Jean-Pierre Gorges: "Il faut remettre les Maires au cœur de notre système"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Jean-Pierre Gorges: "Il faut remettre les Maires au cœur de notre système"
©

Rupture

Selon une étude de l'Ifop réalisée pour le groupe LR au Sénat, jamais il n'y a eu si peu de maires qui souhaitent se présenter à leurs successions.

Jean-Pierre Gorges

Jean-Pierre Gorges

Ancien cadre dirigeant d'entreprise privée, Jean-Pierre Gorges est maire de Chartres depuis 2001. Il est également député de la première circonscription d'Eure-et- Loir depuis 2002.

Son livre La France c'est vous ! vient de paraîtres aux éditions du Cherche Midi. 

Voir la bio »

Atlantico: Quels facteurs permettent d'expliquer ce désamour de la fonction, tant au niveau purement matériel qu'en termes de facteurs psychologiques ?

Jean-Pierre Gorges: C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai pris connaissance des résultats de ce sondage de l’IFOP. Être Maire est un job passionnant, pour peu que l’on sache s’extraire des pressions du quotidien et réussir ses projets pour sa Ville ou pour son Village. Mais je comprends cette lassitude d’une majorité d’entre nous. Je ne parlerai pas de désamour, car je sais bien qu’au fond, c’est le cœur serré que nombre d’entre eux raccrochent, souvent après des années de mandat.

Je parlerai plutôt de fatigue des élus de proximité. Nous ne sommes pas les plus importantes collectivités locales. Nous ne sommes pas à l’Élysée, à Matignon, à l’Assemblée, ni au Sénat. Nous sommes devenus ceux qui ne sont rien, et qui sont obligés de porter tout l’effort politique sur leurs épaules.

Alors, beaucoup d’entre nous n’en peuvent plus. Il faut assainir les finances publiques ? Ce sont les Maires qui doivent présenter des comptes à l’équilibre. Il faut réduire la dépense publique ? Ce sont les Maires qui voient leur dotation diminuée chaque année, puis mal indexée par rapport à l’inflation. Il faut ajouter de la proximité dans le débat public ? Et nous voilà en charge du Grand Débat. Et en même temps, ces mêmes Maires se voient privés de tout lien fiscal direct avec leurs habitants avec la suppression de la taxe d’habitation. Nous vivons donc sous perfusion de l’État, avec pour mission de réussir au quotidien ce qu’il n’arrive pas à faire.

Mépris de l’État central, qui ne nous croise plus au quotidien, sinon pour profiter d’une standing ovation dans un stade, pression des citoyens, qui sont toujours plus exigeants vis-à-vis du service public que nous tâchons de leur offrir, et en même temps un manque de moyens de plus en plus cruel, voilà qui peut en décourager plus d’un.

Vous savez, 70% des Français ont soutenu leurs gilets jaunes, et plus de 67% d’entre eux apprécient leur Maire. Ces chiffres ont un sens : comme ces Gilets Jaunes, les Maires sont un produit de la démocratie directe. Et comme eux, ils se sentent mis à l’écart de cet État Central dont chacun voit qu’il part à la dérive. Comme eux, ces femmes et ces hommes engagés et besogneux ont été humiliés, et ils quittent le système. La seule différence, c’est qu’ils ne mettront pas tous un gilet : ils raccrocheront l’écharpe.

Pour autant, on remarque que le phénomène, bien qu'équitablement réparti sur le territoire a plutôt tendance à concerner les maires des petites communes, pourquoi ?

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : l’âge d’or des villages et l’âge d’or des artisans. On achetait son pain sur la place de l’église. On recevait son lait sur le pas de sa porte. On allait chez l’épicier rechercher son morceau de pain de sucre… Cette douceur de vivre s’est évaporée, et nos villages ont peu à peu été désertés... Comme Stéphane BERN, je trouve cela d’une tristesse absolue. Nos villages sont des mines d’or, il ne faut pas que cela disparaisse.

Mais de nombreux Maires des petites communes ont assisté, impuissants, à cette désertification. Plus de commerces, plus d’artisans, plus d’écoles, plus de familles et donc plus de joie. Et en même temps, pour réaliser quelques projets sur leurs territoires, ils ont progressivement cessé d’être soutenus. Cela est malheureux à dire, mais pour beaucoup de nos contemporains, la joie des villages et leur ambiance très familiale est quelque chose dont ils se sont détournés.

À Chartres, il s’agit au contraire d’un modèle que nous tentons de restaurer. Et de ce que nous faisons ici, et qui fonctionne réellement, je retiens deux choses. Pour que la lassitude cesse de gangrener les Maires ruraux, je pense d’abord qu’il ne faut pas hésiter à leur accorder davantage de soutien sur les plans opérationnels. Un EPCI bien organisé peut le faire. Et ensuite, je pense que nous devrions valoriser de nouveau cette richesse sociale que sont nos petits villages dans l’esprit de nos concitoyens, dans une ambiance de services rendus les uns aux autres, entre familles, autour des clochers et vivant surtout de circuits courts.

