, notamment avec Briand, ministre des Affaires étrangères de Poincaré, qui dès la fin des années 1920 prônait, en harmonie avec le chancelier Streseman, une Union européenne. Après la guerre, le clivage s'est retrouvé dans les années 1950, entre le MRP, pro européen, et le RPF gaulliste, qui se sont lourdement affrontés à l'occasion des débat sur l'armée européenne, la CED en 1954. L'arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958 a fait pencher le balancier en faveur de l'Europe des Nations, une politique qui s'est traduite par le refus de la supranationalité, la politique de la "chaise vide" pour parvenir au compromis de Luxembourg de 1966, selon lequel, aucune décision de l'Europe des Six, même à la majorité qualifiée, ne pouvait être imposée à un Etat sans son accord. Le départ de de Gaulle a rouvert la cicatrice et le conflit entre partisans d'une Europe respectant la souveraineté des Etats (UDR, RPR), et ceux d'une Europe intégrée, notamment l'UDF giscardienne. En 1992, le ralliement global du parti héritier du général de Gaulle au traité de Masstricht fondant l'Union européenne, derrière Chirac, la défaite politique des trublions Pasqua-Séguin lors du référendum approuvant ce traité a fait basculer la droite, globalement, dans le camp pro-bruxellois. Mais cette uniformisation du discours de la droite sur la question européenne a favorisé l'essor de l'extrême droite qui a récupéré le sujet de la souveraineté abandonné par la droite. Aujourd'hui, dans une période de profond chaos et d'incertitude, en l'absence de leader charismatique et rassembleur de toutes les sensibilités, à l'image de Sarkozy, la fracture se rouvre presque naturellement.

Comment les LR peuvent-ils aborder cette thématique ?

Il y a deux façons de l'aborder. La première, qui a fonctionné longtemps, permettant à la droite d'exercer le pouvoir, notamment entre 2002 et 2017, est de faire taire les divergences en mettant l'accent sur d'autres sujets, comme la sécurité. On a bien vu ses limites. L'autre est au contraire de faire le choix de la lucidité et du courage en cherchant à développer une vision commune de l'Europe. Il faut partir des faits. L'idée politique européenne a eu des résultats positifs pendant un temps: la modernisation de l'économie française grâce à l'ouverture à la concurrence, voulue par le général de Gaulle dans les années 1960, la démocratisation et le développement rapide de l'Espagne, les échanges universitaires à travers Erasmus, le maintien d'une agriculture avec la PAC, les programmes de recherche, les succès d'Ariane et d'Airbus. Aujourd'hui, cette Europe est plongée dans la tragédie: Brexit bien entendu, mais aussi drame franco-italien, quasi-dissidence de la Pologne et de la Hongrie, crise migratoire, démantèlement de fait de la libre circulation Schengen, poussée nationaliste en Allemagne... En pleine désintégration, elle serait bien incapable de refaire ce qui a été accompli dans les années 1960 à 1980. Admettre les faits, la simple réalité, serait un formidable progrès pour l'ensemble de la droite. Et sur cette base, ouvrir une réflexion sur la refondation de l'Europe en partant des solidarités intergouvernementales, de politiques communes, en incluant bien entendu le Royaume-Uni, et du destin partagé de ses nations... Mais bon, nous n'en sommes pas là...

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