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Comment les travaux d'Alan Turing ont mené à l'émergence de l’intelligence artificielle
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bonnes feuilles

Dans "L'Intelligence artificielle et les chimpanzés du futur", publié par Odile Jacob, Pascal Picq analyse la coévolution de l'espèce humaine et de ses proches ― les australopithèques d'hier comme les chimpanzés d'aujourd'hui ― avec les innovations techniques et culturelles actuelles. 2/2

Pascal Picq

Pascal Picq

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France. Il publie Un paléoanthropologue dans l'entreprise.

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Quand le spectre de la Seconde Guerre mondiale se confirme, les Américains et les Anglais comprennent que, face à la puissance nazie et aux forces de l’Axe, ils doivent gagner la guerre sur un nouveau champ de bataille, celui de l’information. Le gouvernement anglais met en place un groupe de recherche très secret, à Bletchley Park, avec de jeunes et brillants mathématiciens, dont Alan Turing. Ce groupe finit par casser les codes de la machine de cryptage de l’armée allemande, Enigma (en collaboration avec des mathématiciens polonais et français). Cette histoire reste secrète jusqu’à ce que le gouvernement britannique la déclassifie à partir des années 1973.

Dans le cadre de ses missions, Turing effectue plusieurs voyages aux États-Unis où il rencontre Claude Shannon, concepteur de la première théorie mathématique de l’information, et aussi John von Neumann, un des grands pionniers de l’informatique. Au fil de ses rencontres et de ses conférences, Turing formule l’idée de concevoir des « machines intelli- gentes » capables de traiter des informations, des données aléa- toires, ou même de simuler certaines fonctions de l’intelligence humaine. Il ne cherche pas à reproduire l’intelligence humaine mais, selon son expression, à construire un « cerveau d’enfant », c’est-à-dire un cerveau capable de s’adapter ou d’apprendre. Dans son article « Computing machinery and intelligence », publié dans la revue Mind en 1950, où il questionne la possibilité de construire une « machine pensante », il propose son célèbre test pour distinguer une intelligence humaine d’une intelligence artificielle. Un débat s’ensuit avec ses controverses inévitables. L’idée va toutefois faire son chemin, jusqu’à germer dans l’esprit des organisateurs de la conférence de 1956…

Comment donc savoir si on interagit avec une personne ou avec une machine ? Turing propose qu’une personne pose des questions par écrit ; les réponses reviennent par écrit ; si, après trois réponses, la personne ne fait pas de différence, alors, la  machine a réussi. Aucune machine – en l’occurrence aucun ordinateur – n’a pour le moment passé le test avec succès, malgré quelques annonces tonitruantes. En revanche, tout le monde s’accorde pour dire que cela ne devrait plus tarder, surtout avec les logiciels de reconnaissance faciale et vocale. Ce test s’inspire du jeu de l’identification, très prisé à l’époque victorienne en Angleterre, constituant l’ancêtre lointain de nos jeux de rôles. Tragédie de l’histoire : la police l’adapta pour confondre les homosexuels et Turing se serait lui-même jeté dans la gueule du loup en venant porter plainte contre son compagnon brutal, ce qui entraînera sa castration chimique et son suicide par empoisonnement. Si, grâce à l’intelligence, on peut abattre des totalitarismes, c’est plus difficile contre les puritanismes. Bref, le génial Turing ne participera donc pas à la conférence de 1956, puisqu’il meurt en 1954. Une légende contemporaine voudrait que le symbole de la pomme croquée d’Apple soit un hommage à Turing, ce qu’a démenti Steve Jobs en son temps. Quoi qu’il en soit, on peut voir sur Internet une pomme dont la partie entamée reproduit le profil de Jobs ; superbe ! De Newton à Jobs en passant par Turing, le fruit d  péché originel est bien celui de l’arbre de la connaissance4.

La machine de Turing – et ses dérivés – ne correspond pas à une machine physique ; c’est un algorithme mathématique de procédure mécanique apte à réaliser toutes les opérations mécaniques (d’où le qualificatif d’« universel »). C’est donc tout, sauf du bricolage, même génial. Au fond l’invention de Turing renoue avec la conception des Grecs pour qui le cos- mos peut se comprendre par le langage des mathématiques. Les grandes avancées de la physique théorique et fondamentale reposent toujours sur les avancées des mathématiques : Galilée, Newton, Poincaré, Einstein… Pour les fondements de l’IA, ce sont d’abord les théories de Turing, de Shannon et de von Neumann, avec les travaux sur les algorithmes. Au commence- ment étaient les mathématiques dans le cadre de la recherche fondamentale et universitaire, ce qui implique aussi, comme nous allons le voir, des recherches en neurosciences et en biolo- gie évolutionniste, mais aussi des économistes nobélisés comme Friedrich Hayek et Herbert Simon. Puis viendra le temps des vraies machines intelligentes…

Extrait de "L'Intelligence artificielle et les chimpanzés du futur", de Pascal Picq, publié aux éditions Odile Jacob

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