De fait et malgré la reconnaissance symbolique des maires entreprise par Emmanuel Macron, notamment lors des deux séances de débat avec ces derniers peut-on vraiment dire que la situation s'est arrangée depuis le début de son quinquennat ? Pensez-vous qu'elle s'arrangera par la suite ?

La situation se dégrade depuis le début du quinquennat. Notre situation budgétaire est désormais pire que celle de l’Italie, que voulait pourtant condamner un potentiel futur président de la Cour des Comptes, un socialiste nommé Moscovici. Contrairement à notre actuel Ministre de l’Économie, j’ai une réelle culture scientifique : la dette de l’Italie baisse, la nôtre augmente. Leur déficit est inférieur à 3% du PIB, le nôtre est à 3,5%. Nous ne tenons que par des promesses budgétaires pluriannuelles qui ne sont jamais réalisées. Et en parallèle, le dialogue des élus avec les citoyens s’est rompu.

Pour que la situation s’arrange, je crois que nous avons besoin d’un changement du politique qui aille au-delà de simples meetings. Il faut remettre les Maires au cœur de notre système. S’ils se sentent intégrés et respectés, ils emmèneront avec eux le reste de nos concitoyens. Et ils apporteront des solutions du terrain.

Pour commencer, on ne devrait pas, aujourd’hui, pouvoir prétendre aux plus hautes fonctions de Gouvernement et même de l’Élysée sans jamais avoir été Maire, et même un bon Maire, avec des résultats tangibles. Car avant cette expérience, on n’a jamais connu ce qu’est un peuple, ni comment en être un leader. En démocratie, méconnaître le peuple qu’on dirige, ou ne le connaître que via les filtres statistiques proposés par l’administration, je crois que cela est une dangereuse dérive. Il faut remettre un peu d’humain au cœur de la politique.

Et au contraire, les Maires ont été éloignés de l’Assemblée Nationale, en raison d’une loi sur le cumul qui est bien hypocrite. Pire, désormais, il se murmure que le dernier bastion de défense des collectivités locales, le Sénat, devrait être supprimé. Mais 70% des élus locaux ont confiance dans le Sénat, qui les représente pleinement. La voix du Sénat est la dernière voix des territoires. Ce qu’il s’y dit est peut-être aujourd’hui plus en phase avec les attentes de nos concitoyens.

Il est temps que les Maires, qui sont respectés par les citoyens parce qu’ils sont proches d’eux, soient respectés et intégrés pleinement par le pouvoir en place. Ils sont autonomes et surtout au courant des besoins de leurs habitants. Le péché originel d’Emmanuel MACRON, c’est d’avoir oublié qu’il n’avait pas été élu pour son programme, mais contre François FILLON et Marine LE PEN. Il a ensuite pris le Maire d’une des Villes les moins bien gérées de France comme Premier Ministre. Continuer sur cette voie, et qui plus est à 80 km/h, c’est risquer l’accident fatal.

Avoir créé une nouvelle caste d’élus hors-sol nous nuit collectivement, à la France comme à ses habitants. Qui désormais pour adapter nos lois aux besoins réels des femmes et des hommes de notre pays ? Et qui pour en supprimer, surtout ? Beaucoup de Maires peuvent ouvrir des pistes : ils savent ces histoires humaines que la loi est impuissante à régler…

Sans cette réforme des institutions, je vois mal comment la situation pourrait s’améliorer.

Cela renvoie aux débats sur la métropolisation. Selon vous se dirige-t-on inéluctablement vers un appauvrissement des moyens alloués aux petites communes pour un renforcement des métropoles mondialisées ?

C’est effectivement la tendance. Et bientôt les grandes métropoles incluront ces petites communes dans un anneau pour les gouverner toutes.

Ce mouvement doit être réorienté en faveur des petites communes, et cela est de la responsabilité de chaque Maire de Métropole. Soit ils choisiront de siphonner leurs moyens pour faire fonctionner la Ville-Centre, soit ils se mettront au service des petites communes.

C’est ce que je dis fréquemment aux 65 Maires autour de moi qui se sont regroupés au sein de l’Agglomération : vous avez 2000 personnes, chacun d’entre vous, au service de vos communes. C’est cette mentalité qui change tout. Pour renverser la vapeur, il appartient aux grandes Villes d’être au service et d’irriguer les petites communes. C’est ce qui redonnera de l’envie et de la confiance aux futurs Maires qui auront la vocation de reprendre, à partir de 2020, les affaires de leur Village en main.

Je reste un partisan du développement endogène des territoires, pour rééquilibrer un phénomène de mondialisation dont nous n’allons pas nous retrancher. C’est ainsi, en faisant grandir progressivement les entreprises du territoire, que nous sommes arrivés, à Chartres métropole, en-dessous des 8% de chômage. Nous allons continuer. L’équilibre de nos territoires nous permettra de profiter de la mondialisation sans en subir toutes les externalités négatives.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !