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La jurisprudence Apple : pourquoi le volontarisme paie en politique
©Greg Baker / AFP

Fiscalité

Suite à une négociation et à la conclusion d’un accord entre le ministère des finances et Apple, le géant américain s’est engagé à payer 500 millions d’euros au fisc français, pour des arriérés concernant les 10 dernières années.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Comment analyser cet accord ? La pression mise sur les GAFA serait-elle efficace ?

Michel Ruimy : L’annonce de cette transaction survient, un an tout juste après celle d’un accord entre le fisc français et le groupe de commerce en ligne Amazon, portant, là aussi, sur le règlement de lourds arriérés d’impôts. La multinationale américaine avait mis un terme à un conflit fiscal, vieux de cinq ans, portant sur un redressement concernant les années 2006 à 2010. Le géant de la distribution était parvenu à un accord avec le fisc français en se voyant infliger un redressement fiscal de 200 millions d’euros.

Pour Apple, il s’agit d’un montant plus élevé. La somme versée correspond à dix ans d’arriérés d’impôts, en ligne avec la croissance de l’entreprise au cours de la dernière décennie. Pour mémoire, Apple a réalisé, dans le monde, en 2017, environ 270 milliards de dollars de chiffre d’affaires et engrangé près de 60 milliards de bénéfices. Apple Retail a déclaré, la même année, un chiffre d’affaires de 710 millions d’euros en France. 50 millions d’euros d’impôts par an serait donc un montant « raisonnable », en considérant un taux d’imposition d’un peu plus de 30% et un bénéfice de l’ordre de 160 millions d’euros par an.

Cet accord est une belle victoire et une très bonne opération pour le gouvernement. Il vient confirmer la ligne directrice du fisc français qui affirme que les profits réalisés par les GAFA sur le sol français ne sont pas suffisamment taxés.

Un tel règlement permet à Apple d’apaiser ses relations avec le ministère des Finances. Mais au-delà, le groupe a aussi tout intérêt à se montrer conciliant avec les différents pays, partenaires commerciaux, dans lesquels il est présent. Avec cet accord, la société cherche à restreindre l’action des partisans d’un impôt européen sur les GAFA. C’est aussi un bon point pour elle car, alors que la tension est loin de retomber avec la Chine sur fond de guerre commerciale, la multinationale cherche à éviter les sources de conflit potentiel avec l’Europe.

Il faut se rappeler qu’Apple a déjà été condamné à restituer 13 milliards d’euros à l’Irlande pour des avantages fiscaux, jugés indus par l’Union européenne. Celle-ci avait estimé que la société avait trop peu payé d’impôts en Irlande en raison d’un accord fiscal signé entre les deux parties et qui lui permettait de ne soumettre à l’impôt qu’une partie de ses profits européens.

Quelles sont les leçons à tirer de cette situation sur la capacité des Etats à faire « plier » des entreprises parfois qualifiées d’incontrôlables en raison de leur présence mondiale et de leur taille ?

Il faut savoir que c’est, avant tout, la position des Etats-Unis qui a levé les blocages. Ce pays, tout occupé à finaliser sa propre réforme fiscale, avait refusé, jusqu’à présent, d’avancer sur le sujet au niveau international. Mais les choses ont changé : la réforme fiscale, votée par le Congrès, à la fin 2017, ayant entériné une baisse de 35% à 21% du taux de l’impôt sur les sociétés, il leur faut désormais la compenser, en élargissant leur base fiscale.

Ayant de surcroît trouvé la parade, sur leur territoire, aux stratégies de planification fiscale agressive des GAFA, grâce au plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting / Erosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices) et à l’instauration d’un taux minimum d’imposition de 13% sur les revenus mondiaux de ces groupes, les Etats-Unis sont désormais prêts à reconnaître de nouveaux « droits à taxer » pour les « pays - marchés » de ces entreprises. C’est assez surprenant, par les temps qui courent, de voir les Etats-Unis soutenir le multilatéralisme en matière de fiscalité !

Il s’agit, de manière globale, d’adapter la fiscalité internationale à la nouvelle donne numérique c’est-à-dire qu’avec les initiatives actuelles (Royaume - Uni, Italie, Espagne), il va s’agir de décider quel pays peut taxer quoi et selon quelles règles. Alors qu’aujourd’hui, le droit de taxer va au pays dans lequel se trouvent le siège d’une entreprise ou bien ses droits de propriété intellectuelle, ce droit à taxer pourrait être demain partagé entre le pays du siège et le (ou les pays) où se trouvent les consommateurs de cette entreprise (ou ses utilisateurs). Les pays européens souhaitant récupérer plus de recettes fiscales, devront ainsi reconnaître les droits à taxer des pays d’Asie, dont l’Inde. Il s’agit donc bien d’une évolution importante.

Ainsi, on pourrait dire qu’après une période de « sidération », les pays s’organisent de manière plus collective. Pour répondre à la pression de l’opinion publique en faveur d’une fiscalité mieux équilibrée, certains gouvernements ont souhaité lancer leur propre dispositif, sans attendre que soit établi un consensus international.

Dans quels autres domaines, cette capacité d’intervention des Etats pourrait-elle également porter ses fruits ?

Aujourd’hui, devant notamment la mauvaise santé de leurs finances publiques, les pays de l’OCDE, envisagent, dans un accord dévoilé fin janvier conclu au sein du Cadre inclusif - cet organe rattaché à l’institution décide des règles fiscales internationales –, de taxer les géants du numérique que sont les GAFA. 

Pour redessiner cette cote mal taillée et associer à l’effort fiscal un secteur en plein essor, les signataires de l’accord ambitionnent d’élaborer de nouveaux critères objectifs, comme le recensement des consommateurs de ces groupes et leur localisation, et non plus seulement le lieu de leur siège social… Leurs profits pourraient alors être « captés » de manière rationnelle et équitable, dans tous les pays de « marchés » de ces géants. Si les nouvelles règles fiscales de l’OCDE étaient adoptées par les dirigeants du G20 en 2020, elles devraient alors logiquement se substituer aux « taxes GAFA » qui ont déjà été adoptées par certains pays de manière unilatérale (Royaume-Uni, Singapour).

De plus, ces travaux sur la taxation du numérique pourrait permettre, à certains pays (France, Allemagne) à mettre en place un système d’imposition minimum ciblant les entreprises réalisant des profits à l’étranger, dans des pays à fiscalité faible. Ce système autoriserait ainsi un Etat à récupérer la différence entre l’impôt acquitté à l’étranger et l’impôt qui aurait été payé sur son territoire.

Enfin, les GAFA pourraient ne pas être les seuls concernés par une telle réforme. Celle-ci pourrait s’appliquer aussi à d’autres groupes tels que Starbucks ou McDonald’s, mais aussi par des entreprises de la vieille économie, pour leurs activités immatérielles.

Ainsi, l’économie tout entière se numérisant, la portée du chantier pourrait bien être plus large qu’affiché.

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